Suite aux mises en cause récurrentes, dans des histoires d’argent et / ou de partage de postes, de responsables de premier plan de la Gauche historique sénégalaise, le silence des Partis qui s’en réclament est pesant, voire intrigant. Ce silence interpelle tous ceux qui, comme moi, ont fait partie des petits fantassins animant, grèves sur grèves, au Lycée et à l’Université pour la gloire de « leaders » mythifiés par le halo de mystère dû à la clandestinité. Pour la reconnaissance due aux centaines de petits soldats qui badigeonnaient les murs nuitamment , imprimaient les tracts sur les stencils de l’administration à son insu, occupaient la rue en faisant face aux Forces de l’ordre, sans compter les vies personnelles durablement perturbées, la Gauche sénégalaise se doit de se regarder dans le miroir et se remettre en question. Profondément. Pour se donner une chance de renaître de ses cendres, ou alors pour permettre la germination de nouvelles graines…
Eh oui! Les Partis de Gauche ont eu leur heure de gloire du temps de la division du Monde en deux blocs distincts, structurés autour de deux visions antagoniques. Ces entités étant définies comme le bloc de l’Est et celui de l’Ouest. L’Est étant socialo-communiste et l’Ouest libéral et capitaliste. Ces deux blocs irréductibles, ont dominé le monde après la seconde guerre mondiale. Satellisant tous les pays tiers, les puissances sorties victorieuses de la seconde guerre mondiale, suite à des arrangements concoctés à la Société des Nations (SDN) qui sera liquidée pour fin de mission en 1946, vont plonger le Monde entier dans une période dite de la Guerre froide (en Occident) et chaude partout ailleurs! Comme par hasard…
Pendant plus d’une cinquantaine d’années, l’Europe de l’Ouest et les États-Unis d’un côté, l’Union soviétique et les pays d’Europe de l’Est de l’autre, vont installer le monde entier dans une configuration géopolitique qui, nous le voyons clairement maintenant, était mûrement réfléchie et rondement menée pour aboutir à la mondialisation. C’est à dire, schématiquement, le dépérissement progressif des appareils d’Etat-nations au profit, plus global, du marché c’est-à-dire celui des plus grosses entreprises multinationales. On y est presque! Il va falloir d’ailleurs approfondir l’analyse sur ces séquences historiques, qui se sont jouées hors notre vue, pour mieux comprendre tout ce qui nous tombe sur la tête. Nous? Je veux dire l’Afrique balkanisée depuis le partage de Berlin. L’Afrique à la merci de prêts-à-penser qui concourent à son endormissement…
Mais revenons à nos moutons. La Gauche sénégalaise, orpheline donc de l’effondrement du bloc de l’est et de ses satellites, mais également décontenancée par le virage « capitalistique » de la Chine de Mao Tsé Toung, semble avoir perdu ses repères. Repères éthiques et moraux surtout. Les Partis de Gauche se caractérisaient par la solidité mentale de leurs militants qui mettaient l’intérêt du Peuple au dessus de toute autre considération. Ils sont devenus des appareils désincarnés qui, s’ils tombent entre des mains sans scrupules, pourraient devenir des monstres d’inconstance et de vénalité.
Il nous faut alors, d’urgence, une…Glasnost à l’instar du processus qui a abouti au démantèlement de l’empire soviétique. Internet et les réseaux sociaux offrent l’opportunité de sortir le débat des cercles fermés de la pensée unique qui caractérisent les milieux gauchistes. Il nous faut faire, impérativement, le bilan du Marxisme-Léninisme ou de ce qu’il en reste. Il nous faut évaluer l’apport des courants socialistes et du communisme au Monde, mais surtout à l’Afrique. Et notamment chercher, s’ils existent, les pays qui ont réussi en s’inspirant de ces modèles? Et, au bout de tout cela se demander: Que faire? Lénine se le demandait déjà ! Si la question reste actuelle, pourquoi? Il nous faut dans le même temps comprendre, pourquoi en Europe la Gauche et la droite, dans leurs extrêmes, se touchent! Il est tout de même étrange qu’en France et dans la plupart des pays européens l’électorat d’extrême-droite et celui d’extrême-gauche puisent dans le même vivier. Bizarre…
Au vu de tous ces phénomènes, aussi étranges les uns que les autres, l’une des composantes du dialogue national dans notre pays devra être, nécessairement, une clarification des lignes politiques…héritées d’une autre histoire. Cela va mettre en lumière les ressorts sous-jacents des nébuleuses que constituent les coalitions électorales qui se muent en attelage gouvernemental sans discussion préalable, ni de programme ni de principes directeurs qui soient rendus publics. Elles sont, au demeurant, le lieu de toutes sortes de petits traffics dont l’actualité commence à nous révéler les secrets.
Au vu de son Histoire et du nombre de martyrs qui ont sacrifié jusqu’à leurs vies pour la défendre, la Gauche sénégalaise et ceux qui s’en réclament doivent se remettre en question. Courageusement. Pour se réinventer. Au besoin en ne se réclamant même plus de la notion de Gauche! Pour mémoire, les notions de gauche et de droite sont nées le vendredi 28 août 1789, pendant la Révolution française lors du vote d’une loi à l’Assemblée constituante: ceux qui étaient pour, et en faveur du Roi, se mirent à la droite du Président et ceux qui étaient contre, tiers-états et serfs, se mirent à Gauche. D’une simple répartition spatiale à l’Assemblée constituante française on a fait des pôles de convergence universels ! Ces pôles sont de plus en plus désuets. Osons sortir de ces schémas obsoletes pour inventer autre chose! N’est-ce pas Karl Marx qui aurait dit: » Lorsque on a vu clair dans les enchaînements, toute croyance théorique en la nécessité de l’état présent sombre avant que dans la pratique elle ne s’effondre… » ? Il n’y a pas à dire, il était surdoué!
Je connais le patriotisme des militants authentiques de la Gauche. Ils ont une foi et un engagement inaltérables. Il s’agit, par delà les prétextes fournis par l’actualité récente, de procéder à l’ouverture de débats de fond pour redonner du sens à l’engagement en Politique. Il s’agit ici de déconstruire les appareils et de dépoussiérer les paradigmes. Il s’agit de redonner du sens à toutes ces énergies captives d’une époque révolue pour les engager vers les chantiers actuels. Il ne s’agit nullement de procès d’intention ni d’invectives crypto-personnels. Ne nous égarons surtout pas!
» Oser lutter, oser vaincre » disait Mao. Alors, Renversons les contenants et renouvelons les contenus!
Amadou Tidiane WONE