L’OBS – Que serait Fata sans son «El Présidenté» ? Tentés de penser qu’il a été destitué de son fauteuil de «président» des rappeurs, il nous convainc du contraire. Toujours égal à lui-même, Moustapha Nguingue de son vrai nom, ne fait pas dans la langue de bois, pour remettre à leur place ceux qui contestent sa supériorité, bien qu’effacé de la scène. En aparté avec Prési…
Fata, depuis un moment, vous n’êtes plus au devant de la scène. Etes-vous toujours El Présidenté, comme vous le réclamiez ?
Je le suis toujours ! Jusqu’à la fin des temps, je serai indétrônable. Je serai toujours le président. C’est d’ailleurs ce qui me pousse à toujours vouloir le meilleur pour mes jeunes frères du mouvement Hip-Hop. J’essaie, tant bien que mal, de les mettre sur de bons rails, car ils ont pris une mauvaise voie. C’est la musique sénégalaise qui prend une mauvaise direction.
Pourquoi dîtes-vous cela ?
La musique sénégalaise, quel que soit le style, est malade. Les mbalakh-men ont certes plus d’opportunités, car ils peuvent chanter les louanges de quelqu’un et s’attendre à être gracieusement récompensés. Le rappeur ne peut se le permettre. Dans chaque étape de l’industrie musicale, il y a des blocages. C’est comme si nous nous engagions aveuglément dans un gouffre. En ce qui me concerne, je suis inscrit à la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) et j’ai la chance de bénéficier de mes œuvres à l’international. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Au Sénégal, on pense que pour tourner la machine, il faut se contenter de donner un concert et être applaudi. Les albums ne marchent plus et pour organiser un grand événement, on ne peut que compter sur soi-même. Donc, ce n’est pas évident d’exister sur la scène. C’est pourquoi, je me suis un peu retiré et en attendant d’y voir plus clair, je me consacre à mon prochain album international et à mes recherches artistiques.
Vous étiez également animateur dans une télé de la place, mais on ne vous voit plus sur le petit écran ?
C’est vrai, je ne suis plus présent sur le petit écran, mais ce n’est que j’ai des soucis avec les patrons de la chaîne. Loin de là, sinon, vous m’auriez vu sur une autre télé. J’ai senti que la télé n’avait plus d’enjeux pour moi, plus aucun défi et je me suis dit qu’il valait mieux arrêter.
Selon vous, que faut-il pour faire tourner l’industrie musicale ?
S’agissant du Rap, si on ne change pas la façon de le faire, on ne va jamais s’en sortir. La seule option, pour espérer aller de l’avant, c’est d’exporter sa musique. Or, au Sénégal, on a plus tendance à se limiter aux écoles ou dans les quartiers. A ce rythme, rien ne sera réglé. Tous les jours, de nouveaux artistes émergent, mais leur popularité ne risque pas de dépasser nos frontières. Au bout d’une année, ils retombent dans l’anonymat, aussi facilement qu’ils en étaient sortis.
N’empêche, le Rap a plus de probabilités de s’exporter…
Ce n’est pas notre Rap qui est une pâle copie de celui américain. Nous sommes Africains et Sénégalais particulièrement et sommes forcément appelés à faire du Rap africain. Ne serait-ce que pour nous identifier dans le monde. Mais, ce n’est pas ce qui est observé. La nouvelle génération fait du Rap comme les Américains. Cela n’a aucun sens. Ils sont tous persuadés que c’est à singer les Américains qu’ils vont percer. Malheureusement, ils se prennent pour des stars et ne prennent même pas la peine d’écouter mes conseils. C’est dommage ! Depuis lors, j’essaie de créer une musique à rythme traditionnel dans le Rap, mais c’est très difficile, voire mission impossible. Il faut que ce soit un courant pour pouvoir passer comme ça se passe au Nigeria.
De votre point de vue, faut-il mêler les rythmes traditionnels au Rap ?
Oui c’est incontournable ! Tant qu’on ne sera pas dans un circuit où tout le monde se retrouve, ça ne pourra pas marcher.
Pourtant, c’est ce style qui fait que vous êtes voué aux gémonies par vos pairs. Vous êtes mal aimé au sein du Hip-Hop ?
S’ils avaient raison sur moi, j’aurais arrêté de revendiquer ce style depuis belle lurette. Mais, je peux vous assurer qu’ils ne connaissent pas mieux que moi, l’histoire, les principes et fondements du Hip-Hop. Ils n’ont pas plus d’expérience que moi. L’Amérique qu’ils prennent comme référence, je l’ai foulé avant eux. Si je vais jusqu’à mettre de côté leurs touches pour mettre en exergue ma culture, ce n’est pas pour rien. Il y a Fada Freddy qui, s’il marche énormément dans le monde, c’est parce qu’il a été créatif. Ce n’est pas le Rap qui l’a amené à ce niveau. D’ailleurs, beaucoup de rappeurs l’ont compris, même s’ils ne le crient pas sur tous les toits, comme je le fais.
Ce style que vous revendiquez ne vous porte-t-il pas préjudice, dans le sens où vous vous marginalisez ? La preuve, lors de vos deux spectacles au Grand-Théâtre, vous n’êtes pas parvenu à faire salle comble ?
Je suis populaire par rapport à ce style. Beaucoup s’y retrouvent. Concernant le Grand-Théâtre, ma première préoccupation était de démontrer ma dimension artistique. Avec ou sans sponsors, je fais avec les moyens du bord. Même s’il y a 10 personnes, elles verront qu’il y a un travail qui a été fait et que musicalement, je suis au top. Si les autres sont plus intéressés par remplir la salle, on sait tous comment ça se passe : on invite 90 rappeurs à faire la première partie et offre les tickets d’entrée. Quant à moi, je n’invite personne, pas que je n’ai besoin de personne, juste que celui qui ne partage pas mon style, n’a pas à être associé à ce que je fais. J’assume mon style et n’ai aucun complexe à être seul sur ma route.
De là à n’inviter que les Mbalakh-mens sur votre scène…
Peu importe comment mes pairs vont l’interpréter, mais les Mbalakh-men, eux au moins, sont détachés de toutes ces considérations qui minent le mouvement Hip-Hop. En plus, je n’ai pas invité n’importe qui. Youssou Ndour était de la partie et ça, c’est mon expérience qui a payé.
Mais à ce rythme, ne pensez-vous pas que votre côte de popularité va en pâtir, que la nouvelle vague risque de vous faire de l’ombre ?
C’était souvent un sujet de discussions entre feu Pacotille et moi. Certains rappeurs, surtout les nouveaux, se prennent pour des célébrités, alors que dans les coins les plus reculés et même dans la proche banlieue, on ne les reconnaîtrait pas. Tandis que moi, au fin fond du Sénégal, on me pointera du doigt, à mon passage, comme ça été le cas, très récemment. Je respecte ce que font les jeunes rappeurs et ne peux, en aucun cas, être jaloux d’eux. Mais, qu’ils sachent qu’ils sont loin d’avoir mon parcours et mon background dans la musique. Mon style fait mon originalité, alors que pour eux, c’est une barrière. Tant qu’ils ne l’auront pas franchie, ils n’iront pas loin. Si ce n’est que le talent, je suis loin devant eux.
Comment analysez-vous les dérapages, comme les insultes, que l’on remarque, de plus en plus, dans le Hip-Hop ?
C’est quelque chose que j’ai toujours proscrit. Mes textes ont toujours été corrects et engagés. Il faut que les gens reviennent sur terre et sachent dans quel pays nous sommes. Nous avons nos réalités et les injures dans les chansons, ne sont pas tolérées. Tout ceci découle du fait qu’ils copient les Américains…
PAR MARIA DOMINICA T. DIEDHIOU
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