Kanilai (Gambie) (AFP) – Dans toute la Gambie,0 les militaires africains venus forcer Yahya Jammeh à partir sont accueillis en sauveurs. Mais dans son village natal de Kanilai, desservi successivement par une route au nom de son épouse puis au sien, les habitants remâchent leur amertume.
Les portraits géants de Yahya Jammeh, en boubou et chéchia blancs, un chapelet à la main et le visage fendu d’un large sourire, accueillent toujours les visiteurs à l’entrée du village, tout proche de la région sénégalaise de Casamance (sud).
« Dieu lui avait donné le pouvoir, Dieu le lui a repris », philosophe un jeune, parmi un petit groupe assis sous le préau d’un bâtiment et manifestement réticent à une discussion sur l’enfant du pays, parti en exil samedi soir.
Une femme, visiblement en colère, crache des imprécations dans une langue locale. L’atmosphère devient pesante, les visages visiblement hostiles à la présence de journalistes étrangers.
Comprenant qu’elle n’est pas la bienvenue, l’équipe de l’AFP écourte sa visite.
Dans ce village reculé entouré d’une dense végétation, d’arbres géants et de palmiers à huile, à une centaine de kilomètres à l’est de la capitale, Banjul, Yahya Jammeh a fait construire un imposant palais, plusieurs enceintes sportives, un hôtel et même un zoo.
La vaste demeure, au portail en fer, est surmontée d’un mirador. De l’extérieur, on aperçoit un édifice en forme d’arc de triomphe. Accès et prises de vues interdits, prévient courtoisement mais fermement un responsable de la sécurité, qui conseille d’aller plutôt parler aux habitants
Le portail s’ouvre puis se referme pour laisser passer deux camions chargés de moutons et de bœufs. Sur une portière, on peut lire: « en Yahya Jammeh nous croyons » ou encore « les fermes familiales de Kanilai », ses propriétés personnelles.
« Ce sont des bêtes qui vont dans sa ferme », souffle doucement un garde selon lequel des membres de la famille de l’ancien président, qu’il n’a pas identifiés, se trouvent à l’intérieur.
– « On a tiré sur Kanilai » –
Après 22 ans au pouvoir, Yahya Jammeh a quitté Banjul pour la Guinée-Equatoriale en compagnie de membres de sa famille et de son entourage, ainsi que de nombreuses possessions. Les biens qu’il n’a pu emporter, comme les troupeaux, ont été mis en lieu sûr.
Ce départ a marqué le dénouement de six semaines d’une crise provoquée par son refus d’accepter les résultats de l’élection présidentielle du 1er décembre, remportée par l’opposant Adama Barrow, qu’il avait pourtant félicité pour sa victoire le lendemain du vote, à la surprise générale.
Dans un appel téléphonique à M. Barrow enregistré et télévisé il évoquait alors en plaisantant une possible reconversion dans l’agriculture à Kanilai.
C’est finalement sous la menace d’une intervention militaire de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), déclenchée le 19 janvier à partir du Sénégal, et après une ultime médiation des présidents mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz et guinéen Alpha Condé, qu’il s’est résolu à céder le pouvoir.
Une obstination qui a valu à son village natal d’être l’une des premières cibles de l’opération, suspendue au bout de quelques heures pour permettre la médiation.
« On a tiré sur Kanilai, je me demande pourquoi », confie un des rares habitants ouvertement critiques de Yahya Jammeh, estimant injuste de devoir payer pour ses actes.
« Ce sont des maisons de pauvres. Yahya Jammeh n’a rien fait ici », affirme-t-il, montrant les boutiques et les maisons en pisé au toit en zinc qui jalonnent la voie conduisant au palais.
« Nous sommes des soldats. Nous travaillons pour la nation et non pour Yayha Jammeh », assure un garde, qui lui est reconnaissant de certains progrès, comme la construction de routes … ou le passage de la télévision gambienne du noir et blanc à la couleur.
Plus au nord, dans la localité frontalière de Farafegny où les militaires soldats sénégalais de la force ouest-africaine ont été salués par des vivats, dans le poste de police une agente fait place nette.
Elle retourne à l’envers une photo de Yahya Jammeh déposée au fond d’une caisse et décroche du mur un calendrier à son effigie pour lui faire connaître le même sort.