Nous avons cherché quelqu’un qui a fait des réalisations grandioses durant l’année 2015. Un modèle qui fera l’unanimité autour de lui comme Éva Marie Coll Seck l’a été durant l’année 2014 dans sa lutte contre le virus Ebola. Nous n’avons trouvé personne. Nous avons même pensé en un moment ne pas décerner le titre d’Homme de l’année.
Puis, nous nous sommes rappelé que l’Homme de l’année n’est pas toujours un modèle. En 2004, le célèbre magazine « Times » a décerné le titre à Saddam Hussein. En 1938, l’homme de l’année du Times Magazine était Adolf Hitler. Comparaison n’est pas raison certes. Mais nous avons pensé que notre homme de l’année 2015 pouvait bien être Thione Seck.
L’homme est un antihéros, pour certains. Il a été victime d’une chute spectaculaire après trois décennies où il a été l’un des artistes à régner en maître sur la musique sénégalaise. Ce lyriciste hors pair, dont les chansons se voulaient des maximes pour la vie, est engagé dans une lutte épique pour son honneur et sa réputation salis dans une triste affaire de faux billets. Son histoire a fait couler beaucoup d’encre et de salive et a tenu en haleine le pays entier, durant des mois. C’est un véritable roman sénégalais dont le public, ici comme ailleurs, s’est délecté chapitre après chapitre. Ramdam autour d’une légende.
Qui d’entre nous n’a jamais esquissé un seul pas de danse de Thione Seck?? À défaut, nous avons au moins entonné un de ses nombreux tubes. Mathiou, Domou Baye, et tant d’autres ont secoué les dancefloors dans les années 90. Aujourd’hui, la plupart des ados qui s’époumonent et se déhanchent sur les tubes de Waly n’ont pas connu les années fastes de son père, Thione. Chanteur à la voix suave, moraliste constant, parolier hors pair, Thione Seck passe avant tout pour un parangon de vertu, au point d’être surnommé affectueusement « Papa Thione ». Une véritable icône de la grande diatribe à l’époque où les cassettes s’écoulaient comme de petit-pains au marché Sandaga chez Talla Diagne ou encore Gadiaga. Au point de détrôner le roi du mbalax (suivez mon regard) et d’être couronnée par la grande famille Jackson aux États-Unis?! Qu’on l’aime ou pas, Thione Seck forçait le respect. Mais ça, c’était Ballago… avant l’affaire des faux billets de banque.
Thione Seck, l’un des chanteurs les plus populaires, adulés et respectés de la scène musicale sénégalaise, connu pour ses prises de positions tranchées et radicales sur les questions d’éthique, est aujourd’hui empêtré dans une sale affaire. Et quelle affaire?! L’icône des années 90 est tombée pour du « grand banditisme ». Trafic de faux billets, blanchiment de capitaux, association de malfaiteurs, escroquerie. Et le pactole n’est pas des moindres : 41 milliards FCFA. Il s’agit là d’un des plus gros scandales de l’industrie musicale. De par la personnalité du chanteur, et du montant en jeu, l’affaire des faux billets de banque dépasse très vite le simple fait divers et suscite même l’implication des autorités étrangères. La Section de recherches de la gendarmerie traque un réseau international de faussaires. Dès les premières heures qui ont suivi sa nomination, le commandant Issa Diack se rend en Amérique latine pour tenter de démanteler un réseau. Sur les réseaux sociaux, on ne discute plus que de « l’affaire Thione Seck ». La presse internationale se saisit du problème. Son cas fait le tour du monde. Les faux billets de 10.000 FCFA sont désormais baptisés « Thione ». Un véritable bad buzz pour le leader du « Raam Daam » qui croupit depuis juin 2014 dans les geôles de la Maison d’arrêt de Rebeuss avant d’être transféré à la prison du Cap Manuel. Pas de liberté provisoire. La justice sénégalaise se montre intransigeante dans cette affaire, où les exploits du père de Waly sont dignes du « génie » de Jordan Belfort dans le Loup de Wall Street. Abdoulaye Daouda Diallo, ministre de l’Intérieur, s’est d’ailleurs montré intransigeant. « Notre pays ne va pas accepter des réseaux de faussaires. Nous n’accepterons en aucune façon que des faux billets puissent circuler dans ce pays. À chaque fois, que des bandits seront pris en situation, ils seront sanctionnés », a-t-il déclaré. Suffisant pour que la Cour d’appel le maintienne en prison, en attendant son procès.
Sorcellerie, maraboutage, complot…
Mais pour Thione, l’affaire est plutôt simple. Des gens mal intentionnés sont derrière « ce complot » monté contre lui et sa famille (son fils Alioune Seck a été cité dans une affaire de trafic de faux billets). Il évoque même une histoire de maraboutage. « Lorsque les gendarmes m’ont dit que je suis soupçonné d’avoir en ma possession des faux billets, j’ai compris que j’ai été ensorcelé par des escrocs. Mais, c’est seulement le lendemain de mon interpellation, à la gendarmerie, que j’ai retrouvé mes esprits. C’est comme si on venait d’ôter un voile noir de mes yeux », avait-il déclaré aux premières heures de sa garde vue dans les locaux de la Section de recherches de la gendarmerie de Colobone. Mais, ça, seules les drama-queens semblent y croire. La publication de ses procès-verbaux, quelques jours plus tard, dans les colonnes du journal Le Quotidien, lève un coin du voile sur une vérité tout autre. Le contenu est digne des films de Scorsese et une autre image de l’artiste s’offre au public. Une image qui est à des années-lumière de celle d’un artiste qui a été adulé par des générations entières de mélomanes sénégalais.
La chute du petit fils de chanteur à la cour de Lat-Dior
Né en 1955 à Dakar, Thione Seck est issu d’une grande famille de griots. Son arrière grand-père était chanteur à la cour de Lat-Dior, damel du Cayor et farouche opposant à la colonisation française. Il participe donc naturellement dès son plus jeune âge aux cérémonies et fêtes traditionnelles comme chanteur et percussionniste. Ainsi, il devient, quelques années plus tard, membre du groupe dakarois Star Band avant d’intégrer le mythique Orchestra Baobab avec lequel il collabore quelques années. En 1984, il monte avec son frère un duo appelé « Raam Daan » et sort son premier opus. En 1996, le producteur sénégalais, Ibrahima Syllart entreprend de le produire. Il sort 3 albums sous son label, Syllart, notamment Orientissimo, enflammé par la presse. L’album, enregistré entre Dakar, Le Caire et Bombay, est un véritable succès. Sa carrière prend de l’envol. Ses relations heurtées avec ses frères le poussent à entreprendre une carrière indépendante. Néanmoins, Thione Seck est désormais sur toutes les grandes affiches. Ses soirées au Kilimandjaro refusent du monde. On se bouscule pour le voir. Ses tubes s’enchainent. Mathiou, Domou Baye, Boul Doff, sont repris à travers toutes les bandes-son. La légende s’écrit.
Mais en mai 2015, à 60 ans, le conte de fées tourne à la tragédie. La gendarmerie le prend la main dans le sac, rempli de devises étrangères, euros et dollars, sur lesquelles il s’assoit. Le 2 juin, il est inculpé et placé sous mandat de dépôt. Direction : la prison de Rebeuss.
Victime ou pas, cela ne change en rien l’histoire. Désormais, le nom de Thione, 60 ans, près de 35 ans de carrière, s’écrira sur des pages sombres. L’Automne de l’artiste semble débuter.