Courant 1998, l’opération « Gabou » est déclenchée ! Les premières troupes sénégalaises sont déjà en Guinée-Bissau.
Mission : voler au secours du président Nino Vieira, qui faisait face à une mutinerie, et rétablir l’ordre constitutionnel dans ce pays voisin du Sénégal. Le départ du deuxième contingent est imminent. Pendant ce temps, c’était le branle-bas du coté de la Dirpa (Direction de l’information et des relations publiques des Armées) où mon doyen Amadou Mbaye Loum était chargé d’user de son vaste carnet d’adresses pour le rappel des « troupes ».
Ses troupes, celles du bataillon de la presse composées de journalistes-reporters issus des rares organes d’alors. C’est dans ces conditions que je me suis retrouvé embarqué pour Bissau à bord d’un navire militaire, type « Edic » (Engin de débarquement d’infanterie et de chars). Dieu sait qu’au départ de la base de la Marine, je n’avais pas le cœur à l’embarquement. Comme d’autres confrères, j’étais gagné par la trouille due aux nouvelles peu rassurantes qui nous venaient du front. Au lieu de m’aider à surmonter la peur tout au long du voyage, Amadou Mbaye Loum, un reporter de guerre aguerri, me lança tout de go : « Boy, bou dee jotee, ku deewoul goréwo ! » (A l’heure de la mort, rester en vie procède de la traitrise !). Puis, il a tenté de me revigorer en ces termes : « Au même titre que les soldats, nous avons reçu le drapeau du bataillon de la presse des mains du ministre de l’Information. Vous voyez, nous allons, nous aussi, informer le peuple et défendre la patrie » ironise Grand Loum, histoire de me remonter le moral. Bissau, nous y sommes ! Et précisément à Bra, une localité qui abritait la poudrière du camp militaire où s’étaient retranchés les mutins. Soudain, un déluge de feu s’est abattu sur la ligne de front. « Au sol, planquez-vous ! » hurle Amadou Mbaye Loum dans un instinct de survie et de camouflage aux explosions des obus. « Mais où est Alioune Fall ? Et Alassane Samba Diop ? Pape Ndiaye, Gaston Faye, Madior Fall… allez couchez-vous, couchez-vous ! » ordonne-t-il dans cet univers de feu déchiré par le sifflement des bombes tirées par les « orgues de Staline » des mutins de l’armée bissau-guinéenne.
Tels sont quelques échos de tranchées qui ont rythmé la vie d’Amadou Mbaye Loum sur presque tous les théâtres d’opérations où il a failli faire don de sa vie pour l’honneur de l’information et l’amour à la patrie. De Guinée-Bissau à la Centrafrique en passant par le Sud-Liban, la Gambie, le Libéria etc., Grand Loum a toujours généreusement usé de son expérience et de son vécu pour nous protéger contre la mort, les autres confrères et moi, au risque d’y laisser sa vie. La preuve par le Sud-Liban en 1979 où il a frôlé la mort en sautant sur une mine alors qu’il était à bord d’une Jeep de reconnaissance. Justement, c’est à partir de cette époque-là, me racontait-il souvent, qu’il s’est définitivement « réengagé » dans l’Armée pour le meilleur et pour le pire. Et tout ayant conscience que son périlleux devoir d’informer le peuple avide de connaitre les nouvelles de leurs « Jambaars » pouvait lui coûter le sacrifice ultime. Amadou Mbaye Loum s’en est allé !
A l’annonce de sa mort, on a assisté à un déluge de témoignages qui ont rendu hommage au grand journaliste aux qualités multidimensionnelles qu’il fut. Aucun d’entre eux n’a malheureusement révélé une des faces cachées du défunt, qui fut un grand blagueur doublé d’un humoriste. Un boute-en-train inspiré.
Dans les moments de peur et d’angoisse dans les tranchées irriguées par les pluies de bombes et les tirs des fusils, Amadou Mbaye Loum se distinguait de par sa capacité à dédramatiser les situations, à détendre l’atmosphère, à la rendre légère et amusante. Il allait jusqu’à se transformer en une sorte de « Koutia », ou imitant notre Haj Mansour national avec qui il partageait, pendant des années, les plateaux des fêtes de l’indépendance (4 avril). Doux, humble de cœur et d’esprit, Grand Loum savait qu’au front, le chant, l’humour et le conte sont les rares distractions pour les soldats et pouvaient aider à briser la glace. Et à faire sourire voire rire les autres.
Sur les fronts de la guerre comme sur les plateaux de télévision où il livrait les ultimes images d’une vie professionnelle pleinement remplie, Amadou Mbaye Loum a toujours forcé l’admiration et le respect. D’ailleurs, c’est ce qui explique qu’au départ de chaque expédition militaire, mon premier reflexe consistait à espionner le manifeste auprès de la Dirpa, histoire de savoir si Mbaye Loum serait ou pas du voyage. Toute réponse affirmative me faisait pousser un ouf de soulagement. En fait, c’était comme si mon moral dépendait de la présence d’Amadou Mbaye Loum, mon éternel « talisman» aux avant-postes. De par ses conseils et sa générosité à toute épreuve.
A l’image d’un soldat de l’information tombé au champ d’honneur, Mbaye Loum est parti pour de bon ! Il a glorieusement marqué son époque après m’avoir fait aimer l’Armée et les zones de conflit.
En cette douloureuse circonstance, je ne pouvais manquer d’user de mon devoir de reconnaissance à l’endroit de celui qui fut un compagnon d’ « armes » doublé d’un grand frère. Un devoir de reconnaissance très appuyé à l’endroit de ce digne fils du Sénégal, ce reporter de guerre sans peur et sans reproche, intrépide, talentueux, probe, intègre, patriote comme il le traduisait si bien dans ses brillants reportages.
A ses parents et collègues de la Rts ainsi qu’à l’ensemble de la presse sénégalaise et des forces de défense et de sécurité, « Le Témoin », par ma voix, présente ses vives condoléances. Que la terre de Yoff où Amadou Mbaye Loum repose désormais lui soit légère.
Pape NDIAYE
« Le Témoin » quotidien