ELIMANE KANE: «Il y a une entreprise de sabordage de l’Ofnac… »

Dans son discours du 31 décembre, le chef de l’Etat n’a pas ménagé l’Ofnac qui a épinglé, dans certains de ses audits, des caciques du parti présidentiel. Mais pour Elimane Kane, spécialiste des questions de gouvernance, la sortie du chef de l’Etat n’est pas de type à renforcer les corps de contrôle. Au contraire, il risque d’encourager les fossoyeurs de la République dans la prévarication de nos ressources publiques.

 
Que pensez-vous des propos du chef de l’Etat tenus à propos de l’OFNAC, notamment sur le cas Cheikh Oumar Hann ?
 
Je trouve que le président de la république a mal abordé la question du journaliste concernant les rapports de l’OFNAC restés sans suite, alors que ses collaborateurs proches sont souvent épinglés par différents rapports.
 
Pourquoi ?
 
D’abord, c’est une méprise de sa part de dégager sa responsabilité en disant que le rapport ne lui est pas adressé. La loi 2012-30 du 28 décembre  2012 portant création de l’OFNAC indique clairement que l’office doit déposer son rapport auprès du Président de la république et le publier. Dans ses  différents rapports sont évoqués des cas de fraude et de corruption et autres types d’irrégularités sur la gestion publique suite à des investigations d’équipes d’enquêteurs commis à cet effet. Partis ces cas, l’un des plus célèbres concerne l’ancien Dg de la poste mentionné par le Président, comporte des sanctions administratives recommandées par l’OFNAC, avant même de passer à l’action judiciaire. Dans le rapport concerné, il était recommandé que le DG soit immédiatement relevé de ses fonctions, compte tenu des manquements graves observés. Les recommandations sont d’abord destinées au président de la république qui nomme aux postes civils et militaire. Donc il lui revient, dans ces circonstances, de prendre les mesures nécessaires, même si c’est à titre conservatoire, en attendant la suite qui sera donnée au rapport par le parquet. Dès lors, l’attitude du président par rapport à l’impunité, qui caractérise l’essentiel des rapports d’audits et de contrôle, confirme les observations qui laissent croire à une protection des fossoyeurs de la république de sa part, voire une complicité.
 
Mais qu’est ce qui fonde ce sentiment ?
 
Rappelons-nous que le Président avait dit lui-même, avoir mis le coude sur certains rapports déposés sur son bureau. Nous avons tous suivi le sort déséquilibré qui a été donné à la traque des biens mal acquis, avec la reconversion de certaines pontes de l’ancien régime en alliés du président. D’aucuns qui étaient célèbres pour leurs investigations contre la prévarication sous le régime d’Abdoulaye Wade sont devenus de très proches collaborateurs du président et grand théoriciens et défenseurs de la médiation pénale.  En protégeant les personnalités dont leur  gestion sont épinglées par les organes de contrôle, le Président expose sa propre responsabilité dans la propagation des fléaux de la corruption, de la fraude et autres actes de prévarication dont souffre le peuple sénégalais. Faut-il aussi rappeler au Président que le décret qu’il  a signé donne mission à l’OFNAC de s’occuper de la fraude et  de la corruption dans la gestion administrative et financière des affaires publiques, qui ne sont pas exclusifs aux  marchés publics. C’est encore une autre méprise de sa part de minimiser des actes graves de malversation pour nos si maigres ressources. 
 
Son discours risque-t-il de fragiliser l’Ofnac et les corps de contrôle ?
 
Absolument. Le discours du Président peut être perçu par ses collaborateurs comme un signal qui encourage les actes de prévarication. Au lieu de prendre faits et causes pour ses partisans, il aurait dû penser un moment à ce peuple fatigué et souffrant de la cupidité de son élite, quotidiennement abusé par une caste de bandits à col blancs arrogants, dont les seuls faits d’armes sont de jouir de manière indécente, sans retenu des deniers publics, et d’en profiter pour satisfaire des intérêts partisans. Cela ne facilite absolument pas le travail de l’OFNAC qui est une institution administrative de plus en plus affaiblie et trahie. Nous observons comment l’office utilise son temps sur un terrain déjà volontairement  investi par des associations et ONG, à savoir l’animation et l’éducation à l’intégrité, alors qu’il aurait pu consacrer ses ressources dans la traque des actes de corruption et fraudes encore très répandues dans l’administration et dans ses relations avec les tiers. Nous avons entendu Mme la présidente de l’institution exprimer toute son impuissance devant l’ampleur de la corruption qui exclue des honnêtes entrepreneurs dans l’octroi des marchés publics. C’est regrettable. Personnellement, j’ai tendance à croire à une entreprise de sabordage de l’OFNAC et des autres organes de contrôle pour permettre à l’élite aux affaires de profiter des deniers publics, en comptant sur l’impunité assurée d’une part par l’absence de réaction conséquente et terme  du président de la république et d’autre part par le procureur. Pourtant, pour des choses qui concernent la liberté d’expression individuelle, des responsables de l’administration sont démis de leurs fonctions. C’est aussi très regrettable! 
 
Le président a raison de dire qu’il ne faut pas mêler les techniciens des organes de contrôle à la politique. Nous devons effectivement apprendre à  dissocier l’intérêt public, des intérêts partisans. Mais justement ne pas le faire, c’est pour sa part,  valoriser le travail des agents et organes de contrôle, en donnant une suite conséquence à leur travail d’investigation. C’est le plus grand renforcement qu’il est possible de faire à un agent loyal. Ce renforcement ne peut se faire qu’à travers des sanctions administratives et judiciaires car ces valeureux fonctionnaires se donnent beaucoup de peine dans leurs missions et prennent souvent des risques professionnels et personnels en faisant correctement leur travail. L’inertie dans le suivi des rapports serait par ailleurs démotivant et frustrant. 
 
Quel aurait-dû être le discours du président dans ce genre de circonstance ?
 
Je n’ai pas la prétention de dire au Président quel discours il doit tenir. Il a été élu par les sénégalais pour le faire en toute légitimité et je ne suis pas son conseiller non plus. Toutefois, en tant que citoyen sénégalais et observateur des questions de gouvernance j’ai aussi la légitimité de formuler mes attentes en rapport avec ce que je considère comme étant d’intérêt public. A cet effet, je pense que le Président aurait pu profiter de cette interpellation pour renforcer davantage le travail effectué par les agents de l’Etat en charge du contrôle de l’administration et des finances publiques, et de la lutte contre la corruption, la concussion et la fraude. Il avait aussi l’occasion de mettre la pression sur 40 % des agents de l’état assujettis á la déclaration de patrimoine qui rechignent encore á se conformer à la loi. Il aurait aussi bien fait d’évaluer les réformes apportées au code des marchés publics, facilitant les marchés de gré à gré et les offres spontanées. En quoi ces réformes ont été des facteurs diligents de l’exécution efficiente des projets publics. Enfin, il aurait pu utiliser cette occasion de s’adresser à ses collaborateurs et au peuple pour réaffirmer sa volonté de mettre en œuvre la loi portant code de transparence adoptée en même temps que l’OFNAC, et promouvoir le système d’intégrité dans la gouvernance des affaires publiques. 
 
Avez-vous eu l’impression que le chef de l’Etat a choisi de couvrir, dans son discours, ses camarades de parti épinglés ?
 
C’est ce que laisse croire le tempo, le ton et l’orientation tendancieuse de son message qui semble tirer  la couverture sur des agents indexés de manière récurrente, au lieu de s’ériger en défenseur en première ligne, des deniers publics dont il est le garant au nom du peuple qu’il représente.

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