Général Mangou : « Le seul lieu où je pouvais dire réellement ce qui s’est passé, c’est bien ici, à la CPI »

Le général Philippe Mangou, ex-chef d’état-major des armées ivoiriennes lors de la crise post-électorale, s’est à nouveau exprimé à La Haye mercredi 4 octobre, 8e jour de son témoignage devant la CPI dans le cadre du procès de Laurent Gbagbo et de son bras droit Charles Blé Goudé.

Ce mercredi 4 septembre 2017, le général Philippe Mangou, ex-chef d’état-major des armées ivoiriennes, est revenu lors de son témoignage dans le procès de Laurent Gbagbo et de son bras droit Charles Blé Goudé, devant la Cour pénale internationale (CPI), sur les raisons qui l’ont poussé à s’exprimer à La Haye, ses relations tendues avec l’Opération des nations-unies en Côte d’Ivoire (Onuci) ainsi que son emprisonnement.Un an de prison

« J’ai fait un an de prison en 2000. En 1995, à l’approche de l’élection présidentielle, il y avait des officiers qui envisageaient un coup d’État. Moi, j’étais commandant en second du Bataillon blindé. Il y avait le cousin du général Gueï  qui était le chef de corps. Comment on a su ? Très souvent, il me donnait des informations qui ne me paraissaient pas claires, entre autres, vérifier le sabotage des engins, vérifier la mise en feu (sic) des engins, s’assurer qu’on a des munitions. De fil en aiguille, on s’est aperçu que du côté du 1er Bataillon d’infanterie, des officiers étaient en train de s’organiser pour éventuellement faire un coup d’État. Quand on a su, j’étais à l’époque avec Dogbo Blé. À l’époque, il était capitaine. J’étais aussi avec le capitaine Kouamé Jules, actuellement général, commandant des forces terrestres. Et le capitaine Remark, lui, était à la Force d’intervention rapide des paracommandos (Firpac).

Nous avons donc pris un certain nombre de dispositions pour empêcher les sorties des unités de l’infanterie. Remark du côté de la Firpac et moi du côté du Bataillon blindé. Le coup a donc avorté. Quand ça a été avorté, j’ai été affecté à la Garde républicaine comme commandant en second, et Remark est resté au niveau de la Firpac. Le président Bédié a fait enfermer les six officiers auteurs du coup d’État avorté, le général Gueï a été relevé de ses fonctions de chef d’état-major des armées, mais nommé ministre de la Jeunesse et des sports. En 1999, quand le coup d’État a réussi cette fois-ci, […] je l’ai payé très cher (rire). Remark a pu aller en France en passant par le 43ème Bima. Moi, je n’ai pas pu me déplacer, je suis resté. Donc on a été enfermé ».

Plusieurs personnalités incarcérées

« Nous avons été enfermés dans des conditions pas très claires. Ange Kessi, qui était le commissaire du gouvernement, nous a tous convoqués dans la salle de conférences de l’état-major des armées. Nous étions un certain nombre d’officiers, tous du groupe (ethnique, ndlr) akan, pour nous dire que ce que nous avions fait était très grave et qu’il nous était reproché d’avoir attenté à la sécurité de l’État. Il nous disait comme ça : ‘Mais c’est très grave, je vous demande de prendre chacun un avocat, parce que ça va être des peines très lourdes’. À l’issue de cette séance, il nous dit : ‘Allez-y à la maison, prenez vos affaires et regagnez la prison’.

C’est ainsi que je suis allé chez moi à Yopougon. J’ai informé mon épouse de ce que je devais aller en prison. Après qu’elle m’a servi à manger, mon chauffeur m’a déposé en prison. J’étais le premier à arriver. Les autres ne sont venus que le lendemain. Donc, une fois en prison, je peux vous dire que j’ai porté véritablement la croix. Moi en particulier. Quand on était en prison, on était avec certaines personnalités politiques. Nous étions donc un certain nombre d’officiers akan. Il y avait avec nous M. Mamadou Ben Soumahoro, le ministre d’État Emile Constant Bombet, le général M’Bahia, le général Marius Tauthui – paix à son âme. Et un jour, ils sont venus me chercher disant que le Président (le général Robert Gueï, auteur du coup d’État de Noël 99, ndlr) voulait me voir ».

On nous a mis en slip sous des barbelés

Sévices subis au camp de la Poudrière

« Ce jour-là, c’est Chérif Ousmane (ex-seigneur de guerre de la rébellion, actuel commandant de l’armée, ndlr) qui est venu me chercher avec un de ses amis. On fait un tour à la présidence. De la présidence, on descend à la gare sud de la Sotra et on se retrouve à la Poudrière qui, à l’époque, était un véritable camp de concentration. J’y suis arrivé, je me rappelle bien un jeudi à 9 heures. On nous a mis en slip sous des barbelés. On vous tire des barbelés dessus, les soldats viennent danser sur votre dos. Vous voyez un peu la douleur. Ils nous ont frappés jusqu’à 17h30. On a eu notre salut avec l’arrivée d’un autre groupe. Et ceux qui sont passés à la Poudrière, beaucoup ont perdu la vie. Il y en a qui ont été blessés à vie. Certains ont perdu un œil. Il y en a qui ont perdu une jambe ».

Complot du « cheval blanc »

« Je suis resté là, jeudi, vendredi, samedi. Je vous montre mon doigt, j’ai encore les séquelles. Ce doigt, il est fracturé. Ils n’ont pas voulu que j’aille me faire soigner. Le corps, il est lacéré, là, je ne vous le montre pas. Et puis dimanche matin, c’est terrible, je n’ai pas compris. J’entends venir deux gendarmes. Un qui fait la diversion qui dit : ‘Il est où, on va le tuer ! On va le tuer !’. Et il ouvre le portail, et il me dit : ‘Remets-moi vite le numéro de cellulaire de ton épouse’. C’était un jeune ébrié. Donc je lui ai remis le numéro de cellulaire de mon épouse. Il est allé prévenir la Croix-Rouge. Et c’est la Croix-Rouge qui est venue et qui m’a sorti de là. J’avoue que ce gendarme, devenu chef d’état-major des armées, j’ai cherché à le rencontrer, je ne savais pas qui c’était. Donc on me prend, on me remet en prison, jusqu’à ce qu’il y ait le complot du ‘cheval blanc’. Ceux qui avaient fait le coup d’État avec Gueï qui étaient avec lui… Lorsque le général s’est senti véritablement dans sa peau de président, il a voulu se débarrasser de sa tenue, il a fait monter ce complot de ‘cheval blanc’, il est allé s’en prendre aux jeunes militaires qui l’ont aidé à venir au pouvoir. Donc les mêmes qui nous avaient mis en prison, les mêmes se retrouvent avec nous. Quand ils sont arrivés, on n’a pas voulu les recevoir ».

Famille persécutée

« Un jour, ils font partir des unités chez moi au village, ils prennent à 4 heures du matin mon petit frère – paix à son âme – qui est décédé également. Parce qu’ils ne connaissaient pas chez moi à Andokoi, il les conduit chez moi, ils escaladent la clôture, ils réveillent mon épouse qui venait d’accoucher d’un bébé d’un mois, ils prennent tout ce qu’ils veulent dans la maison, ils frappent mon épouse, ils prennent le bébé, pistolet sur la tempe, ils veulent tuer l’enfant. La mère court après eux dans les rues d’Andokoi pour qu’on lui remette son enfant. Le prétexte était que j’avais fui la prison alors que j’étais encore en prison. Et nous étions en prison et tout le temps, on priait. Quand Ange Kessi a entrepris de nous juger. Les premiers qui passaient, c’étaient les sous-officiers. Sans motifs, les premiers ont été punis de cinq ans de prison. Au fur et à mesure que les jours passaient, c’était des jours de prison, dix ans de prison. Il y a un qui a été condamné à perpétuité. Pour la petite histoire, il ne savait même pas ce que c’est que la perpétuité ».

« Les raisons de mon témoignage à la CPI »

« Monsieur le président, je voudrais juste vous rendre compte que quand on a servi à un haut poste de responsabilité, on se doit d’avoir le ventre profond, de parler peu et d’avoir un bon comportement. C’est ce principe qui m’a guidé depuis la fin de la crise post-électorale. C’est vous dire, monsieur le président, que je ne me suis adressé à aucun organe de presse, je n’ai accordé aucune interview, je n’ai fait aucune déclaration. Donc, ce que les gens ont pu lire ici et là dans les journaux, n’est pas de moi. Et pour vous le dire, Monsieur le président, j’étais pressé de venir ici. Vraiment pressé. Plus le temps passait et plus cela m’ennuyait. Parce que pour moi, la seule tribune, le seul lieu où je pouvais dire réellement ce qui s’est passé, c’est bien ici à la CPI. Ou devant un autre tribunal. Je me suis gardé de dire à qui que ce soit ce qui s’est passé.  Donc, j’étais vraiment pressé d’être ici parce que j’ai essayé, à ma manière, de servir mon pays. Je suis un humain, je peux faire des erreurs, mais certaines personnes n’ont pas compris pourquoi j’ai réagi ainsi, alors que j’étais au devant des combats, je défendais la République, pourquoi dans la deuxième phase de la crise, je n’ai pas pris part aux combats. Les gens ne comprennent pas. Et il fallait que je vienne ici pour leur expliquer cela ».

« Merci »

« Je voudrais vous dire merci pour l’opportunité que vous m’avez donnée de venir ici témoigner. Ça permet à tout le monde, la communauté internationale, la communauté nationale de savoir ce qui s’est passé. Et je l’ai fait sous serment, mais je l’ai aussi fait en me basant sur les trois lois divines : tu ne mentiras point, tu ne diras point de faux témoignages contre ton prochain. Je suis fils de pasteur, monsieur le président. Donc, vraiment j’étais très pressé de venir et c’est tout à fait normal ».

Colère contre l’Onuci

« La mission de toute armée est de protéger les populations et je me suis opposé à cette manière. L’Onuci donnait dans la provocation. C’est pour cela que personnellement, je me suis déplacé partout où les jeunes Ivoiriens sont touchés par les tirs des Forces spéciales, pour les encourager et, au besoin, pour donner un peu d’argent pour que des soins leur soient prodigués. Nous n’avons jamais été d’accord sur cette manière de faire les choses. La balle qui sort du canon n’est pas adressée à un jeune de LMP (L’ex-majorité présidentielle de Laurent Gbagbo) ou du RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, actuelle mouvance présidentielle, ndlr) ou un jeune du PIT (Parti ivoirien des travailleurs de Francis Wodié, ndlr). Elle ne choisit pas son camp. Nous l’avons relevé. J’ai vu le général Abdul Hafiz (commandant de la force onusienne) et je le lui ai dit. Je suis allé défendre leurs éléments, il faut bien qu’en retour, ils me rendent la bonne monnaie. Mais, là-dessus, nous nous sommes toujours battus. Ce sont treize Bangladeshis que je suis allé secourir à Yopougon. Je ne les connaissais pas, mais par le simple fait que c’étaient des frères d’armes, je me devais d’aller les secourir. Donc, si je le fais pour leurs éléments, il faut bien qu’en retour, ils me rendent la bonne monnaie ».

« L’Onuci a souvent tiré sur les jeunes Ivoiriens. Tout simplement parce qu’ils ont mis un branchage sur la route pour empêcher le passage du char, ou bien tout simplement parce qu’ils se sont opposés à leur déplacement, ils ont tiré sur eux ».

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