Voter le statut du chef de l’opposition, changer le règlement intérieur de l’Assemblée nationale pour rendre aux députés leur dignité, réhabiliter l’institution parlementaire. C’est là tout l’enjeu des élections législatives pour Mamadou Lamine Diallo. Le leader de Tekki, dans cet entretien avec EnQuête, tacle le chef de l’Etat Macky Sall, avant d’inviter les différents leaders de l’opposition à s’entendre autour de l’essentiel afin d’aller ensemble aux élections législatives.
En perspective des Législatives, on a l’impression que ça bouge beaucoup plus au niveau de la mouvance présidentielle que de l’opposition. Est-ce que cela ne risque pas de jouer en votre défaveur ?
Je ne crois pas que du côté du président de la République, ça va s’arranger. Parce qu’en réalité, ils ne sont d’accord sur rien du tout. C’est une association visant à mettre Macky au pouvoir pour se partager les ressources publiques. Voilà le système mis en place par Macky Sall. Ça m’étonnerait que des listes parallèles ne puissent pas sortir de leurs rangs. Mais ce qui est important à retenir, c’est que l’enjeu de ces élections législatives, c’est la réhabilitation de l’institution que représente l’Assemblée nationale. Tous ceux qui ne sont pas d’accord avec Macky Sall, qui pensent que l’Assemblée nationale est l’annexe du palais de la République, doivent voter pour l’opposition. Nous, nous voulons réhabiliter l’Assemblée nationale. Nous voulons qu’à la suite de cette victoire, on puisse changer les règles du jeu, ramener le bulletin unique, éliminer le ‘’raw gaddu’’ (mode de scrutin qui donne tous les sièges au candidat arrivé en tête) dans les élections législatives, qui est une disposition rétrograde. Nous allons voter le statut de l’opposition, changer le règlement intérieur de l’Assemblée nationale pour rendre sa dignité aux députés. C’est cela l’enjeu de ces élections législatives. On ne peut pas donner à une institution 16 milliards pour être l’annexe du Palais de la République. C’est ce que l’Apr veut faire, c’est ce que Bby veut faire et ça bloque le Sénégal, ça casse son capital social. C’est la raison pour laquelle il nous faut absolument mener le combat et s’entendre autour de l’essentiel afin d’engager ces élections en rang soudé.
Vous parlez de blocage. Est-ce qu’une cohabitation à l’Assemblée nationale ne participerait pas à bloquer le fonctionnement du pays ?
Ce qui est bloqué, c’est l’institution Assemblée nationale qui ne joue pas son rôle, à qui on donne 16 milliards par an. On considère que c’est l’annexe du palais de la République, en tout cas, c’est le point de vue de Macky Sall, de Moustapha Niasse, d’Ousmane Tanor Dieng. Pour eux, c’est le triumvirat qui est à la tête de Bby, sans oublier ses autres vice-présidents. C’est ce qu’il faut combattre.
Où en êtes-vous dans les tractations au niveau de Mankoo Wàttu Senegaal ?
Manko Wàttu Senegaal, en vérité, est une plate-forme pour lutter pour les libertés, pour renforcer la démocratie et pour la gouvernance des ressources naturelles en particulier. Ce n’est pas une plate-forme électorale. En son sein, il y avait déjà deux coalitions. Maintenant, il est vrai que les discussions sont en cours pour voir comment on peut avoir une liste unique de l’opposition. Ce ne sont pas des discussions faciles, parce qu’il y a certainement des compréhensions de la situation politique qu’il faut affiner. A mon avis, il faut que tout le monde comprenne que ce n’est pas le premier tour d’une présidentielle de 2019, que tout le monde comprenne qu’il s’agit d’arrêter aujourd’hui le rouleau compresseur de la dictature de Macky Sall. Il s’agit donc de défendre les libertés, de faire progresser notre démocratie et d’assurer la gouvernance de nos ressources publiques.
Pensez-vous que l’opposition soit en mesure de taire ses ambitions personnelles et de s’unir autour de l’essentiel ?
Ah oui ! Je pense qu’on avance à très grand pas dans cette direction. C’est clair. Il est évident que l’arrestation du maire de Dakar constitue un frein, puisqu’on ne peut pas discuter avec lui directement. Néanmoins, je dis que beaucoup de personnalités de l’opposition, pour ne pas dire l’écrasante majorité, tend à comprendre que dans cette situation, il s’agit de faire un bloc pour faire face à la dictature de Macky Sall.
A quoi peut-on s’attendre à l’issue de ces tractations ?
Je ne suis pas Dieu pour prévoir l’avenir. Mais mon rôle, c’est de travailler durement pour cela, d’autant plus que je coordonne Manko Wàttu Senegaal. J’appelle tout le monde à ce dépassement pour défendre les libertés, la démocratie et cela passe par une Assemblée nationale réhabilitée.
Pensez-vous que l’opposition puisse espérer une majorité à l’Assemblée nationale avec deux ou trois grandes coalitions ?
Ça complique la situation à cause du ‘’raw gaddu’’ (mode de scrutin des Législatives). C’est clair. Il faut être honnête. Si on a une seule coalition, c’est sûr que Macky Sall, qui a déjà trois appuis, va tomber. C’est clair qu’avec le ‘’raw gaddu’’, ça ne facilite pas les choses. Encore une fois, les discussions ne sont pas fermées. Il n’y a pas de problèmes particuliers entre les différents groupes, nous discutons pour pouvoir mieux comprendre la situation et mettre en place les listes, parce que ce n’est pas facile de les confectionner.
Il semble déjà y avoir des lignes de fracture avec Abdoul Mbaye qui ne semble pas inclure Manko Wàttu Senegaal dans ses plans. Comment voyez-vous sa démarche ?
Nous continuons les discussions avec lui. Nous avons tous intérêt à ce que nous nous réunissions pour défendre la démocratie qui est menacée par Macky Sall. En France, par exemple, j’ai vu hier (Ndlr : avant-hier) un communiqué des partis de l’opposition appeler à l’unité de ses leaders. C’est pour dire que les débats se poursuivent.
Quelle doit être, selon vous, la posture de l’opposition par rapport à ces élections ?
Je crois que l’opposition doit se battre pour réhabiliter l’Assemblée nationale. C’est cela notre crédo. Il faut que les Sénégalais l’acceptent. Quand on donne 16 milliards à une institution, c’est pour qu’elle travaille, qu’elle rende des services à la population. Mais pas pour qu’elle soit comme l’annexe du palais de la République, comme étant des députés de Macky Sall à qui il fait faire ce qu’il veut. Je crois que c’est cela l’enjeu et il nous faut l’expliquer aux populations sénégalaises. Que l’Assemblée nationale est extrêmement importante dans une République pour faire progresser le capital social qui est la base de l’émergence, contrairement à ce que pensent les apprentis économistes, les Macky Sall et autres.
Le choix de Wade comme tête de liste est proposé par certains membres de l’opposition. Quelle appréciation en faites-vous ?
Moi, je n’ai pas entendu les camarades de l’opposition faire cette proposition.
Mais Wade, dans une vidéo envoyée à la presse, dit qu’il a été saisi de cette proposition et qu’il n’écarte pas d’être tête de liste nationale. Qu’en pensez-vous ?
On analysera pour regarder les avantages et les inconvénients. Je pense aussi que c’est une tactique de Macky Sall, de vouloir dire que les dirigeants de l’opposition sont des incapables qui sont obligés d’aller chercher le ‘’père’’ pour faire le combat à leur place. Mais je crois qu’il se trompe.
Lors de sa rencontre avec les leaders de BBY, le Président Macky Sall a fustigé l’attitude de l’opposition qui, selon lui, excelle dans la manipulation et l’intoxication par rapport à certains sujets. Que répondez-vous à cela ?
Lui, il excelle dans la répression. Macky Sall est un dictateur. Il a dit lui-même qu’il veut réduire l’opposition à sa plus simple expression. Il est d’ailleurs familier de l’expression ‘’door mu daanu’’ (mettre K.-O), quand il était au Pds. Vraiment, je crois qu’il nous faut élever le débat politique dans ce pays. Macky Sall veut nous ramener à un bilan d’épicier : ‘’J’ai fait des puits, des forages, j’ai présenté des condoléances, ma femme a évacué tant de personnes au Maroc ou en Tunisie.’’ Franchement, ce n’est pas pour cela qu’on élit un président de la République. Le bilan de Macky Sall se fait sur un seul point. C’est l’objectif qu’il s’est donné. Tout le reste, ce sont des moyens que le peuple sénégalais lui a donnés pour atteindre cet objectif. L’objectif, c’est 75 000 emplois formels par an. Il ne les a pas atteints. Il est loin de les atteindre. Donc, il a échoué.
Le chef de l’Etat, devant ses alliés, a nié toute manipulation de la justice sénégalaise, contrairement à ce que dit l’opposition. Pensez-vous le contraire ?
Prenons trois faits. Lui-même a dit qu’il a mis sous le coude certains dossiers. S’agissant de l’OFNAC, il a refusé de livrer le maire de Ndioum et directeur du Coud qui est un de ses partisans. Il n’est pas inquiété alors qu’il a mis en prison le maire de Dakar. S’agissant de la CREI, un certain nombre de personnes qui étaient visées par cette juridiction d’exception sont aujourd’hui à ses côtés et ne sont pas inquiétées. Je ne veux pas citer le cas d’Ousmane Ngom. Manifestement, Macky Sall utilise la justice pour casser les opposants.
Mais peut-on parler d’une justice à deux vitesses au Sénégal ?
Oui, c’est évident ! Vous avez le maire de Dakar et le maire de Ndioum. Ils ont deux traitements différents. A la CREI, vous voyez bien comment on traite les dossiers. Ce sont des faits réels. Je n’invente rien du tout.
En justifiant le niveau d’endettement de notre pays, le Président Sall soutient que le Sénégal, jusqu’ici, n’a violé aucune disposition de l’Uemoa dans ce sens. Il ajoute qu’aucun pays ne peut se développer sans s’endetter.
D’abord, c’est faux. Vraiment, ce sont des phrases bidon que les gens de l’APR aiment prononcer. ‘’Aucun pays ne peut vivre sans s’endetter’’, cela ne veut rien dire. Le problème, c’est le niveau de la dette et le rythme auquel elle augmente. Voilà les questions qu’il faut se poser et que les Sénégalais doivent se poser. Quand il dit que le gouvernement ne s’endette pas pour du fonctionnement, ce n’est pas vrai. C’est absolument faux. Tout le monde sait en tout cas que les bons du Trésor et les obligations que le gouvernement émet sont aussi destinées à financer du fonctionnement. Le fonctionnement, ce sont les salaires. Le service de la dette, c’est 600 milliards par an, plus les autres dépenses de fonctionnement et de subvention. Il ne faut pas qu’il nous raconte des histoires. Ça, c’est premièrement. Deuxièmement, le rythme d’augmentation de la dette est extrêmement élevé. C’est cela que nous contestons. Troisièmement, l’impact de cette dette sur l’économie sénégalaise n’est pas visible. Ça ne se traduit pas en emplois formels pour les Sénégalais. C’est ce que nous dénonçons.
Mais les gouvernants disent que nous avons un rythme de croissance soutenu qu’on n’a jamais réalisé depuis longtemps avec un taux de 6,6%.
Il y a beaucoup de manipulation dans cela. D’abord Macky Sall qui nous a invités à un débat économique, puisque lui-même dit qu’il est savant et que les autres sont des ignorants, tous les mardis, on lui pose des questions économiques, il refuse de répondre. Mais pour moi, c’est un moment de dialogue avec le peuple sénégalais. Je vais poursuivre ce travail. Il y a beaucoup de manipulation sur les chiffres. Vous savez, ils ont modifié la base de calcul du PIB pour 2014. Ils ont trouvé que les Sénégalais sont maintenant 30% plus riches qu’ils ne l’étaient avant. On ne sait pas d’où cette richesse est partie, sauf évidemment dans la famille Faye-Sall dont on voit aujourd’hui les largesses qu’ils font dans le pays, surtout à Guédiawaye pour ne citer que le facteur de Frank Timis et les grandes entreprises. Ce qui s’est passé au Sénégal, il faut que les Sénégalais le sachent. Premièrement, nous avons bénéficié de deux facteurs favorables : la baisse du prix du baril de pétrole et une bonne pluviométrie. Deuxièmement, en 2015, il y a eu la reprise des activités de la Société africaine de raffinage (SAR) et des Industries chimiques du Sénégal (ICS). Il y a deux nouvelles entreprises : Dangote qui produit du ciment, GCO qui produit du zircon. Voilà ce qui a haussé la croissance sénégalaise. Et cela ne se traduit pas en emplois. Maintenant, ils passent leur temps à mentir au peuple sénégalais pour justifier les 100 milliards de subvention qu’ils font dans l’agriculture, dont une bonne partie d’ailleurs est destinée aux affidés de Macky Sall.
Comment voyez-vous la gestion des ressources naturelles du pays que le Président Macky Sall veut transparente ?
On n’a pas la même compréhension de la notion de transparence. Pour lui, transparence, ça s’arrête au palais de la République et à sa famille. Tout le monde sait que, lui-même l’a reconnu dans son interview dans Jeune Afrique en décembre 2016, qu’Aliou Sall est venu le voir pour lui parler du dossier de Petro-Tim. Il dit qu’il n’y voyait aucun problème. Donc, il ne voyait même pas là qu’il y avait un conflit d’intérêts. Dans cette affaire, aujourd’hui, 30% des avoirs pétroliers et gaziers du Sénégal sont confisqués par une nébuleuse : Petro-Tim, dans les paradis fiscaux. Après Petro-Tim, vous avez Petro Asia, puis Petro Asia Lmt, ensuite Timis Corporation. C’est un ensemble de choses que l’opposition a bien mises en évidence au sein de Mankoo wàttu Senegaal.
Justement, où en êtes-vous dans ce combat ?
Le combat se poursuit. Je crois qu’il va prendre une dimension beaucoup plus importante dans les prochaines semaines. Nous voulons récupérer nos avoirs pétroliers et gaziers. Il n’est pas question de les laisser à une nébuleuse, Timis Corporation liée à la famille du Président. Ça, c’est inacceptable.
Vous parlez de l’immixtion de la famille présidentielle dans la gestion de l’Etat. Mais récemment, il y a Aliou Sall et Abdoulaye Timbo qui ont renoncé d’être têtes de liste de BBY. Comment appréciez-vous cela ?
(Rire) Ça me fait rire. Ils prennent les Sénégalais pour des demeurés. Comme si renoncer à être tête de liste à Guédiawaye signifie qu’on n’est pas sur la liste départementale ou nationale. Tout cela n’est pas sérieux. Ces gens, qui étaient inconnus au bataillon quand on se battait pour défendre la démocratie dans ce pays, sont apparus après la victoire de Macky Sall qui les a imposés face à la faiblesse de personnalités qui étaient pour les Assises nationales et pour la transparence. On a clairement dit dans les Assises nationales qu’il ne fallait pas que la famille présidentielle soit impliquée dans la gestion du pays. Ils ont fermé les yeux et il a imposé, aussi bien à Pikine qu’à Guédiawaye, ses parents et c’est également le cas à Saint-Louis.
Mais Mansour Faye, Abdoulaye Timbo et Alioune Sall n’ont-ils pas été élus à l’issue des élections locales ?
Tout le monde sait qu’il les a imposés. Ce n’est pas la peine de se cacher derrière un certain nombre de choses. Ce que Macky Sall et ses apprentis économistes qui sont autour de lui ne comprennent pas, c’est que dans une dynamique d’émergence, il faut considérer quatre éléments capitaux. Il y a le capital physique qui englobe les routes, les infrastructures ; et pour eux, il n’y a que cela qui compte et c’est ce qu’il y a de plus facile à faire. Il y a le capital humain, former les gens. Il y a le capital naturel avec la découverte et la protection des ressources naturelles. Enfin, il y a le plus difficile et le plus compliqué, c’est le capital social. C’est cela qu’ils ne comprennent pas. Ce sont les règles du jeu et les institutions qu’il faut mettre en place pour faire respecter ces règles-là, c’est ça qui permet qu’il y ait une confiance dans la société et qu’on puisse mobiliser les talents pour avancer. Donc, ce n’est pas la peine de se cacher derrière de faux suffrages universels pour pouvoir imposer une dictature familiale. Ça, c’est inacceptable.
Au moment où l’opposition dénonce une mauvaise gestion des affaires publiques, certaines institutions comme Moody’s, par exemple, ont relevé la notation du Sénégal par rapport à ses performances. Est-ce que cela n’est pas contradictoire ?
Ce n’est pas contradictoire. Vous savez, ces institutions font partie du dispositif de l’endettement du Sénégal. Elles ont intérêt à ce que le Sénégal s’endette. Le système marche comme ça et le Sénégal lui-même est là-dedans. Macky Sall et ses ministres ne le disent pas aux Sénégalais. A chaque fois qu’ils émettent des bons et des obligations, ils gagnent de l’argent dessus. Donc, ils ont intérêt à émettre le maximum de bons, d’obligations et de dettes du pays. Tout cela participe au système visant à faire endetter les Sénégalais jusqu’au point où lorsque vous n’êtes plus capable de payer vos dettes, en ce moment-là, on vous oblige à faire des plans de restructuration et d’austérité comme c’est le cas de la Grèce aujourd’hui.
Comment analysez-vous les récents échecs de notre pays à la présidence de la commission de l’UA et récemment au niveau l’UEMOA ?
Macky Sall est par terre. C’est cela la réalité. Vous savez, quand il est parti à l’Union africaine pour dire : moi, je vais faire ce que chacun n’aime pas faire en Afrique, c’est-à-dire réduire mon mandat de sept à cinq ans, en ce moment-là, il avait pris une posture républicaine. Je dois même dire révolutionnaire en Afrique. Peu après, il a renoncé à cela de manière tout à fait honteuse. A partir de ce moment, il n’a plus aucune considération en Afrique, aujourd’hui. Il n’y a que la Gambie qui nous soutient. Le bon voisinage avec la Mauritanie et la Guinée, vous voyez ce que c’est. Le Mali, n’en parlons pas. Pour moi, le mandat de Macky Sall est moralement et légitimement terminé. Parce qu’en Afrique, nous qui sommes plongés dans la culture traditionnelle africaine positive, c’est-à-dire, le ‘’jom et le kersa’’ et le respect de la parole donnée, nous considérons que Macky Sall a fini son mandat. Par conséquent, il ferait mieux de nous laisser notre pays et nous allons relever sa