En Équateur, des dizaines de centres privés proposent des « traitements » pour « soigner » les personnes homosexuelles ou transgenres, en toute illégalité. Humiliations, viols, torture : les abus sont nombreux dans ces centres, officiellement dédiés au traitement des addictions à la drogue ou à l’alcool. Après avoir échangé longuement avec trois femmes ayant séjourné là-bas, la photographe Paola Paredes a reconstitué ces lieux et leur quotidien à travers une série de photos.
Paola Paredes est une photographe équatorienne âgée de 31 ans. Elle a entendu parler de ces centres pour la première fois en 2013, grâce à une amie.
Cette année-là, l’histoire d’une jeune femme lesbienne avait fait grand bruit en Équateur. Envoyée dans l’un de ces centres contre son gré, elle avait finalement pu en repartir au bout d’une vingtaine de jours, grâce à la mobilisation d’activistes LGBT. Elle avait ensuite dénoncé les mauvais traitements qu’elle avait subis sur place, ce qui avait abouti à la fermeture de la structure.
Dans ces centres, les « patientes » sont parfois forcées d’ingurgiter une boisson au goût infâme lorsqu’elles se sont « mal comportées ». Photo : reconstitution de Paola Paredes.
Les « patients » sont généralement contraints de prier ou de lire la Bible, afin de « sauver leur âme ». Photo : reconstitution de Paola Paredes.
« Les filles sont parfois forcées à rester dans une baignoire remplie d’eau glacée »
Paola Paredes
Quand on m’a parlé de ces centres pour la première fois, ça m’a choquée : je me suis dit que je pouvais également être envoyée là-bas ! À l’époque, je n’avais pas encore dit à ma famille que j’étais homosexuelle…
C’est à partir de ce moment-là que je me suis intéressée à ces centres. J’ai alors commencé à rechercher des informations, afin de réaliser un projet photographique sur le sujet : j’ai lu des témoignages, j’ai contacté des organisations LGBT… Mais au début, personne ne voulait témoigner directement !
C’est finalement une amie qui m’a donné le contact d’une fille ayant séjourné dans l’un de ces centres, durant quatre mois. Nous avons commencé à discuter au téléphone en décembre 2015. Nos échanges ont duré six mois : ça a été une sorte de catharsis pour cette fille, puisqu’elle était en situation de stress post-traumatique. Ensuite, j’ai réussi à trouver deux autres victimes acceptant de témoigner de façon anonyme, qui étaient restées enfermées durant 12 et 6 mois.
Leurs témoignages étaient assez similaires et correspondaient à ce que j’avais lu : elles avaient été maltraitées physiquement, c’est-à-dire battues, forcées à rester dans une baignoire remplie d’eau glacée…
Les filles peuvent être battues avec des câbles ou recevoir des coups de pied, si elles refusent de manger par exemple. Photo : reconstitution de Paola Paredes.
Certaines filles ne parviennent pas à s’endormir la nuit, notamment lorsqu’elles entendent les cris de celles qui se font torturer (des cas d’électrocution ou encore de submersion dans l’eau froide ont été répertoriés). Photo : reconstitution de Paola Paredes.
Par ailleurs, elles avaient aussi été maltraitées psychologiquement. C’est pourquoi elles ne sont pas ressorties indemnes de ces centres.
Généralement, ce sont les familles qui amènent les personnes dans ces centres, contre leur volonté. Parfois, elles savent très bien ce qu’il s’y passe, mais je pense que ce n’est pas toujours le cas.
Une jeune femme a déjà bu du shampoing afin de tomber malade et d’être transférée dans un hôpital. Photo : reconstitution de Paola Paredes.
« J’ai pris les photos dans des endroits ressemblant à ces centres »Dans le cadre de ce projet, il y avait deux difficultés principales : je ne pouvais pas aller dans ces centres pour les photographier et les victimes ne voulaient pas être prises en photo.
Par conséquent, j’ai pris les photos dans une dizaine de lieux ressemblant à ces centres – une prison abandonnée par exemple – à Quito. Et j’ai choisi d’apparaître dessus, avec des acteurs. Toutes ces images ont été prises entre juillet et septembre 2016 et correspondent à des situations vécues par les victimes.
« Certaines familles dépensent 500 dollars par mois pour faire ‘soigner’ quelqu’un »On ne sait pas exactement combien de centres « soignent » les homosexuels. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont généralement situés dans des petits villages isolés, donc il est difficile de s’enfuir. De plus, c’est un business pour ceux qui le gèrent, puisque les familles peuvent dépenser 500 dollars [445 euros, NDLR] par mois pour faire « soigner » quelqu’un.
Ces « traitements » sont illégaux. En 2011, le ministère de la Santé, qui est chargé de contrôler ces centres,
en a d’ailleurs fermé 30. Mais plusieurs d’entre eux auraient rouvert depuis… Par ailleurs, beaucoup restent ouverts grâce à la corruption : par exemple, des policiers préviennent les centres lorsqu’ils savent qu’ils vont être contrôlés, pour qu’ils cachent les personnes homosexuelles. Beaucoup reste donc à faire.
Le ménage est l’une des principales tâches confiées aux personnes enfermées dans ces centres. Photo : reconstitution de Paola Paredes.
Le mouvement All Out a créé un site Internet où il est possible de dénoncer les groupes ou les centres « soignant » les homosexuels dans le monde, puisque cette pratique existe également au Brésil, en Chine ou encore en Russie.
L’homosexualité a été dépénalisée en Équateur en 1997.