Le départ en exil de Yahya Jammeh continue de nourrir des fantasmes. Il se raconte qu’il a emporté 11 millions de dollars, détournés des caisses de l’Etat gambien. Au détour d’une interview avec Dakaractu dans les locaux d’une radio privée gambienne, le porte-parole de la coalition 2016 qui a porté Adama Barrow au pouvoir a apporté des éclairages sur ces graves accusations. Il s’est aussi prononcé sur le revirement de Yahya Jammeh, les raisons de son exil et les premières décisions polémiques du tout nouveau président de la Gambie. ENTRETIEN
Après avoir reconnu sa défaite face à Adama Barrow, Yahya Jammeh a fait un virage à 180 degrés. Vous attendiez-vous à la volte-face de Yahya Jammeh ?
Avant celui de décembre, la Gambie n’avait jamais connu un changement démocratique. La seule alternance intervenue jusqu’ici, c’était par les armes et c’est Yahya Jammeh qui en était l’auteur. Dès les premières heures de son règne, il voulait me nommer ministre mais notre parti avait dit niet. La raison est simple : nous estimions que les Gambiens n’étaient pas encore équipés intellectuellement pour gouverner. Les gouvernants feignent d’oublier que le pouvoir appartient au peuple mais il se pose un problème lorsque ce peuple n’est plus libre. Après la prise du pouvoir par Coup d’Etat, Yahya Jammeh a été contraint à organiser des élections mais en ce moment, le peuple gambien n’était pas mature. Il s’y ajoute que les partis politiques de l’opposition étaient dispersés et ne se conformaient pas au vœu des populations pour qui, ils sont censés se battre. Il n’y a eu changement de régime que lorsque les partis de l’opposition ont compris qu’ils devaient aller aux élections, unis. C’est pour cela que nous n’avons pas été surpris de notre triomphe. Par contre, personne ne s’attendait à ce que Yahya Jammeh reconnaisse sa défaite car c’était une première. Jamais dans l’histoire politique gambienne, il ne s’était produit un tsunami pareil. C’est pour cela que le revirement n’a pris de vitesse que les simples d’esprit.
Mis devant le fait accompli, nous avons fait montre d’intelligence et de tact pour contourner tous ses pièges. Notre posture était d’autant plus légitime que nous avions la majorité. Mais pour respecter la légalité, nous n’avons pas déclenché les hostilités très tôt. Il a été convenu d’attendre la fin de son mandat, pour en finir une bonne fois pour toutes avec lui. Et nous avons obtenu gain de cause.
Le départ en exil de Yahya Jammeh est tantôt attribué à la médiation réussie des présidents de la Guinée et de la Mauritanie ou aux menaces de la Cedeao d’utiliser la force pour le démettre. Qu’en est-il à ?
Une révolution s’annonce dans un pays quand ceux qui sont aux affaires ne respectent plus aucune règle du jeu et que les populations n’en peuvent plus de prendre sur eux. Pour nous, la messe était dite et la décision du peuple gambien était irrévocable. Nous avons pris nos responsabilités parce que nous avions la légalité avec nous. C’est ainsi que nous avons réfléchi sur un plan pour déjouer celui de notre adversaire qui faisait tout pour rester au pouvoir. Cependant, nous ne l’avons pas suivi sur le terrain de la violence. Le plus important, c’était que le monde sache qu’après le 19 janvier, il ne sera plus le président de la République gambienne. Avant même la date échue, c’était le sauve-qui-peut dans son camp. Ses ambassadeurs et ses ministres l’ont tous lâché. Une partie des militaires s’est rangée du côté de la vérité, de peur d’être considérée comme des rebelles. Tous les commerces étaient fermés, rien ne marchait dans le pays. Jammeh était devenu un chef sans Etat. A cet état de fait se sont ajoutés les bruits de bottes qui s’approchaient de la capitale. Dès lors, il a pris conscience qu’il était esseulé et risquait d’être repoussé jusque dans ses derniers retranchements s’il ne capitulait pas. On peut dire que c’est un concours de circonstances qui a fait partir Jammeh.
Dans votre coalition, des voix se sont élevées pour accuser l’ancien président gambien d’avoir détourné 11 millions de dollars des caisses de l’Etat ? Pouvez-vous le confirmer ?
Pour le président Barrow, il fallait coûte que coûte se débarrasser de Yahya Jammeh. C’est pour cette raison qu’il y a un accord sur la non-rétrocession de ses biens. Maintenant, les uns et les autres doivent savoir raison garder en évitant de s’aventurer sur des choses qu’ils ne maitrisent pas du tout. Au lendemain du départ en exil de Yahya Jammeh, le président Barrow m’a instruit de veiller à ce que le pays continue sa marche normale. Des missions de vérifications dirigées par le chef de la police et le directeur du travail ont été envoyées dans toutes les grandes sociétés nationales, y compris la Banque centrale gambienne et à l’heure où je vous parle, rien d’anormal n’a été constaté. Et on ne peut pas se permettre d’émettre des accusations fortuites. Toute accusation de détournement ou de vol dans une république doit être prouvée. Maintenant, tant qu’il respecte les conditions de son départ en exil, il n’a rien à craindre, mais s’il s’avère qu’il a détourné le contribuable gambien, il risque des poursuites judiciaires.
La nomination de Fatoumata Diallo Tambadiang au poste de vice-présidente a suscité une polémique. D’aucuns disent qu’elle a dépassé l’âge requis pour occuper cette fonction. N’est-ce pas là la première erreur du président Barrow en tant que nouveau président de la Gambie ?
Lorsque nous avons gagné les élections, notre coalition composée de plusieurs partis a discuté avec le président Jammeh pour instaurer une période de transition durant laquelle tous les ministères seront passés de fond en comble afin que leur fonctionnement futur ne soit pas compromis. Il était aussi prévu que des politiques issus des partis d’opposition et les technocrates soient nommés ministres. Quant à Fatoumata Tambadiang, elle a été nommée dans les règles de l’art. Son âge n’a pas été déterminant dans le choix porté sur elle pour seconder le président de la République. Adama Barrow n’a commis aucune erreur. Il a juste manqué d’informations au sujet de l’âge réel de sa colistière. Le coup étant déjà parti, il devient nécessaire de mener de nouvelles reformes pour permettre aux députés d’avoir leur mot à dire sur le choix des ministres. Mais retenez que la Constitution gambienne, dans son article 62 dispose qu’il est éligible en Gambie tout citoyen ayant exclusivement la nationalité gambienne et âgé de 30 à 65 ans entre autres conditions. Ces dispositions concernent aussi bien le chef de l’Etat que son vice-président. Le président Barrow a promis de se renseigner d’avantage sur l’âge de la vice-présidente. S’il y a entorse à la loi, il n’hésitera pas à rectifier le tir.