ÉLECTIONS LÉGISLATIVES : Ce que contient le Livre blanc de Me Wade et Cie

Durant son face-à-face avec les journalistes, ce mercredi, Me Abdoulaye Wade, tête de file de la coalition Gagnante Wattu Senegaal, a évoqué l’élaboration d’un Livre blanc, composé des ingrédients d’une « mascarade électorale ».

Une non élection sans précédent. La coalition gagnante Wattu Senegaal est arrivée à cette conclusion en épluchant l’organisation des Législatives du 30 juillet 2017, du processus électoral au jour du scrutin.
Le coordonnateur du comité de rédaction du Livre blanc est Me El Hadj Amadou Sall. Il est secondé par Mamadou Lamine Diallo (Tekki), Pape Diop (Bok Gis Gis) et les responsables libéraux Me Madické Niang, Oumar Sarr et Sada Ndiaye.
Le document est réparti en trois parties : La planification d’une mascarade électorale longtemps à l’avance ; Un scrutin a minima entachée de fraudes massives diverses ou les raisons d’une non élection ; Notre position.
Tout part de la tension née du scrutin présidentiel de février 1988 au cours duquel le challenger du candidat sortant, Me Wade, fut arrêté et envoyé en prison. Les trois mois de tension ont débouché sur l’instauration d’un code consensuel en 1992 avec l’aide du National Democratic Institute (NDI) américain. Mieux, les lacunes révélées par la pratique des élections de 1993 et de 1996 ont donné lieu à des concertations entre le pouvoir, l’opposition et la société civile, entraînant la mise en place d’un Observatoire national des élections (ONEL).
Plus tard, rappellent les rédacteurs, sous l’égide du Président Abdou Diouf, l’ONEL fut remplacé par la CENA (Commission électorale nationale autonome) dirigée successivement par des Officiers généraux ou des magistrats dotés d’une forte personnalité soucieux de préserver leur intégrité et leur crédibilité.

Le chaos serait parti du référendum de 2016

C’est de là qu’est née la rencontre entre le ministère de l’Intérieur et les partis politiques pour trouver des solutions selon la règle du consensus. Un schéma qui a fonctionné jusqu’au référendum de 2016, selon la coalition Gagnante Wattu Senegaal : « Pour l’adoption d’une nouvelle constitution, le Gouvernement abandonna le principe de la consultation mutuelle permanente et procéda à la modification unilatérale du système électoral. A partir de là, l’opposition n’eut plus d’interlocuteur, situation qui a conduit au chaos actuel. »
La rupture du consensus politique a ainsi conduit à la confection d’un nouveau fichier. « Malheureusement, à la suite du référendum de 2016, Macky Sall s’est rendu compte que plus de 60% des électeurs inscrits n’ont pas adopté son projet de Constitution, soit pour avoir voté « NON », soit pour s’être abstenu de participer au scrutin.
Ainsi, sur un électorat de 5.504.592 électeurs inscrits, seuls 2.163.696 électeurs (moins de la moitié des inscrits) ont participé au scrutin, 1.347.778 électeurs ont voté ‘’Oui’’ et 800.425 ont voté ‘’Non’’. »
Pour Me Abdoulaye Wade et Cie, c’est à la suite de cette abstention record que le Chef de l’Etat a décidé de rompre le consensus et se confectionner un nouveau fichier sans les partis politiques, la société civile et les partenaires. L’exclusion des partenaires étant justifiée par l’existence d’un budget permettant de financer la réforme.

Le rôle de l’administration

Après le référendum, sont inter- venues les lois 2016-27 du 19 août 2016 et 2016-08 du 09 janvier 2017 portant, toutes, refonte partielle des listes électorales. Or, à leurs yeux, il s’agissait bien d’une re- fonte totale.
Pis, les commissions administratives ont été créées en violation du code électoral en ce que les partis politiques ont été complètement tenus à l’écart du processus. « Pourtant, relève-t-on dans le Livre blanc, la loi oblige l’Administration à informer les partis politiques qui doivent désigner leurs représentants qui sont membres desdites commissions. Cette disposition a été rarement respectée. »
Les couacs ont été également notés dans la publication des listes électorales avec l’absence de données exigées par le code, notamment la filiation et le domicile de l’électeur. Ou encore lors de la distribution. Sans oublier le transfert d’électeurs dans d’autres bureaux de vote à leur insu, l’importation d’électeurs de Gambie, Guinée et Mauritanie.
La coalition arrivée deuxième aux Législatives constate que le chaos s’est poursuivi jusqu’au jour du scrutin.
« Dès le départ, renseigne-t-elle, l’Administration a été conditionnée, préfets et sous-préfets, pour la plupart ayant été formatés pour être de véritables responsables politiques du parti du Président, s’efforçant d’enregistrer les meilleurs résultats pour l’APR et la coalition BBY. L’opposition souffrira tout le temps de cette attitude partisane de l’Administration la privant de tout recours pour parer aux insuffisances ou combler les lacunes. »
Et d’ajouter : « Au jour du scrutin, sauf aux endroits, où le Gouvernement a voulu favoriser les partisans du pouvoir, partout la mise en place du matériel électoral a été particulièrement laborieuse et pris plusieurs heures de retard empêchant des centaines et des centaines de milliers d’électeurs de voter. »

Le cas du vote à Touba

L’ancien président et son groupe ne pouvaient éluder l’organisation du vote dans le centre du pays. Déjà, selon eux, beaucoup de citoyens qui voulaient s’inscrire n’ont pu le faire compte tenu des difficultés pour la localisation des commissions, mais aussi du peu d’enthousiasme du ministère de l’Intérieur qui n’a pas fait d’efforts particuliers pour les inciter dans ce sens.
Il y a aussi la distribution de cartes qui n’aurait pas été faite dans les conditions permettant à chaque électeur d’entrer en possession de sa carte.
Ce, du fait d’abord, selon les propos même de la direction des élections, que plus de 800 mille cartes d’électeurs (sur 6 millions) n’ont pas été fabriquées et du fait des difficultés à localiser les commissions de distribution. La coalition Gagnante pointe aussi l’extension de commissions privées de distribution, le plus souvent dans les domiciles des responsables de partis de la mouvance présidentielle.
« Ces commissions organisent la disparition des cartes de personnes connues pour ne pas militer dans les rangs des partis au pouvoir. La presse a évoqué le saccage de domiciles de responsables de partis membres de la coalition au pouvoir dans lesquels était organisée une distribution privée de cartes d’électeurs », relève-t-elle.
Avec la rétention des cartes, lais- sent entendre Wade et compagnons, le ministre de l’Intérieur a personnellement déclaré que 30% des électeurs ne pourront pas entrer en possession de leurs cartes. Ainsi, la confusion, la désorganisation et le chaos le jour du scrutin n’ont pas permis le démarrage des opérations électorales. Au plus tôt, elles ont commencé bien après 15h et très souvent aux alentours de 18h. Et les raisons évoquées, tirées des pluies de la soirée du samedi, ne sauraient expliquer ni les lenteurs ni la confusion née de l’absence de matériel électoral, de l’insuffisance ou de l’absence totale de bulletins de leur coalition.
« Les incidents liés au saccage de certains bureaux sont nés du mécontentement des populations qui, las d’attendre plus de 5 heures d’horloge sans rien voir de concret, ont fini de se défouler sur le matériel électoral en saccageant les bureaux fermés et que rien ne pouvait justifier à leurs yeux. Encore que ledit saccage ne pouvait empêcher de tout reprendre en remettant le matériel », argumente-t-on.

Aucune opération dans plus de 250 bureaux de vote

Wattu Senegaal demeure convaincue que l’arrêté prolongeant les opérations jusqu’à mi- nuit n’a eu aucun effet significatif en raison de l’absence remarquée de matériel d’éclairage et du fait de la pluie nocturne. De sorte que le vote a été arrêté presque partout aux environs de 22 heures, certains bureaux n’ayant fonctionné que pendant deux heures de plus.
Pour cette mouvance de l’opposition, la confusion et le chaos étaient si bien organisés que dans plus de 250 bureaux de vote, il n’y a eu aucune opération privant des dizaines de milliers d’électeurs de leurs droits.
« Dans beaucoup de bureaux, il n’y a eu aucun secret et le vote était public du fait de l’absence to- tale d’isoloirs ou de tables, les bulletins, les enveloppes et les urnes étant posés à même le sol », relatent les rédacteurs du Livre blanc non sans dénoncer l’arrestation de candidats et de responsables de leur coalition pour désorienter leurs électeurs alors que l’article 111 du code électoral interdit la re- cherche, l’arrestation et la détention de candidats de l’ouverture
de la campagne jusqu’à la proclamation définitive des résultats pour des propos et actes commis dans cette période et ayant un lien avec les élections.
Ils ont enfin signalé les achats de consciences multiples, les intimidations et le bourrage des urnes à l’intérieur de la zone rurale et dans les petits villages.

La solution

Wattu Senegaal considère que ces joutes doivent être reprises en tenant compte de la reprise des inscriptions pour ceux qui ont été délibérément écartés ; la suppression des ajouts au code électoral consensuel de 1992 établi avec l’assistance du NDI effectués de façon unilatérale par le Gouvernement en plein cours de scrutin en violation des dispositions du protocole additionnel de la CE- DEAO qui interdisent toute modification non consensuelle de la loi électorale dans les 6 mois qui pré- cèdent le scrutin ; la confection de la totalité des cartes d’électeurs par une seule entreprise, publiquement identifiée ; la distribution complète des cartes d’électeurs à leurs ayant droits ; la suppression et l’interdiction d’impression, de reproduction, de distribution et d’utilisation de récépissés et d’ordres de mission tenant lieu de cartes d’électeurs produites en masse.
Le cas contraire, Me Wade et Cie ne participeront plus, à l’avenir, à aucune élection ou consultation, de quelque nature qu’elle soit, organisée et supervisée par un Gouvernement de Macky Sall. A tout le moins, ils s’opposeront, par tous les moyens, à toute tentative de Macky Sall d’organiser sur le territoire national une mascarade semblable.
Pour finir, ils mettent en garde le Chef de l’Etat et l’invitent à être conscient de sa responsabilité personnelle et celle de son clan sur le chaos dans lequel il est en train de plonger le Sénégal.

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