L’importance du facteur travail dans le développement n’est pas nouveau, puisque la sous-utilisation ou la non-utilisation du facteur travail a toujours constitué un nœud gordien des politiques économiques.
Au Sénégal, on a commencé à s’intéresser à l’emploi dès le premier plan mais de manière générale, sans tenir compte de l’inadéquation des concepts classiques par rapport à nos économies. La bonne tenue de l’emploi est le signe extérieur d’une bonne croissance qui n’est plus seulement l’augmentation auto-entretenue de certaines grandeurs économiques (produit national brut, revenu par habitant etc..), ni de la modification cumulative des conditions de production ou la transformation des infrastructures.
Le chômage quant à lui est l’une des manifestations les plus visibles du sous-développement. Il montre dans les faits l’état réel de l’économie au-delà des discours ou des clignotants qu’on déclare verts. Le fétichisme des chiffres ne peut pas masquer les difficultés quotidiennes.
L’emploi au Sénégal sera le défi majeur de notre siècle. En effet, le 19e siècle était celui où les matières premières dominaient tout, le 20e siècle, celui des matières énergétiques (la vapeur, le pétrole, le gaz) qui ont façonné l’équilibre du monde. Notre siècle sera celui du savoir et des services. Le savoir sera tout à la fois la clé et l’enjeu de l’avenir des peuples et des sociétés. Il sera à la base de plus de 70 % des emplois occupés.
Notre pays depuis 1960 se maintient dans un statuquo tyrannique et prend souvent le problème de l’emploi par le même bout. Une bonne analyse du marché de l’emploi nécessite l’étude de sa demande certes, mais aussi de son offre. Il est certain que toute politique économique cherche à résoudre le chômage et tente de faire avancer le marché vers le plein emploi ; et ceci bien qu’il soit utopique de parler de plein emploi dans nos sociétés. Mais l’analyse des agrégats permet de mieux connaitre les limites et de mieux comprendre l’efficacité de ces politiques. Il faut savoir en outre et ceci avant d’appliquer une stratégie globale que la réduction du nombre de personnes qui cherche un travail ne passe pas par la seule création d’emploi « in abstracto ». En effet, il faut qu’il y ‘ait des processus de réallocation déclenchés par des phénomènes de vacances d’emploi tels que les personnes inactives finissent par trouver une occupation qui leur conviennent et qu’elles seront capables de la remplir avec satisfaction. Cette norme est la base des politiques des 35 heures en France. L’assouplissement des normes d’employabilité et l’accroissement de la demande globale déclenchent le processus.
Depuis 1960, le taux de croissance du produit national brut au Sénégal n’est pas suffisant pour absorber le surplus de main d’œuvre qui apparait chaque année sur le marché du fait de la croissance démographique et de la faiblesse du taux de productivité de certains secteurs. Se basant sur ce constat, les politiques économiques ont tenté d’accélérer la croissance. Mais les imperfections et la segmentation du marché de l’emploi ont freiné la réduction du chômage. Les tentatives au Sénégal ont jusqu’à aujourd’hui été axées sur l’intégration de l’industrie. Mais l’hétérogénéité de ce secteur composé d’unités juxtaposées, la faiblesse de leurs investissements et leur manque de « know-how » freinent cette approche. Déjà le plan de 1961-1965 dans un court chapitre sur l’emploi disait « la réalisation du plan entrainera la création de 20 000 emplois dans l’industrie et le bâtiment ». Ce chiffre a été affiché 40 ans après. Il n’existe pas de politique spécifique de l’emploi puisque la création d’activités devait être seulement la conséquence des investissements prévus et leurs effets multiplicateurs. La mise en place d’un code d’investissement et d’une zone franche industrielle n’y ont rien fait. La mondialisation et la conjoncture économique souvent défavorable ne peuvent pas seules justifier l’échec de ces politiques de l’emploi.
Il est impossible dans le cadre d’un article de couvrir l’ensemble des possibilités. Mais il est certain, que tout potentiel humain peut constituer une richesse à condition d’être bien formé et mobilisé à des tâches prioritaires. Il est temps d’agir non pas sur le changement dans l’état des demandes mais sur les structures et le niveau des offres.
L’expansion démographique et la modernisation ont sapé l’équilibre du marché de l’emploi entrainant un transfert énorme des populations rurales vers les villes. Ce phénomène a permis la naissance du secteur informel qui cohabite avec celui dit moderne avec une difficulté d’accès du premier vers le second. Il apparait qu’en volume d’emploi total, le secteur informel est le premier secteur au Sénégal. Mais en fait il est dominé par le sous-emploi. Il existe aussi des postes d’activité où l’importance des revenus dépasse celui du cadre moyen sénégalais.
C’est ainsi que la promotion et la modernisation du secteur informel en lui gardant ses caractéristiques devient nécessaire.
Le secteur informel nécessite une plus grande connaissance. Et pour aider l’industrie à jouer son vrai rôle, il faudra corriger la distorsion des facteurs de production, améliorer l’insuffisance de la demande et combattre les pénuries de capitaux et de matières premières. Ces mesures d’ordre macro-économiques relèvent d’une politique économique globale. Les problèmes démographiques et la mise en valeur des ressources nationales entrent dans ce cadre.
La politique macro-économique doit favoriser les PME plus pourvoyeurs d’emplois que les multinationales. Les PME n’ont pas accès aux capitaux et subissent la déficience des facteurs de productions c’est-à-dire les prix de l’énergie et les fonds de roulement.
Pourquoi l’économie du Sénégal malgré un taux de croissance positif embauche peu ? Parce qu’au Sénégal la demande en matière d’emploi est directement liée aux activités économiques qui sont concentrées autour des pôles de croissance. Ces dernières apparaissent comme des activités motrices qui influent sur la structuration de la main-d’œuvre.
Les problèmes concernent les différents types de chômage et de sous-emploi, leurs manifestations et leur répartition sectorielle devront être cernés. Afin que de manière concrète, l’état et les entreprises privées puissent absorber le plus possible l’important excédent des ressources humaines sans aucunement mettre en cause la compétitivité de notre économie et notre modernisation.
Il est certain que dans notre pays, le chômage est un vrai dilemme. D’une part, la maîtrise des coûts de production est préalable à toute modernisation industrielle donc à tout développement. D’autre part, le chômage accroit les inégalités entre les groupes sociaux plus ou moins favorisés par le milieu social, l’âge, la formation ou la qualification. Il est le terreau des déséquilibres sociaux aux conséquences incalculables d’où la nécessité de mettre l’entreprise au cœur des politiques économiques car « ce sont les profits d’aujourd’hui qui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain ».
Ibrahima SALL
Economiste – Consultant International