Son échange avec le président français lors du sommet du 8 octobre dernier sur les relations franco-africaines a fait sensation. Le blogueur sénégalais Cheikh Fall qui a tenu à dire à Emmanuel Macron les aspirations de la jeunesse africaine à l’occasion du sommet Afrique-France, a aussi essuyé des critiques. Des voix sénégalaises et africaines lui reprochent d’avoir participé à ce sommet qu’elles considèrent comme une énième mise en scène de l’Élysée pour amadouer davantage le continent noir. Dans un entretien exclusif accordé à Dakaractu, Cheikh Fall revient sur les raisons de sa participation au sommet de Montpellier, rejoue son échange avec le président français et répond à ses pourfendeurs.
Comment vous-êtes-vous retrouvé au Sommet France-Afrique jusque-là réservé aux Chefs d’État ?
Jusqu’à présent, je ne sais toujours pas comment mon nom a été sélectionné et pourquoi. J’ai reçu un courriel dans ma boîte mail et c’est une invitation pour participer au nouveau sommet Afrique/France de Montpellier.
Comment avez-vous préparé votre prise de parole ?
Quand j’ai mis sur les réseaux sociaux que je participe au Sommet Afrique France, beaucoup de ceux qui me suivent ont exprimé leur surprise de me voir répondre à une telle invitation. Beaucoup ont aussi critiqué et certains ont même insulté en nous traitant de moutons de la France. C’est toutes ces critiques, toutes ses insultes et tous ces commentaires qui ont nourri mon intervention.
Je comprends ceux qui critiquent la démarche, je comprends ceux qui voient en la France le Diable dans cette relation. J’entends aussi les frustrations, les colères et mécontentements et les déceptions. Ma mission, les objectifs que je me suis fixé à partir de ce moment, c’était de porter ces frustrations, cette colère et cette mélancolie pour faire comprendre au Président Français pourquoi la relation ne marche pas aux regards des citoyens et ce qu’il faut changer pour l’améliorer et faire de sorte qu’elle marche car nos destins sont déjà liés par l’histoire. Ce n’était pas facile.
» …c’était le moment de lui faire comprendre les ressentis et la colère de toutes ses personnes qui, aujourd’hui, portent un sentiment « anti-français » »
Le Président Macron nous a rencontré le mardi 4 octobre et nous a dit clairement qu’il voulait un débat franc, libre, sincère et sans tabou. Pour moi, c’était le moment de lui faire comprendre les ressentis et la colère de toutes ces personnes qui, aujourd’hui, portent un sentiment « anti-français ». Il fallait trouver les mots, les émotions et le vocabulaire pour pouvoir exprimer tout cela sans trahir, mais aussi sans offusquer notre interlocuteur car un dialogue n’est pas un exercice de coups de poing, c’est d’abord une tribune ouverte où l’objectif est de faire porter sa voix et d’amener à une prise de conscience pour impacter un processus ou encourager à un changement de posture. J’étais avec dix autres jeunes autant engagés et motivés à porter leur voix et à se faire écouter, mais surtout à se faire entendre.
Votre échange avec le président français autour des attentes de souveraineté économique et militaire de l’Afrique vis-à-vis de la France, fait sensation et a fait l’objet de beaucoup de commentaires. Comment avez-vous accueilli toute cette agitation autour de vos demandes et des réponses d’Emmanuel Macron ?
C’est normal que cela suscite beaucoup de réactions car nous ne pouvons pas tous avoir les mêmes lectures ou les objectifs. Ce que j’ai dit à Emmanuel Macron, c’est l’expression de ces millions de jeunes africains qui n’ont cessé d’appeler à une prise de conscience pour une souveraineté économique. Des contrats marchés douteux font l’objet de critiques des populations africaines, l’exploitation de certaines de nos ressources est critiquée tous les jours, la transparence de l’appui ou les « fameuses aides au développement » sont décriées, la mainmise dans le domaine des infrastructures et des technologies est dénoncée. C’est tout cela qui symbolise une domination économique et qui maintient la France dans une posture haute, paternaliste et de sauveur. Il est clair que cette situation n’est pas uniquement de la responsabilité de la France. Nos autorités politiques aussi ont une responsabilité qu’elles doivent assumer dans cette relation. J’accueille donc toute cette agitation comme un grand signe d’intérêt sur toutes ces questions et cela nous rassure car nous permet d’entrer dans des débats de fond et permet d’aider à aller vers une forme d’intelligence collective ou globale autour de ces questions stratégiques, géopolitiques et de sécurité. Je ne peux pas prétendre avoir la légitimité de trouver des solutions à ces problèmes. Ce que je peux faire, c’est de pointer du doigt ce qui ne marche pas à mon sens. Pour le reste, nous avons élu des dirigeants qui sont payés avec nos ressources. C’est à eux de défendre les positions africaines. De trouver en la population des alliés pour construire ce futur que nous voulons donner à la relation Afrique-France.
Pour vous, pourquoi était-il si important ce discours de vérité au président Emmanuel Macron ?
Il est important de tenir un discours de vérité quand on est invité à la table pour avoir un dialogue franc, véridique et sans filtre. C’est cela qui donne une sincérité à la démarche et permet de ne pas trahir les objectifs. Je ne connais pas l’agenda politique d’Emmanuel Macron mais je sais ce que je veux, je sais ce que j’ai toujours dénoncé, je connais les combats que j’ai portés et je sais pourquoi je devais accepter de faire cet exercice si dangereux pour certains et risqué pour les autres. Si j’avais déjà entendu une autorité africaine, investie et au pouvoir, tenir de tels propos à Emmanuel Macron, je ne me serais pas déplacé. Je pense que tout ce que j’ai eu à dire sur mon Facebook, sur mon Twitter et à travers d’autres panels moins médiatisés que celui du 8 octobre, c’est exactement les mêmes positions que j’ai défendues et que je continue d’assumer à titre personnel, mais aussi par respect à mon engagement pour l’Afrique depuis plus de 10 ans. Il nous a invités pour nous entendre. Nous avons répondu pour lui tenir le discours de vérité qu’on a jugé opportun de tenir devant lui.
» Le Président Macron est un monstre politique et s’y connait parfaitement à ce jeu. Je m’attendais à ce qu’il nous fasse des leçons de philosophie ou à ce qu’il utilise des tournures conceptuelles… »
Ses réponses ont-elles été à la hauteur de vos attentes ?
J’y suis allé pour me faire écouter et pour me faire entendre. Cela est fait et au-delà du format, notre objectif était de faire passer un message autre que celui de nos dirigeants politiques. Donc oui, le Président Macron est un monstre politique et s’y connait parfaitement à ce jeu. Je m’attendais à ce qu’il nous fasse des leçons de philosophie ou à ce qu’il utilise des tournures conceptuelles. Il a donné des réponses précises sur certaines questions comme sur les bases militaires ou sur la demande de pardon. Il a pris de nouveaux engagements pour donner un nouveau souffle à la relation avec l’Afrique. Au-delà de nos échanges, un récit collectif a été produit avec les 10 autres collaborateurs. Ce récit contient les propositions que nous mettons sur la table. Achille Mbembé (Co-organisateur du sommet Afrique-France de Montpellier, ndlr) a lui aussi avec son équipe d’intellectuels, de chercheurs et d’universitaires, produit un rapport sur la relation Afrique France. Ce rapport contient des points sur lesquels le Président Emmanuel Macron s’engage. Ce serait bien que les autorités politiques africaines s’engagent aussi dans ce sens. Pour d’autres questions, il est resté dans la subtilité du débat politique pour contourner comme sur la question du soutien aux dictateurs ou sur les interventions militaires où même sur le Franc CFA et ses garanties.
En novembre 2017 déjà, Emmanuel Macron avait échangé avec la jeunesse africaine, à Ouagadougou. Près de 4 ans après, les mêmes interpellations reviennent ou presque. Peut-on dire que la France prend bien en compte les préoccupations du continent africain ?
Ce n’est pas à Macron de régler les problèmes de l’Afrique. Nous avons élu des personnes pour cela. Que nos dirigeants prennent leur responsabilité pour être à l’écoute de la jeunesse et travailler dans une approche inclusive pour trouver des réponses aux préoccupations de la jeunesse. Cet exercice du débat contradictoire avec ceux qui portent un discours différent, nous l’attendons aussi de nos autorités et c’est dommage qu’elles n’ont pas été à l’initiative d’un tel Sommet. Ce nouveau Sommet Afrique France est un engagement qu’il avait pris à Ouagadougou.
Espérez-vous qu’au sortir du sommet de Montpellier que les bases d’une nouvelle ère dans les relations entre la France et le continent africain aient été jetées ?
Ce Sommet est historique et sera le début de quelque chose. Il ne faut surtout pas qu’il soit à l’image des autres Sommets. À lui et aux autorités politiques africaines de faire en sorte qu’une nouvelle ère débute pour la relation Afrique – France.
Pour beaucoup de personnes, vous avez participé à une mise en scène orchestrée par le président français pour se donner bonne conscience. Qu’avez-vous à répondre ?
Elles ont raison de le penser. Nous avons la responsabilité de faire de sorte qu’il n’en soit pas une.
Ne trouvez-vous pas paradoxal vos aspirations d’indépendance vis-à-vis de la France et l’annonce par le président Macron de la mise en place d’un fonds pour la Démocratie en Afrique ?
Si vous m’avez écouté lors de mon intervention devant le Président Macron, je lui ai dit clairement que nous devons rompre avec les postures paternalistes et j’ai dit que nous ne voulons pas d’un fonds entièrement français. J’ai lancé un appel aux nombreux philanthropes africains défenseurs des démocraties. Ils financent déjà beaucoup d’ONG et pourraient contribuer à ce fonds pour qu’il soit ouvert, co-financé et co-géré…