L’OBS – Rien ne laissait présager qu’il vivait ses derniers instants sur terre. Ce lundi comme les précédents, Ablaye Mbaye avait planifié sa journée dont le principal acte devait se jouer au studio «1000 mélodies» de Baba Hamdy. Avant cette séance d’enregistrement du dernier morceau de son album à venir, il avait pris le temps de partager un dernier repas avec ses proches à son domicile familial de Fass. Puis, il les avait quittés comme il était venu, la mine joviale et l’allure cocasse. Ablaye s’est finalement retrouvé au studio, en compagnie de ses musiciens et de son manager. C’est là où il a été pris d’un malaise qui va l’emporter à jamais. Les obsèques auront lieu à Fass.
C’était une matinée comme les autres… Ablaye Mbaye, à l’heure du repas, s’est présenté à sa maison familiale au populeux quartier Fass. Là où il a vécu d’heureux moments, où il prendra son dernier repas avec certains de ses proches. Sur les lieux, l’atmosphère est intenable. Les parents, étreints par l’émotion, ont du mal à livrer leurs témoignages. «On n’a rien à dire. Ablaye a mangé ici ce matin. Il est parti et on ne l’a plus revu. Il faut venir un autre jour», fulmine une jeune dame qui a du mal à se contrôler. Alioune Badara Seck, lui, est inconsolable. Son frère et ami est parti à jamais. Il n’en revient pas. «Tout est allé si vite. J’étais à mon lieu de travail et on m’a appelé pour me dire que Ablaye a eu un malaise. J’ai aussitôt laissé tout ce que je faisais. Quand je suis arrivé, on m’a dit qu’il est décédé», déclare l’homme assis dans son salon. Dans lequel, sur le même fauteuil, Ablaye s’asseyait tous les jours, quand il était à Fass. «Même les enfants savent que ce fauteuil est le sien. Quand il est arrivé, on regardait une pièce de théâtre. Il a regagné sa place», témoigne son ami, Aladji Gueye. Ablaye Mbaye, comme à l’accoutumée, chahutait tout le monde. Mame Diarra, l’épouse de Alioune Badara, le lui rendait bien. Elle lui disait : «Tu as de la chance. On a failli manger sans toi.» Tous se sont mis autour du bol. «C’était du riz au poisson. A un moment, il m’a demandé la croute, j’ai pris toute la croute et l’ai mise à sa place. Je lui disais que c’est de la part de Diawrigne, un ami commun. Il a répondu : ‘’Sa diawrigne bobou du dara.’’ On était loin d’imaginer que c’était notre dernier repas», déclare Aladji Gueye.
Daro Mbaye, mère de Mbaye Dièye Faye et tante de Ablaye Mbaye : «Il m’avait promis de passer mercredi pour m’offrir de l’argent»
Après avoir bien mangé, Ablaye a demandé à Aladji de lui supprimer tous les Sms que lui envoyaient les opérateurs. Il disait que cela saturait son téléphone. Par la suite, il a pris congé de ses hôtes. «Il m’a dit qu’il se rendait chez Pèse pour boire du thé», a ajouté Aladji. Mame Diara qui lui préparait, tous les jours, à manger est, quant à elle, sous le choc. «Je ne peux m’exprimer. Je suis désolée. Je ne peux rien dire. Je prie pour lui. Ablaye était un homme extraordinaire. Qu’Allah l’accueille à son paradis…», finit-elle par lâcher difficilement. Son époux, pendant ce temps, continue de se lamenter. Dans son Lacoste blanc assorti d’un pantalon gris, Badou ne tient pas sur place. Il répète sans cesse : «Ce n’est pas possible. Hier, je l’ai aperçu. A un moment, j’ai voulu l’appeler, mais je ne sais pas ce qui m’a retenu. Il était assis derrière le scooter. C’est la dernière fois que je le voyais.» Assise sur son lit, Daro Mbaye, mère de Mbaye Dièye Faye, est aussi revenue sur ses relations avec l’artiste. «Ablaye, dit-elle, est mon neveu. Son père et moi sommes de même père et de même mère. Il était passé me voir hier nuit. On a parlé et il m’a promis qu’il allait revenir mercredi, pour m’offrir de l’argent. Je n’arrive pas à croire que Ablaye est parti.»
A 1000 Mélodies, la dernière «note»
Dans son bluejean foncé assorti d’une chemise claire, Ablaye Mbaye ne laissait paraître aucun signe de fatigue ou de faiblesse. Avec son humeur taquine dont il ne se séparait jamais, il a fait son apparition au studio 1000 mélodies du producteur Baba Hamdy, peu avant 17 heures. Il avait pris le soin de convoquer ses musiciens pour enregistrer le dernier morceau de son album. La sortie de cet opus était d’ailleurs prévue le 4 février prochain, selon son proche ami, Guissé Pène. Malheureusement, la loi divine a frappé. Boute-en-train hors pair, il charriait comme d’habitude sa bande de potes. Attendant patiemment le dernier musicien (le claviste) qui manquait à l’appel, il était assis sur un siège et tenait son micro à la main. Au fur et à mesure que les minutes s’égrenaient, il se faisait plus amusant. Entre deux fous rires, il se plaisait à prononcer le nom de «Tapha Faye». Un surnom qu’il avait donné à son claviste en retard cet après-midi-là. Ce sont d’ailleurs les dernières paroles qu’il a prononcées, selon son manager, Tapha Ndiaye. Par la suite, il s’est levé et s’est dirigé vers un canapé, après avoir posé son micro. Là, il est subitement pris de convulsions. Surpris et pris de panique, les musiciens ont tenté de lui venir en aide, en lui versant de l’eau sur la tête. Ablaye ne réagissait toujours pas. Sans perdre une minute, ils l’ont conduit à l’hôpital le plus proche, Gaspard Kamara, à bord de son véhicule conduit par son frère. Loin de s’imaginer qu’il vivait ses derniers instants sur terre…
Les artistes effondrés
A l’hôpital, il est admis en urgence. Malheureusement, impuissants, les médecins n’ont pu que constater son décès. Le monde s’est alors écroulé sous les pieds de ceux qui l’accompagnaient qui ne pouvaient qu’accepter le décret divin. Quelques instants plus tard, la nouvelle de sa disparition s’est répandue comme une traînée de poudre. Les artistes ont tous convergé vers la structure sanitaire. Youssou Ndour, parmi eux, n’a pu retenir ses émotions. Alioune Badara, témoin de la scène, raconte : «Nous sommes arrivés au même moment à l’hôpital. Youssou Ndour a demandé où se trouvait Ablaye. On lui a indiqué le lieu et on est entré dans la salle ensemble. Le corps de Ablaye était allongé sur le lit. On a tiré le tissu blanc qui le couvrait et Youssou a craqué. Il s’est mis à pleurer. C’est là que j’ai réalisé que Ablaye n’était plus de ce monde.» Sa dépouille a par la suite été acheminée à l’hôpital Le Dantec pour les besoin de l’autopsie, mais aux dernières nouvelles, elle serait emmenée aux Parcelles Assainies où réside sa mère.
MOR AMAR
RAPPEL À DIEU DE L’ARTSTE ABLAYE MBAYE : La culture perd un chantre
Quand la grande faucheuse emporte un jeune homme, à la fleur de l’âge, elle émeut tout être qui en prend connaissance. Parents, amis, inconnus et autres… Mais quand elle emporte avec lui, autant de talent, de réalisations, de souvenirs, de gaieté ou de culture, cela provoque un choc. Aussi brusque que triste ! Le cœur lourd, impuissants devant le décret divin, ils sont nombreux les Sénégalais à avoir ressenti cela, hier soir, en apprenant la brutale disparition d’un des leurs. Le chanteur Ablaye Mbaye a rejoint l’au-delà hier, à l’âge de trente-cinq ans. «Encore si jeune… », «Un énorme talent perdu», «Quelle surprise», les témoignages se bousculent autour de cette triste note, pour exprimer l’inattendu. Terrassé en plein studio par un malaise qui ne lui aura laissé aucune chance, le chanteur comptait parmi les valeurs sûres de la musique sénégalaise.
Youssou Ndour, celui par qui tout est parti
Grâce à son don pour le chant, il a sans conteste, écrit de belles pages de la musique au Sénégal. Les souvenirs de son enfance, avec un Youssou Ndour, son modèle, à «Oscar des vacances», sont encore frais dans les mémoires. L’image d’un jeune non-voyant as du micro, avec une voix exceptionnelle, commençait alors à «hanter» les mélomanes. Issu d’une famille de griots (celle du grand tambour major feu Vieux Sing Faye), le jeune musicien a commencé à chanter avec feu Demba Dia. De sa rencontre avec Youssou Ndour naîtra son premier album «Nila Démé», en 1994. L’adolescent de l’époque qui a fait ses études en braille à l’Union nationale des aveugles de Thiès, connut un succès fou, à tel point qu’on le présentait comme un potentiel successeur de la star planétaire. Avec «Sope yi» (Les fans), il met les mélomanes à ses pieds. Longtemps choriste pour Youssou Ndour, il sort une autre production «Xaleyi» (Les enfants), en hommage à sa mère et aux femmes en général. En 2005, «Maague Naa» sonne comme l’album de la maturité. Ses thèmes concernent l’enfance, les faits de société, son handicap etc… Il aura travaillé avec de grands noms de la musique, comme Salif Keïta ou Diziz la peste.
Un disque d’or pour un duo avec Kery James.
Son talent connaît un succès international, avec l’album pop-word intitulé «Parlons entre nous». Un opus de 10 titres, en collaboration avec les artistes français, pour produire un harmonieux dialogue musical. La consécration arrive par un disque d’or avec la «Mafia K’Fry», grâce au duo avec Kery James. Ces derniers mois, il se battait pour revenir sur la scène et préparait un nouvel album. L’artiste laisse ainsi, beaucoup de projets inachevés. Mais comme le dit l’adage, «l’homme propose, Dieu dispose». Adieu l’artiste !