Le pouvoir est chez lui une obsession. Il est à sa quête depuis 1988. Il s’en est rapproché, l’a eu à portée de main, mais ne l’a exercé que durant une courte période et par procuration sous Wade. Idrissa Seck était pourtant tout près de connaître son Grand Soir en 2007 avant de toucher le fond en 2012. A présent, il se relève, reprend des forces, parcourt le pays et prépare ses munitions pour 2019. Pourvu qu’il ait réellement changé pour espérer gagner le cœur des électeurs.
Né le 9 août 1959 à Thiès, Idrissa Seck a tout juste 14 ans quand il adhère au Parti démocratique sénégalais (Pds) d’Abdoulaye Wade. Quinze ans plus tard, alors qu’il est âgé de seulement 29 ans, il devient le directeur de campagne du candidat Wade en 1988. Idy se révèle alors au grand public à travers une intervention radio-télévisée en faisant forte impression.
Son discours électoral, mâtiné de références coraniques, attire de nombreux électeurs vers le Pds. Mais pas suffisamment pour détrôner l’ogre socialiste. Car, malgré le brio de son jeune directeur de campagne et la ferveur populaire qui accompagna sa candidature en 88, Wade est battu une deuxième fois par son principal rival Abdou Diouf, après un premier revers en 1983.
Ragaillardi par le déferlement humain qui accompagna sa campagne électorale et persuadé qu’il tenait enfin le bon bout, Wade ne put digérer sa défaite. Les violences post-électorales plongent alors le Sénégal dans le chaos au point que l’on disait du pouvoir qu’il était pratiquement dans la rue.
Mais alors que son mentor était profondément déçu, Idrissa Seck avait su tirer son épingle du jeu. Il avait réussi à marquer les esprits et à prendre date. Euphorique, il avait fait montre d’une grande ambition à travers une savante et savoureuse rime dans le journal « Sopi ». « Je me prépare à l’exercice du pouvoir et pour cela, il me faut du savoir et de l’avoir », disait-il l’organe du Pds.
1998 : MAINMISE SUR LE PDS
Manifestement, Idrissa Seck a vite acquis les deux premiers: l’avoir et le savoir. Homme d’affaires et consultant en management, qui plus est brillant d’esprit, il a d’abord réussi à bien gagner sa vie dans le secteur privé. Même si, répondant un jour à une question d’Alassane Samba Diop de la Rfm sur la provenance de sa fortune, il déclara sans sourciller s’être grassement rempli la tirelire avec les fonds politiques dont il avait la charge. Paiera-t-il pour toujours cette imprudence de langage? Il ne s’est pas attiré en tout cas la sympathie des partisans de l’orthodoxie dans les finances publiques. Son passage au ministère du Commerce, de l’Artisanat et de l’Industrialisation de mars 1995 à mai1998 dans le cadre du gouvernement de majorité présidentielle élargie, lui aurait également permis d’étoffer son carnet d’adresse. Et, bien évidemment, de tirer grand profit du réseau d’amitiés qu’il s’était constitué bien après la participation du Pds au gouvernement de Diouf. Au plan politique, il a su profiter de la rupture intervenue en 1998 entre Me Wade et Ousmane Ngom, jusqu’alors numéro deux du parti libéral. Ce dernier, opposé au départ des libéraux du gouvernement socialiste, s’embrouille avec Wade, crée le Parti libéral sénégalais (PLS) et choisit de rester dans l’équipe de Diouf. Idrissa Seck s’engouffre alors dans la brèche et devient officiellement le numéro deux du Pds. Il en profite pour restruc- turer le Pds, plaçant ses hommes à tous les leviers du parti et mettant bien sûr à l’écart tous ceux qui n’entraient pas dans ses tablettes. Certes, Wade restera le leader incontesté du Pds, mais Idy venait de se constituer son propre réseau et de prendre en quelque sorte le contrôle du parti.
IDY ET LA « MARCHE BLEUE »
Devenu le numéro deux incontestable et incontesté du Pds, Idrissa Seck avait pratiquement toutes les cartes en main. Car Me Wade, remis de sa grosse déception à propos d’Ousmane Ngom, se repose désormais sur Idy. Persuadé d’avoir même gagné au change, il lui voue une confiance aveugle. Adoubé par le « Pape du Sopi », Idrissa Seck était alors à ce moment-là un peu moins qu’un fils et plus qu’un collaborateur en tout cas. Il était la bouche et les yeux du « vieux ». Il avait surtout son oreille. Wade buvait ses conseils, tenait compte de ses desiderata et lui donnait carte blanche sur tout. D’autant que devenu numéro deux en 1998, année des législatives, Idy avait été renforcé par les résultats plus que honorables du Pds à ces élections. Confortant ainsi sa position privilé- giée auprès de Wade.
Toutefois, la présidentielle 2000 approche à grands pas alors que Wade, épuisé physiquement et usé financièrement par trois tentatives in- fructueuses (1983, 1988 et 1993), avait préféré se retirer à Versailles, en France. Il était visiblement tout près de l’abandon après plus d’une vingtaine d’années de combat sans relâche, si ce n’est deux petites paren- thèses gouvernementales.
Mais ce n’était surtout pas le moment de baisser les bras. D’abord, en raison des résultats prometteurs du Pds aux législatives de 1998. Mais surtout parce que, réunis pour la première fois dans le cadre d’un pôle de gauche, la Ca 2000, Amath Dansokho (Pit), Abdoulaye Bathily (Ld/ Mpt) et Landing Savané (Aj/Pads), décident de faire du « Pape du Sopi » leur « candidat unique ». Le coup était donc on ne peut plus jouable cette fois-ci et donc, il ne fallait pas rater le coche.
Le seul hic est que Wade n’avait plus les moyens de son ambition politique et ses alliés de la gauche n’étaient guère mieux lotis. C’est là qu’apparaît alors tout le génie politique de Idrissa Seck. Très futé, il sort de sa manche son concept de « marche bleue ». Exit la série de meeting durant cette campagne de 2000 avec tout ce que cela induit comme frais d’organisation. Seul un cortège avec le « vieux » debout sur sa Mercedes décapotable, suffisait à créer un déferlement humain qui se traduirait par autant de suffrages dans les urnes le jour du vote, avait conceptualisé le génial Idy. Une trouvaille peu onéreuse qui fera recette, ponc- tuée par la victoire d’un Wade qui ne croyait manifestement plus à son étoile. Le « Pape du Sopi » accède donc à la magistrature suprême au soir du 19 mars 2000 grâce au génie d’Idrissa Seck. Naturellement, il ne jura plus que par lui et en fit son éminence grise en le nommant ministre d’Etat, Directeur de cabinet.
IDY COMME ICARE
« Dans son constant désir de s’élever, sa taille est à coup sûr un mobile prégnant », disait la journaliste-écrivaine Cathérine Nay à propos de Nicolas Sarkozy. On pourrait en dire autant d’Idrissa Seck que l’on que surnomme « Ndamal Cadior » par allusion à sa petite taille, mais qui n’est attiré en politique que par les sommets. D’ailleurs, il n’a jamais fait mystère de son envie irrépressible de se hisser dans les plus hautes sphères de l’Etat.
Dès l’accession de Wade à la magistrature suprême, il manifeste un goût immodéré du pouvoir au point que l’hebdomadaire Nouvel Horizon lui consacre dans son édition du 14 avril 2000 et sous la plume d’Issa Sall, un article au titre assez révélateur : « l’homme pressé ». A l’époque, Idy avait eu le cran d’écrire sur son site internet www.idrissaseck.com ce curieux message : « Born to be President » (Né pour être Président).
Narcissique, il avait déjà préformaté son image pour assumer le pouvoir. Il se révèle surtout un homme fier qui éprouve un besoin irrépressible d’imposer de force ou de gré sa personnalité et de satisfaire son ego. Investi de la confiance de Wade, il a les coudées franches et assoit son pouvoir en mettant en place son réseau de fidèles partisans et d’amis.
Lesquels sont nommés aux postes les plus stratégiques dans l’appareil d’Etat. En revanche, il s’emploie à combattre ses adversaires aussi bien à l’intérieur du Pds que chez les alliés. Les ministres libéraux Aminata Tall, Lamine Bâ et Abdou Fall l’apprendront à leurs dépens lors du remaniement de mai 2001. Ils quittent le gouvernement, victimes de sa toute puissance. Même le Premier ministre Moustapha Niasse, principal allié de Wade en 2000, fera les frais de son hostilité. Il s’embrouille avec le tombeur de Diouf et quitte la Primature après seulement onze mois de compagnonnage sous l’influence d’Idrissa Seck. D’où ce profil que dresse de lui le journaliste Mamadou Thiam dans son mémoire de diplôme d’études approfondies (DEA) soutenu en 2005 à l’Université Cheikh Anta Diop.
Il y peint Idy sous les traits d’un « ethos qui renvoie à deux axes principaux. L’un, positif, fait de lui le fidèle poulain du Chef de l’Etat qu’il n’a jamais trahi et qui a mis son savoir-faire et son génie politique et intellectuel à la disposition du Pds pour son accession au pouvoir. L’autre, renvoie à l’homme pressé, imbu de sa personne, à la limite de la suffisance et de l’arrogance, qui n’hésite pas à exclure ou à marginaliser ses détracteurs et qui affiche un goût immodéré du pouvoir ».
Hélas, il était manifestement si imbu de ses pouvoirs aux côtés de Wade qu’il finira par se brûler les ailes. Exactement comme Icare. Ce personnage de la mythologie grecque, fils de l’architecte athénien Dédale, mort pour avoir volé trop près du soleil alors qu’il n’avait que des ailes de cire créées par son père.
DE LA PRIMATURE À REBEUSS
En vérité, Idy avait fini par susciter chez beaucoup la méfiance, la défiance, voire le dégoût et le rejet. Bref, il s’était fait tellement d’ennemis qu’il ne pouvait pas échapper continuellement à leurs intrigues. Et c’est fina- lement la fameuse histoire du « coup d’Etat rampant » qui aura raison de lui. Avec à la ma- nœuvre un certain Mahmout Saleh, aujourd’hui Directeur de cabinet politique du Président Macky Sall, à l’époque ministre de l’Intérieur, donc dépositaire des renseignements généraux. Faut-il en déduire que Idy a été principalement victime du tandem Macky-Saleh ? Idrissa Seck en est en tout cas convaincu. D’autant que le journal qui se faisait régulièrement les échos de ces accusations de coup d’Etat « rampant » puis « debout » n’était autre que « Il est Midi » dont le Directeur de publication, Ndiogou Wack Seck, était également un fidèle serviteur de Macky Sall. D’ailleurs, à l’image de Saleh, il appartient à l’actuel establishment en tant que président du Conseil d’administration de la Rts.
On comprend dès lors pour quoi, Idy a été si réticent à apporter son soutien à Macky Sall en 2012. Et, surtout, pourquoi Idrissa Seck a vite retiré son parti « Rewmi » de l’actuel attelage gouvernemental pour se positionner comme son plus irréductible adversaire. Il y a assurément une envie de revanche dans l’air. En tout cas, accusé à l’époque d’avoir voulu commettre un parricide en s’accaparant graduellement de l’appareil d’Etat et du parti de son mentor, il sera accusé d’avoir instauré une « dualité au sommet de l’Etat », puis débarqué par Wade, le 21 avril 2004. La descente aux enfers ira cres- cendo lorsque l’ex-sherpa de Wade est accusé par la machine judiciaire d’atteinte à la sureté de l’Etat et de surfacturations dans les chantiers de Thiès. Dès lors, ce qui n’était au départ qu’une ébréchure deviendra finalement une profonde déchirure. Si bien qu’en juillet 2005, Idy est envoyé à Rebeuss. Puis, après six mois et 17 jours d’emprisonnement, il est libéré après moult tractations à travers ce que l’on a appelé pudiquement « le protocole de Rebeuss ». Même si l’on retiendra qu’il avait bénéficié offi- ciellement d’un non-lieu. N’empêche, son ascension venait de connaître un sérieux coup d’arrêt.
LA NAISSANCE DE REWMI
Le 04 avril 2006, une date très symbolique car correspondant à l’anniversaire de l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale, l’ex-détenu de Rebeuss décide de créer un parti politique du nom de … « Rewmi » (le pays). Autant dire un autre clin d’œil de sa part.
Cette initiative qu’il engage avec 11 députés du Pds qui ont fait fronde à leur groupe parle- mentaire, est accueillie au sein du parti libéral comme une provocation supplémentaire à l’endroit de Wade. Et, très vite, la tension atteint son paroxysme. Plus personne n’imagine alors que Wade et Idy, devenus des ennemis jurés, puissent encore se retrouver un jour. Mais c’était sans compter avec l’inconstance et les turpitudes du patron de Rewmi. A quelques encablures des élections, il est reçu à la surprise au Palais pour négocier on ne sait quoi avec le Président Wade. Cette réception qui était manifestement un traquenard tendu par le vieux briscard, candidat à sa propre succession, lui fera perdre beaucoup de ses militants et sympathisants. En renard de la politique, Wade venait d’affaiblir en tout cas ce- lui qui pouvait réellement compromettre sa réélection au 1er tour. Résultat : bien parti pour inquiéter sérieusement son ancien mentor, Idy se retrouve finalement 2ième avec près de 14% des suffrages loin derrière . On comprendra plus tard qu’il a du faire ce sacrifice sur injonction de Feu Serigne Saliou Mbacké qui lui avait intimé l’ordre d’aller à répondre à Abdoulaye Wade.
Wade, réélu dès le premier tour. Dans la foulée, la coalition Jamm-Ji que le leader de Rewmi crée en direction des législatives de 2007 avec Ousmane Tanor Dieng du Ps, Abdoulaye Bathily de la LD/MPT et Moustapha Fall Thié, éclate en raison de sa boulimie. Puisqu’il leur exige, compte tenu de son poids électoral, 40% sur la liste nationale. Finalement, les législatives seront boycottées par l’opposition significative au grand dam d’Idrissa Seck. Car, au regard de ses résultats à la présidentielle, il venait de rater une occasion en or pour disposer d’un groupe parlementaire et gagner ainsi le statut d’opposant numéro un de Wade. Il laissa donc la brèche ouverte. Et Macky Sall n’a fait que s’y engouffrer en 2012, coiffant tout le monde au poteau.
Pour la présidentielle de 2019 Idrissa Seck se présente comme un adversaire redoutable contre Macky Sall dans un mortel combat.