Comme Henri, duc de Bavière, roi d’Allemagne, couronné empereur de Rome, Henri Camara veut devenir le seigneur de l’équipe du Sénégal avec 100 sélections. Ayant 98 capes à son actif, le Magnific Seven nous parle de ses meilleurs et moins bons moments passés dans la Tanière. Henri parle également de l’actu : le tirage au sort du Mondial, la signature de Sadio Mané à Liverpool entre autres questions.
Henri, à 39 ans allez-vous continuer à jouer au football ?
Dois-je arrêter ou jouer encore une année ? Je suis en train de réfléchir. Tout dépend de mes sensations. Pour l’instant, je n’ai aucun problème et tant que je peux jouer au football, je le ferai avec plaisir. Mon contrat est certes arrivé à terme, mais mon club a souhaité me conserver. Là, on n’est pas encore tombé d’accord sur les modalités. C’est vrai qu’en un moment, j’avais dit que j’allais arrêter mais j’ai connu une fin de saison en apothéose. Partant de là, les dirigeants ont jugé nécessaire de me conserver pour une année supplémentaire.
Quel bilan tirez-vous de votre long parcours de footballeur ?
Je suis très content d’avoir fait cette carrière. Il n’est pas évident de quitter l’Afrique pour aller s’imposer en Europe. Si on le réalise, on doit rendre grâce à Dieu. Par contre, sur le plan sportif, je ne suis pas du tout satisfait de ma carrière.
Et pourquoi ?
Parce qu’en un moment, j’avais mérité de jouer dans de très grands clubs. Je ne dirais pas que c’est par manque de chance mais je crois au destin qui a tracé ma voie. À chaque fois que je joue contre les grandes équipes, même les adversaires se posent la question de savoir pourquoi je n’ai jamais joué dans des clubs beaucoup plus huppés.
Qu’est-ce qui a fait que vous n’avez jamais pu intégrer les grands clubs ?
Je n’avais pas un management de qualité. C’est vrai que c’est le footballeur qui est sur le terrain mais il faut qu’il soit entouré de personnes ressources qui peuvent prendre certaines décisions avec lui. Lors de mon passage en Angleterre, je changeais de club presque chaque année. étant jeune, mon agent de l’époque Willy Mckay m’appelait souvent pour me faire part de l’intérêt d’un nouveau club avec une proposition salariale beaucoup plus importante. Et, à chaque fois que j’entendais le salaire j’y allais sans réfléchir.
N’était-ce pas une erreur de votre part de mettre en avant l’aspect financier ?
Je ne pense pas. Parce qu’en football si on ne met pas l’accent sur l’argent, souvent on vit une fin de carrière terrible. J’avais souvent peur parce que je ne veux pas vivre la même histoire que certains anciens. Je ne veux pas faire partie de ces anciens footballeurs qui n’ont pas préparé leur retraite. Je disais à mes proches que si cela arrivait, je serais la risée. Moi, je veux qu’après ma retraite les gens disent qu’Henri a effectivement fait des réalisations. Dans ce domaine, je remercie le bon Dieu.
Vous avez atteint votre objectif sur le plan financier ?
Sans prétention aucune, je dirais que j’ai atteint mes objectifs sur le plan financier. C’est bien beau de jouer dans des grands clubs et de gagner des titres. Mais, qu’on n’oublie pas que nous sommes issus de familles modestes et qu’après la carrière, il y a une autre vie. Il y a plein de footballeurs qui le regrettent parce quand ils jouaient, ils pensaient qu’ils ne pourraient jamais finir leur argent. Mais à la fin de leur carrière, ils vivent dans la galère. C’est un vrai drame. Moi, je ne suis très orgueilleux.
Pourtant sportivement, vous aurez dû atteindre vos objectifs ?
Bien sûr. La preuve, en 2006, quand j’étais à Wigan, avec 12 buts, des équipes comme Newcastle avaient fait une bonne proposition. Mais mon coach d’alors n’avait pas voulu me laisser partir. Il m’a convaincu de rester. Je ne l’ai pas regretté parce que j’avais l’un des meilleurs salaires du club.
Aller en Grèce n’est-ce pas une régression ?
Non pas du tout. Je suis parti en Grèce pour terminer en beauté parce que rien ne marchait pour moi en Angleterre. J’étais trop fatigué après huit ans passés en Premier League. Les Grecs m’ont donné l’opportunité de découvrir quelque chose d’autre. Je n’ai pas regretté ce choix. Le climat était propice et vraiment tout va bien.
Quel est votre plus grand souvenir de footballeur ?
C’est le jour où on m’a annoncé la naissance de mon fils. C’était en 2006, un vendredi. On préparait un match contre Charlton, l’équipe d’Amdy Faye. Je suis entré en cours de jeu et j’ai marqué le but de la victoire. On l’a bien fêté avec les coéquipiers. C’est avec ce but que j’ai accueilli la naissance de mon fils.
Et le parcours de 2002 ?
Ça aussi c’est une autre affaire. À chaque fois que j’entends les gens en parler, j’ai des frissons. C’est une histoire indélébile avec la finale de la Coupe d’Afrique et les quarts de finale de la Coupe du monde que personne n’imaginait. J’ai marqué un doublé (contre la Suède 2-1) qui a permis au Sénégal d’atteindre ce stade. Ça fait aussi partie de mes meilleurs souvenirs.
Pourtant vous n’étiez pas titulaire indiscutable ?
J’ai mal vécu ma non-titularisation en match inaugural de la Coupe du monde 2002. Rester sur le banc de touche fait partie de la vie d’un footballeur, mais je n’ai pas aimé la façon dont on m’a manqué de respect en 2002. Je suis une personne entière mais quand on me manque du respect, je me braque. Je vous dis qu’après le match contre la France, si j’avais mon passeport en main, j’allais rentrer au Sénégal. J’étais à l’étroit dans le groupe. Je ne pouvais pas comprendre, que je joue tous les matchs de qualification en tant que titulaire, que je marque des buts, fasse des passes décisives et, arrivés en Coupe du monde, que l’on me mette sur le banc sans explication aucune. C’est ce qui a rongé mon coeur. Et je vous assure que si j’avais mon passeport, j’allais bouder le groupe.
Pourtant, tout le monde dit que l’équipe de 2002 était une famille ?
Je n’étais pas du tout bien dans ma tête. Il y avait des faits et gestes que je ne pouvais pas supporter. Si je n’étais pas bien mentalement, ma carrière pouvait prendre un sacré coup. Même si tactiquement on devait faire des correctifs, c’était plus élégant de la part des entraîneurs de me donner des explications. J’entendais des incivilités contre moi, mais heureusement que la justice divine reste la meilleure. Dieu m’a permis de marquer, face à la Suède, les deux buts qui ont qualifié le Sénégal en quarts de finale.
Comment avez-vous surmonté cette période noire ?
J’avais heureusement ma famille. Celle-ci est restée à mon chevet malgré la distance. Mes parents m’ont fait comprendre que je pourrais jouer au fil des rencontres. C’est à partir de là que j’ai fait table rase de tout ce qui s’est passé. Je n’avais peur de rien.
Les observateurs pensent que votre génération a échoué en Angleterre contrairement à la nouvelle vague de Lions ?
C’est vrai que c’est nous qui avions ouvert le chemin de l’Angleterre au football sénégalais mais cette nouvelle génération a eu plus de chance. Ces jeunes travaillent. Je donne l’exemple de Sadio Mané qui a travaillé pour arriver à ce stade-là. Aujourd’hui, il peut avoir mieux que Liverpool. Il fera face à une concurrence rude, sans oublier les supporters qui lui mettront la pression. Mais il lui suffit de croire en ses qualités indéniables. Sadio a tout pour réussir. En tant que grand frère, je lui demande d’être mentalement fort et montrer qu’il a du caractère parce que ce n’est pas facile de réussir dans un grand club.
Qu’est-ce qui différencie votre génération de celle d’aujourd’hui ?
Je ne vais pas généraliser. Je sais que quelqu’un comme Sadio a travaillé pour arriver à ce stade. Il faut aussi reconnaître que ces jeunes là sont plus sérieux que nous dans le travail.
Quelle lecture faites-vous du tirage au sort des éliminatoires du Mondial 2018 ?
Sur le papier, les gens disent que c’est facile pour le Sénégal. Mais, j’ai personnellement peur du syndrome de 2006 où le Sénégal s’est fait éliminer par le Togo. Personne n’avait parié sur le Togo, on ne parlait que du Mali et du Sénégal parce que sur le papier on avait une très bonne équipe. À l’exception d’Adebayor, on ne connaissait aucun joueur du Togo. Aujourd’hui, si le Sénégal se trompe pour dire que c’est facile, il risque de le regretter. Les équipes supposées faibles sont toujours motivées. Il n’y a plus de petite équipe d’autant plus que tous les pays ont maintenant des expatriés, qui évoluent dans de très bons championnats. Il faut faire attention parce que rien ne sera facile. Mais je pense qu’avec Aliou Cissé, on peut avoir la chance d’aller en Russie.
Quel est l’adversaire dont le Sénégal doit le plus se méfier ?
Je dirais le Burkina Faso. Ils ont des joueurs de qualité. J’ai récemment suivi le match du Cap-Vert face au Maroc, mais c’est une équipe collective et les joueurs se connaissent bien. Ça sera un derby entre Sénégalais et Cap-Verdiens. Je pense que là aussi il faudra faire attention.
À 39 ans, avez-vous toujours envie d’atteindre la barre des 100 sélections en équipe nationale ?
Oui, c’est un rêve de gamin. Les 100 sélections font partie de mon histoire. Je ne peux plus en parler. Dans tous les coins de la rue, les Sénégalais me disent qu’ils prient pour que j’atteigne les cent sélections. Je ne vais pas m’accroupir pour demander mais si ça doit arriver ça se fera sans problème. J’ai défendu les couleurs de mon pays et si j’ai l’opportunité de le faire à nouveau, je le ferai sans problème.