Il surmonte son handicap par un talent et un savoir faire hors normes. Jean Phillipe Rykiel puisqu’il s’agit de lui est une icône de la World Music qui ne se présente plus. Aveugle de naissance, cet artiste auteur compositeur arrangeur pianiste maîtrise son art d’une clairvoyance incroyable. En attestent son vécu de musicien globe trotter qui dresse un cv impressionnant grâce à des collaborations avec des sommités de la musique moderne: Salif Keita, Xalam, Lokua Kanza, Youssou Ndour etc…pour ne citer que ceux là. En exclusivité, ce pêcheur de notes et virtuose de la musique nous parle de son parcours, de ses aventures dans les différents pays africains, ses rencontres avec Youssou Ndour Prosper Niang et le Xalam.
Pouvez-vous vous présenter a NOS INTERNAUTES?
J’ai commencé ma carrière grâce à mes duos aux synthétiseurs avec Tim Blake au cours de la Crystal Machine, projet audio-visuel né dans à la fin des années 70, et basé sur des shows mêlant musique et jeux de lumière et laser, en France et au Japon.
Plus tard, j’ai passé beaucoup de temps en collaborant avec divers musiciens, notamment Salif Keïta, le moine tibétain Lama Gyourmé ainsi que Youssou Ndour.
Vous avez eu à collaborer avec beaucoup de sommités de la musique sénégalaise. Comment le contact s’est passé avec ces artistes?
C’est une longue histoire qui a commencé en 1978 lors de ma rencontre avec un musicien un batteur Ghanaéen Freduah Ageymang. Quand je l’ai rencontré, j’ai été tout de suite séduit par sa bonne humeur sa convivialité. On s’est retrouvé, on a joué ensemble. Et en 1982, il m’a emmené au Ghana qui est le premier pays africain que j’ai visité.
Quand je suis arrivé au Ghana, 4 jours après, il y avait le coup d’Etat de Jerry Rawlings. Je devais rester un mois là-bas mais tous nos projets musicaux étaient tombés à l’eau.
Mais on pouvait faire quand même un peu de musique. Il y a des endroits en plain air où on pouvait faire de la musique. J’ai découvert la chaleur de la société la vie en famille les gens qui mangent dans le même plat avec les mains. Il y avait toute une convivialité qui m’a trop plus. Les gens étaient souriants malgré le coup d’Etat et les problèmes du pays. J’ai été séduit par cette vie africaine. Quand je suis rentré je me suis dit que ce continent m’appelle et je vais avoir besoin d’y retourner assez souvent.
Grâce à ce monsieur, je suis entré en contact avec beaucoup d’autres musiciens africains de plusieurs pays, le Cameroun, le Bénin en particulier un guitariste Alain Agbo. Un jour, je suis parti dans un festival à Paris. Là-bas j’ai vu un groupe qui s’appelle Xalam et là c’était le coup de foudre. A l’époque, c’était un groupe qui alliait musique sénégalaise et jazz en plus de la formation classique clavier, guitare, batterie. En plus du saxo et de la trombone qui donnaient une couleur jazz.
J’étais un peu timide…J’étais très impressionné. J’en ai parlé à Alain, il me dit que Prosper était un ami et qu’il pouvait me remettre son numéro. A l’époque, j’étais très jeune, c’était en 1983-84. Un jour, je l’appelle et il décroche avec sa voix cassée. Je commence à me présenter. Bonjour, je m’appelle Jean Phillipe Rykiel, je suis pianiste et il ne me laisse même pas continuer. Il me dit mon frère je te connais. On est resté une heure à parler au téléphone. Le lendemain, il était chez moi avec un carton plein de cassettes. Il m’a fait écouter beaucoup de musiques des joueurs de xalam, Doudou Ndiaye Rose. Il m’expliquait les codes et beaucoup d’autres choses.
Ensuite, Prosper m’a invité au Sénégal. Je suis resté une semaine avec lui. ça devait être en 1984-85. C’était un homme très généreux qui n’aimait pas garder les choses pour lui. Il m’a présenté tous les grands chanteurs, le Super Diamono, un joueur de kora Lamine Konté et Youssou Ndour. A l’époque, ce dernier jouait je crois au Kilimandjaro. Je suis monté sur scène on a joué après on s’est perdu de vue. J’ai par la suite intégré le Xalam, on a a fait deux albums avant son décès “Apartheid” et “Xarit”.
Youssou est revenu en France pour l’album Nelson Mandela on s’est revu il travaillait à l’époque avec Habib Faye. “Nelson Mandela” a été notre première collaboration, on s’est encore perdu de vue jusqu’à l’album “Eyes open”.
ça a été très douloureux. Prosper c’était quelqu’un qui s’est tué au travail. Il avait le cancer, il n’arrêtait pas de tourner avec nous malgré son mal. Il est allé à l’hôpital et c’est comme ça qu’il est décédé. S’il avait pris les choses à point, il serait peut être toujours vivant.
J ai retrouvé le Xalam il n’y a pas très longtemps, lors du concert de leur 40 ans au stade Iba Mar diop. Je suis toujours en contact avec le Xalam.
Peut-on considérer que votre rencontre avec Youssou Ndour pour l’album Nelson Mandela a été le déclic de son succès sur le plan international?
Non, c’est avec “Seven seconds” de Nene Cherry et ses musiciens. Ce n’est même pas avec les musiciens du Super Etoile et c’est ce morceau qui a fait décoller la carrière de Yousou.
Avant, Peter Gabriel avait commencé avec “Lion”. Ce sont eux qui ont propulsé Youssou. Seven Seconds ce n’est pas du tout Sénégalais comme musique, mais Youssou avec sa belle voix a donné une autre couleur, Nene Cherry a enveloppé ça dans un univers house hip hop. Ce qui fait le charme de cette chanson.
Selon vous, qu’est-ce que Youssou Ndour a de plus que ses autres collègues chanteurs sénégalais et africains en général?
Un professionnalisme, un sens de l’organisation. Il est aussi très modeste. C’est une star, mais il ne se prend pas la tête. On voyageait ensemble dans les bus, il était tout le temps avec nous. C’est quelqu’un de très humain moi je suis fan de lui.
Quelles sont les productions des artistes Sénégalais qui vous ont marqué?
Mon album préféré de Youssou est Set dans lequel je n’ai pas joué mais qui est fantastique. Il y a de grands musiciens Seydina Wade avec qui j’ai travaillé. Au Sénégal, j’ai entendu de grands chanteurs comme Ndiaga Mbaye et Samba Diabar Samb. Leurs musiques ne s’étaient pas du tout occidentalisé. C’était une musique qui n’avait pas besoin d’arrangement. C’était une musique parfaite avec leur belle voix, le xalam, même si je ne comprenais pas trop le Wolof.
Il y a aussi un artiste que j’aime bien Yoro qui a de très belles mélodies. J’ai beaucoup regretté Doudou Ndiaye Rose avec qui je n’a pas travaillé, mais on a eu à faire quelque chose, à l’occasion de son jubilé.
Le potentiel de la musique sénégalaise repose sur quoi selon vous?
Il y a un problème avec la musique en général. Les gens ont tendance à se copier les uns des autres les trucs de marimba de coupé…Il y a beaucoup de choses qui se ressemblent qui deviennent un peu énervant. En France, c’est la même chose avec la techno les musiques mécaniques. On est un peu sur une mauvaise pente, parce que la musique doit s’adresser au corps et à l’esprit à la fois.
Quel est le meilleur souvenir que vous gardez du Sénégal
Les soirées au Thiossane avec Youssou. Il y avait les premières parties avec Ouzin Ndiaye à minuit et vers 1 heure du matin Youssou arrivait et c’était une ambiance électrique.
On jouait puis on allait manger à la pâtisserie de la Médina avec les pains au chocolat et milkshake. J’ai fait deux fois trois mois avec Youssou en 1991 et 1993 pour l’album Eyes Open et Womatt.
Entretien réalisé par Amadou Lamine Mbaye