Depuis la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016 en Turquie, le président Recep Tayyip Erdogan a lancé une véritable chasse aux sorcières à travers le monde contre les réseaux d’écoles, d’entreprises et d’ONG liées à la confrérie Gülen, accusée par ses détracteurs de promouvoir un islam conservateur et prosélyte, voire d’être le faux nez d’une organisation terroriste.
Dakar semble avoir été mis sous pression. Ankara propose de récupérer les établissements Gülen en les mettant sous la tutelle de la fondation turque Maarif, qui en assure la transition éducative. Créée le 17 juin 2016 par une loi adoptée par la Grande Assemblée nationale de Turquie, cette fondation à but non lucratif mais disposant « d’importants moyens financiers », aux dires de Mahmut M. Ozdil, membre de son conseil d’administration, est aujourd’hui présente dans 26 pays dont plus d’une dizaine en Afrique.
Pour que la transmission des écoles Yavuz Selim à la fondation Maarif se fasse rapidement, Ankara a déjà versé 2,5 millions de dollars au Sénégal, soit le tiers des 7,5 millions de dotation initiale pour les trois premières années d’activité de la fondation. Difficile désormais pour Macky Sall de faire marche arrière.
Son coup de poker est risqué. En accédant aux demandes de M. Erdogan, il débloque certes des investissements au développement des infrastructures du pays mais s’aliène une partie de son électorat à moins de deux ans de la présidentielle de 2019. Notamment les parents des 3 000 élèves des écoles Yavuz Selim qui, pour nombre d’entre eux, sont issus de la classe moyenne supérieure comprennant fonctionnaires et entrepreneurs influents.
Cependant, sur le plan juridique, l’affaire pourrait s’avérer plus compliquée. Afin d’échapper à une confiscation par l’Etat sénégalais, Madiambal Diagne, président du conseil d’administration des écoles Yavuz Selim – également directeur du journal Le Quotidien – avait vendu le 8 novembre 2016 les établissements de l’association Baskent Egitim à une nouvelle société nommée Yavuz Selim S.A., dont le capital est détenu à 64 % par la société française Horizon Education. Une stratégie qui pourrait se montrer payante au tribunal puisque l’arrêté du ministère datant du 7 décembre 2016 et notifié le 6 février 2017 porte sur l’abrogation de l’association Baskent Egitim qui, à cette date, ne possédait déjà plus les établissements. Pour Me Moussa Saar, cela ne fait aucun doute, l’Etat s’est attaqué à une coquille vide.
Me Moussa Sarr, avocat de groupe scolaire Yavuz Selim (droite) avec Madiambal Diagne, devant le ministère de l’intérieur sénégalais à Dakar après une discussion avec le ministre, le jeudi 5 octobre 2017. Me Moussa Sarr, avocat de groupe scolaire Yavuz Selim (droite) avec Madiambal Diagne, devant le ministère de l’intérieur sénégalais à Dakar après une discussion avec le ministre, le jeudi 5 octobre 2017
Afin de calmer les critiques des parents d’élèves tout en accédant aux exigences d’Ankara, Serigne Mbaye Thiam, le ministre sénégalais de l’éducation nationale, a proposé une solution lundi. Que son ministère « assure l’administration provisoire des établissements Yavuz Selim », promettant ainsi que « les cours pourraient reprendre dans une semaine ». Une proposition à laquelle s’oppose l’administration de Yavuz Selim par la voix de son avocat, qui y voit « un coup de force politique ».
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