Le leader du Raam Daan, Thione Ballago Seck, compte bien mener son projet intitulé « La Cedeao en chœurs ». Il a procédé à une séance d’écoute de deux titres à son studio samedi dernier. Comme à son habitude, il a répondu à nos questions avec une rare franchise.
Vous venez de sortir deux titres dans le cadre du projet « CEDEAO en chœurs ». Pourquoi avoir choisi ce moment précis ?
Je suis un simple mortel et mon destin ne m’appartient pas. Je ne suis même pas sûr que je sois encore vivant la semaine prochaine. C’est après mûre réflexion que j’ai décidé de surseoir à ma volonté première de les sortir sous forme d’albums. bien entendu, je suis toujours dans ces dispositions. En attendant donc, j’ai pris l’option de les rendre disponibles sur YouTube pour une large diffusion. Comme on a tellement communiqué sur ce projet, ça permettra de couper court aux rumeurs et faire taire ceux qui disent que Thione ne fait que parler. Pour le reste, on attend ce que le bon Dieu en décidera….J’étais également dans l’attente de la réaction du gouvernement du Sénégal pour savoir la nature de son soutien comme me l’avait promis le chef de l’Etat Macky sall. Certes, l’attente a été assez longue. Au ministère de la Culture également, ils sont au courant du projet. J’ai reçu une délégation de la tutelle au studio. Mais depuis lors, il n y a pas eu de feedback. Comme je ne suis pas au courant de leur position, j’ai pris l’option de mettre un par un, tous les titres sur YouTube.
Musicalement quelles sont les nouveautés apportées à la réalisation de ce produit ?
Je vous retourne la question car vous venez d’assister à une séance d’écoute (Rires). Pour être sérieux, je dois dire qu’il existe une grande différence entre votre époque et la nôtre à ce niveau. Vous vivez dans une époque très compliquée. Avec Internet et ses différents instruments, tout est permis et les choses bougent très vite.
Il est surtout question de la portée du message…
J’ai toujours été un messager. Vos ainés dans la profession ont dit et écrit que Thione Seck est le meilleur parolier de sa génération. Donc j’ai toujours été un messager et cela ne changera jamais. Au moins, à l’unanimité, le Sénégal me reconnait ce statut de bon parolier. Au niveau du rythme, j’ai essayé de ne pas sortir du « Mbalakh ». J’ai voulu faire chanter les autres sur le rythme. Il y a aussi le fait que j’ai beaucoup insisté sur l’usage du violon. C’est une Allemande du nom de Stéphanie qui a joué de cet instrument et j’ai trouvé que cela cadre parfaitement avec notre musique. Dans le titre, « Les rapaces » j’évoque la lancinante question de la Toute-Puissance divine et celle de la mort. Je vois mal que des gens puissent faire exploser un avion et tuer autant de gens dans une mosquée en revendiquant des droits au nom de Dieu. Je ne sais pas de quel Dieu ils parlent car le mien ne permet pas cela. Dieu n’a jamais autorisé cela. Ils tuent au nom de Dieu juste pour assouvir des passions inavouées. Je parle de toutes ces vilenies qui rythment notre quotidien. Il y a une recrudescence de la pratique du mal à tous les niveaux. Il y a des complots et des pièges que l’on vous tend pour vous détruire grâce à l’argent. Je me dis que de nos jours, tout est permis à cause du pouvoir et de l’argent.
Concrètement quel soutien attendez-vous de nos autorités ?
J’ai été reçu par le Président sall, il y a plus d’un an. Donc, j’ai vraiment attendu. Pour ce qui concerne le ministère, il y a eu une délégation comprenant le Directeur des Arts M. Koundoul et Aziz Dieng. Ils sont venus écouter les morceaux. Ils étaient en compagnie d’une délégation de hauts responsables de la Culture de la Guinée et du Mali. Malgré tout, il n’y a eu aucune suite. Comme je l’ai dit tantôt, mon destin n’est pas entre mes mains. D’autant plus que nos jours, on se lève un beau jour pour s’entendre dire qu’untel a quitté ce bas monde….Pour dire vrai, j’attendais un soutien très conséquent de la part du chef de l’Etat. Un projet d’une telle envergure devrait être soutenu par l’Etat du sénégal par le canal du ministère de la Culture. C’est vraiment un très, très, très grand projet. Je ne pense pas que le Président ne puisse pas saisir le sens de cette portée. Il le sait parce qu’il me l’a dit. Au cours de notre rencontre, il m’a dit qu’il était très fier qu’un projet d’une telle dimension soit porté par un fils du sénégal. Donc, il a bien compris le sens de ma démarche. Pour le ministère aussi, je ne pense pas qu’ils ignorent ce fait. Ils sont venus ici, ils ont écouté et donné leur avis et ils m’ont chaleureusement félicité et encouragé à la fin de leur visite. J’attends d’eux qu’ils me fournissent les moyens de sortir ce produit dans les règles de l’art. Comme je n’ai rien vu venir, j’ai décidé de prendre les devants et d’user du canal de YouTube pour sortir les différentes chansons.
Comment pouvez-vous estimer les conséquences du Covid- 19 sur la bonne marche du projet ?
Il est quasi impossible d’estimer les coûts. Tout le monde sait que le Corona est passé par là. Cette pandémie a détruit énormément de choses et on ne s’en rendra vraiment compte qu’après la fin de cette crise. Je sais que dans ce là, plus rien ne sera comme avant. Pour ces fâcheuses conséquences, il ne faut même pas rêver. Tout va être chamboulé. Je viens d’entendre à la télé que l’économie du Canada a connu une baisse de plus de huit pour cent depuis la survenue de la pandémie. Quand on sait qu’ils sont dix mille fois plus puissants que nous, on doit imaginer les résultats. si vraiment comme on le susurre cette crise provient d’une erreur humaine, suite à des manipulations, je pense que ces gens méritent tous la guillotine. Ils ont alors causé énormément de torts à l’Humanité.
Concrètement, comment êtes-vous impacté par la pandémie du Covid19 ?
C’est une période très, très dur pour tout le monde. Tout le monde est impacté … Je reconnais que le ministre a fait un beau geste. s’il avait convoqué une réunion au Grand Théâtre, personne ne pourrait gérer cela, car il y a énormément d’artistes dans ce pays. Il a juste ciblé ceux que l’on appelle de manière triviale les cinq majeurs pour aller discuter avec eux. Il nous a tous fait savoir que pour l’instant, il ne dispose pas de budget affecté à la gestion de cette crise et qu’il compatit à nos souffrances. Au moins, il a été clair et honnête avec nous. Mais après avoir exprimé nos doléances au ministre, beaucoup de personnes se sont mis à nous injurier. Et en vertu de quoi ? Nous ne sommes pas des Zambiens. Nous sommes des sénégalais et nous avons le droit de dire à notre ministre que nous avons besoin de lui. Le monde culturel a trop souffert. Il y a une grande instabilité au niveau du département de la Culture et cela nous a toujours porté préjudice. si je prends mon cas, au sein du Raam Dann, il y a trente-deux personnes qui travaillent autour du groupe en comptant les musiciens, les techniciens et les bagagistes. Toutes nos activités sont mises en veilleuse. Nous ne travaillons plus. C’est le président de la République qui doit nous soutenir. Il faut dire les choses telles qu’elles sont. C’est lui le gardien de la Constitution, le Protecteur des Arts, des Lettres et des Artistes. Comment voulez-vous qu’un musicien qui ne travaille plus depuis trois mois puisse survivre et conserver sa dignité en ne disposant plus de moyens d’existence ? Le musicien doit continuer de vivre et payer ses factures. Je suis désolé de le constater et de le dire, mais au Sénégal l’artiste n’est pas très bien considéré. Je ne sais pas pourquoi. Et si je parle, on nous rétorque qu’au vu de leur statut, les cinq ne doivent pas parler ainsi. Pourtant, il ne faut pas oublier que les cinq ont abattu un énorme travail avant de pouvoir intégrer ce cénacle. C’est grâce à eux que les jeunes rêvent de devenir musicien et veulent marcher sur leurs pas. Les cinq ont consenti d’énormes sacrifices pour défendre partout les couleurs de notre musique. Je ne suis pas politicien et je pense que si j’étais un politicien, mon projet aurait connu meilleur sort… Wally est mon fils, mais moi je ne suis pas Wally. Ils profitent toujours de mes sorties pour s’attaquer à lui. Wally est venu au monde et il m’a trouvé comme je suis. J’étais déjà Thione Seck. J’ai toujours exprimé mes idées comme je l’ai toujours senti et je ne vais pas changer. Je ne peux pas comprendre qu’à chacune de mes sorties, on descend en flammes mon fils, juste pour le plaisir de faire du mal. C’est trop facile de se cacher derrière un écran d’ordinateur pour se muer en chasseur de primes du nombre de vues. Ces gens-là ne ratent aucune occasion pour m’insulter et me calomnier. Ils profitent du moindre de mes paroles pour essayer de me causer du tort. Pourtant ce que je dis ne les concerne nullement. Je ne m’adresse pas du tout à eux. Je ne les connais même pas. Ce sont eux qui me connaissent. C’est trop facile de se nourrir de cette manière. C’est Haram, haram, Haram (il se répète) et vraiment illicite. Peut-être que c’est votre époque qui veut ça, mais je ne comprends pas du tout cela.
Là, vous parlez du côté négatif du digital. N’empêche, vous l’utilisez par le biais de YouTube, n’est-ce pas paradoxal ?
Avec le Covid-19, on ne sait plus vraiment où nous allons. Mais je peux juste dire une chose. Cette pandémie et Internet causent énormément de tort au monde entier. Je suis persuadé qu’Internet ne va pas disparaitre, mais pour ce qui est du Corona, nous prions pour que ce virus disparaisse le plus rapidement possible. Je suis juste convaincu qu’Internet commet de nombreux ravages et cela va continuer. YouTube, c’est un palliatif. Il faut au moins un million de vues pour percevoir six cent mille francs Cfa, je crois. Et ce n’est pas du tout facile d’atteindre un million de vues. Donc c’est juste pour marquer notre territoire. Même au niveau des retombées, cela ne peut combler nos dépenses. Cependant, c’est mieux que de passer par ces pirates qui me proposent mon propre produit au niveau des feux de signalisation. Je ne me sens pas du tout protégé face à ces vautours. On laisse faire ces pirates et on me fait payer des impôts. On les laisse faire parce qu’eux, ils peuvent avoir recours à leur khalife général…
A vous entendre, c’est la faute à l’Etat ?
Bien sûr que c’est la faute de l’Etat ! S’il voulait que le piratage disparaisse, ce serait fait depuis longtemps. Avec la toute-puissance dont dispose l’Etat, il peut régler ce problème très rapidement s’il avait voulu. C’est une situation ubuesque et illogique.
Pourtant l’Etat fait de gros efforts en mettant sur place des fonds pour financer les artistes ?
En cinquante années de carrière, je n’ai jamais vu un artiste adepte du « Mbalakh» être financé pour un quelconque projet à moins que cela se fasse en dessous de table. Mais de manière officielle, je ne suis pas au courant .Pourtant le ministère dispose d’un budget annuel de plusieurs milliards. Je ne critique aucun ministre de la Culture car ce n’est pas mon rôle. J’ai vu passer de nombreux ministres de la Culture depuis le temps d’Alioune Sène. La musique sénégalaise n’est pas du tout soutenue. C’est ce qui fait la différence avec la musique nigériane. Elle a été soutenue par le gouvernement et des investisseurs américains. C’est ce qui a contribué à son extraordinaire essor. Les musiciens sénégalais font tout par eux-mêmes. Ils usent toujours de leurs propres moyens. Ils sont pourtant prompts à organiser des quêtes pour lever des fonds quand un artiste est malade et à bout de souffle. Ce qui est vraiment dommage car nous sommes au 21ème siècle. Cela va durer jusqu’à quand? C’est une question que je me pose…