Dossier §exualité des adolescents : Et si le tabou était un facteur détonnant !

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Au chapitre des tabous, les questions qui portent sur la sexualité des jeunes sont aux premières loges. Laissés à eux-mêmes, les adolescents et les jeunes, pour une grande partie, ont fini par trouver eux-mêmes les réponses à leurs propres questions sur la sexualité. Seneweb est allé à la rencontre d’ados, de parents et d’acteurs de la santé de la reproduction pour mieux cerner le problème.
La sexualité des adolescents et des jeunes est un sujet considéré comme tabou dans les familles sénégalaises. Rares sont celles qui évoquent cette question avec leurs enfants du fait de sa complexité. Alors que le débat enfle sur la nécessité ou non d’inclure l’éducation sexuelle dans l’enseignement scolaire, des voix ont commencé à se faire entendre. Pendant ce temps, la cible devient de plus en plus vulnérable. Les grossesses non désirées ou celles dites précoces, les infanticides causés par des femmes célibataires, les infections sexuellement transmissibles (Ist) comme le Vih Sida, continuent de faire légion chez les adolescents et les jeunes. Malgré cet état de fait, les parents préfèrent le mutisme à une discussion à bâtons rompus avec leurs enfants. Le sujet est toujours considéré comme tabou.
Une petite enquête menée auprès de quelques adolescents a montré qu’en réalité, les jeunes sont très au fait des conséquences d’une activité sexuelle, mais aussi des différentes stratégies pour éviter d’engrosser ou de tomber enceinte. Les jeunes interrogés, tout sexe confondu, ont tous estimé prendre conscience des risques d’une activité sexuelle.
Si certains jeunes, des filles surtout, soutiennent n’avoir jamais osé aller jusqu’au bout d’un flirt, leurs pairs de sexe masculin, ont eux, pour la plupart, avoué qu’ils ne sont plus puceaux, depuis belle lurette. Ibrahima Nd. a accepté de se confier. Il dit n’avoir jamais eu à discuter de sexualité, ni avec ses parents, ni avec ses aînés. Un peu gêné, au départ, il est parvenu à dire que tout ce qu’il sait de la santé de la reproduction, il l’a appris au cours de Svt (Sciences de la vie et de la terre) avant de faire ses propres recherches. En classe, il dit avoir senti beaucoup de honte à se concentrer sur les explications que leur donnait le professeur, sur l’anatomie de l’homme et de la femme.
«On a eu de la chance que nos folies n’aient pas conduit aux Ist ou aux grossesses»
«Je savais qu’il fallait une conjonction sexuelle entre un homme et une femme pour qu’il puisse y avoir une grossesse. J’ignorais véritablement comment était constitué l’organe féminin, c’est quoi les menstrues, etc. C’est grâce au cours de Svt que j’ai fini par comprendre pourquoi les filles ne jeûnaient pas certains jours du mois de Ramadan. J’avais cependant honte en un moment, en cours de Svt portant sur la reproduction», a confié Ibrahima.
Ainsi au fil du temps, il dit avoir commencé à fréquenter les filles, à taquiner la cigarette … et même à regarder des films pornos, entre ados. «Avec des copains et des copines, on a fait beaucoup de choses dont je ne me vanterais pas. Aujourd’hui, je me dis qu’on a eu de la chance que nos folies n’aient pas conduit aux Ist, aux grossesses etc. On a maté des films X, comme ce n’est pas possible», a-t-il dit, avec un sourire étouffé.
Kiné S., une adolescente aux formes généreuses, habillée d’un pantalon Jean déchiré délavé et d’un haut de couleur vert fluo, avec des chaussures assorties, semble croquer la vie à pleine dent. Sa jeunesse, elle dit la vivre pleinement, mais avec beaucoup de prudence, même si elle est convaincue que jeunesse doit se faire. Kiné est inscrite à un établissement privé de la place. Elle passe la journée à l’école et fréquente les ados de son âge, à la récréation. Entre deux cours, ou quand le temps le lui permet, elle sort avec ses amis. De ses sorties, quelques-unes de ses amies, confie-t-elle, ont fini par franchir le rubicond.
«Nous étions une bande d’amis. Il y avait des couples qui s’étaient formés, au fil du temps. Certains ne s’abstenaient pas de flirter. Il y avait une sorte de concurrence tacite entre nous. Chacun voulait démontrer à l’autre qu’elle est plus branchée. D’ailleurs, il y en a qui ont fini par entretenir des relations sexuelles avec leurs amants. Pour moi, c’était impensable. Chez nous, on accorde beaucoup d’importance à la virginité des filles jusqu’au mariage. C’est pourquoi, jamais je n’ai pensé pousser le flirt loin. J’ai appris à l’école que tout objet qui dépassait le seuil de l’orifice vaginal pouvait entraîner une défloraison de l’hymen. Aussi me suis-je fixée une limite à ne jamais franchir. Chez moi, malheureusement, cette question n’a jamais été évoquée, ni par mes tantes, ni par ma grand-mère, encore moins par ma mère. Mon père n’en parlons pas», regrette-t-elle. Et pourtant, dit-elle, elle aimerait qu’on lui explique avant qu’elle ne soit obligée elle-même d’aller découvrir avec tous les risques que cela comporte.
«J’ai appris, à l’école, que tout objet qui dépassait le seuil de l’orifice vaginal …»
Avec ses amis, elle soutient avoir entendu, au cours des explications du professeur de Svt parler du Centre conseil ado (Cca) de son département, et de l’importance de ladite structure. «J’avais surpris certains de mes amis parler de Centre conseil pour les adolescents et pour les jeunes. Un jour, alors qu’ils s’y rendaient, je les ai suivis par curiosité. De là, le personnel trouvé sur place nous a accordés toute son attention. C’est ce jour-là que beaucoup de questions que je me posais ont trouvé des réponses», indique Kiné.
À côté de ceux qui se réjouissent des démarches entreprises par les ados et les jeunes pour se protéger des Ist et des grossesses non désirées, beaucoup disent déplorer vivement ce fait. Ils estiment que ces ados, sexuellement actifs, font usage de produits contraceptifs comme des préservatifs, mais aussi des pilules pour se protéger.
Marième, une jeune dame mariée, est foncièrement contre ces filles célibataires qui utilisent les pilules pour éviter les grossesses non désirées. «Les filles qui utilisent les pilules, sans être mariée, je leur recommande d’arrêter. Je suis convaincue que les jeunes filles n’utilisent les contraceptifs que pour s’adonner librement au sexe. La pilule est un produit qu’on peut acheter sans ordonnance. Elle est à la portée de tous. Mais elle est aussi très dangereuse, même si elle a été conçue pour protéger la femme et lui éviter des grossesses rapprochées ou non désirées», éclaire Marième.
«Les filles de mon âge aiment le sexe …»
Contrairement à cette dernière, Bintou, une jeune fille de 20 ans, a béni l’utilisation des contraceptifs, aussi bien par les mariées que par les célibataires. «Je suis à la fois pour et contre l’utilisation des produits contraceptifs. Si je dis que je suis pour, c’est parce qu’il y a des femmes qui tombent enceinte tous les 2 ans. Et cela n’est pas du tout bon pour elles. Et quand je dis que je suis contre, c’est parce la religion nous l’interdit. Et il y a des effets secondaires. Mais, certaines filles le font pour le simple plaisir. Elle utilise les pilules du lendemain. Cela fait qu’elles peuvent faire ce qu’elles veulent sans pour autant tomber enceinte. Les filles de mon âge aiment le sexe et ces pilules leur permet de faire l’amour quant elles le souhaitent», dit-elle.
Bien que tous s’accordent à plaider pour l’abstinence jusqu’au mariage, beaucoup de jeunes filles, célibataires, ont une activité sexuelle régulière. Marie est de celles-là. «Moi, je ne suis pas mariée, mais je prends des pilules parce que je ne veux pas tomber enceinte bêtement. Avant de le faire aussi, j’ai vu un médecin qui m’a donné quelques conseils. Et depuis que je prends ces pilules, je n’ai noté aucun problème. Je suis bien dans ma peau. Je peux faire ce que je veux sans tomber enceinte. Ce n’est pas que je suis une fille mauvaise, mais je ne veux pas avoir d’enfant hors mariage. Je suis trop jeune et je ne suis pas prête pour entretenir un enfant. Parce qu’un bébé, ça nécessite beaucoup de sacrifices», dit-elle.
«J’ai été très clair avec mes enfants : quiconque tombe enceinte ou engrosse…»
Père de famille, domicilié aux Parcelles Assainies, Moussa S. a même froncé les sourcils à l’évocation du sujet. Interrogé, il dit n’être pas du genre à parler de sexualité avec ses enfants. «Je me vois mal parler de sexe avec mes enfants. Il faut qu’on arrête de copier les toubabs. Ce qui est valable chez les blancs ne l’est pas chez nous. Nos parents ne nous parlaient pas de sexe. Je ne vois pas pourquoi aujourd’hui, je vais changer cette tendance. En tout cas, je veille bien sur mes enfants. Aux filles, je ne cesse de mettre en garde contre le péché de la chair. J’ai été très clair la-dessus : quiconque tombe enceinte ou engrosse une fille, alors qu’il n’est pas dans les liens du mariage, sort de ma maison. Et je crois que le message est bien entendu. C’est tout ce que j’avais à dire», dit-il avant de poursuivre son chemin, sans crier gare.
Mère Ndioba, A. Diop, de son vrai nom, elle, dit avoir engagé des discussions avec ses filles, lorsqu’elle a vu en elles les signes d’une puberté. «Il m’est arrivée d’évoquer des sujets qui portent sur la sexualité. Mais, c’était dans l’optique de leur faire comprendre ce que c’est les menstrues, comment se prendre en charge chaque mois, après les règles et ce que signifie les mutations notées sur leur corps». Et de ses explications, elle dit avoir expliqué à ses filles qu’elles sont devenues femmes et qu’elles sont en âge de procréer. Ses fils, aussi, elle dit les surveiller comme du lait sur du feu. «Je veille aussi sur mes garçons autant que sur mes filles».
Spécialisés dans la prise en charge des ados et des jeunes sur la santé de la reproduction, des agents des Centre conseil ado (Cca), interpellés sur la sexualité des adolescents, recommandent un meilleur fonctionnement et une démultiplication desdites structures pour accompagner les jeunes. Mme Konté, Soda Ndiaye, est la coordonnatrice du Centre conseil ado du Centre des Parcelles Assainies.Parlant de l’accès des adolescents et des jeunes aux services de santé de la reproduction et du taux de fréquentation des jeunes dans la structure qu’elle dirige, elle reconnait que c’est faible. «On peut dire que le taux de fréquentation a véritablement baissé. Compte tenu des problèmes que nous traversons depuis 2 ou 3 ans. Les locaux sont délabrés et ne sont plus fonctionnels. Ce qui fait que donc, nous sommes dans une situation très précaire. Il y a également beaucoup de services qui ne fonctionnent pas. Normalement, nous devons avoir une salle de consultation, une sage-femme, etc. L’activité de consultation dépistage volontaire doit répondre à un certain nombre d’éléments, à savoir avoir une salle de conseil, ce qu’on appelle traditionnellement le circuit du client. Toutes ces conditions ne sont pas réunies ce qui fait que le service fixe souffre énormément. Cela a entraîné donc la baisse du taux de fréquentation», serine-t-elle.
«On nous fait un mauvais procès, en nous accusant …»
Mme Konté, peste contre ceux qui accusent les Cca d’être des structures qui pervertissent les ados et les jeunes. «Je crois qu’on nous fait un mauvais procès en nous accusant d’être des agents qui pervertissent les ados. Il faut revoir pourquoi les Centre conseils ado ont été mis en place. Les Cca se sont toujours appuyés des réalités socioculturelles. Nous sommes des musulmans ou des catholiques. Nous sommes des croyants pratiquants. Donc, les premiers conseils et les premières informations que les Cca livrent aux jeunes, pour éviter tous ces problèmes d’Ist, de grossesses ainsi de suite, c’est l’abstinence jusqu’au mariage. Mais, nous refusons que l’arbre cache la forêt. Nous sommes des responsables de familles et avons nos enfants. Donc, que les gens sachent une fois pour toute que nous ne sommes pas là pour pervertir les jeunes et les ados. On veut éloigner notre jeunesse des problèmes de santé de la reproduction, des fléaux qui sont là. C’est cela notre rôle. Nous ne souhaiterons pas que les enfants soient pervertis, que ce soient les nôtres comme ceux d’autrui. Nous savons ce qui se passe. Mais, il faut savoir aussi qu’il y a l’internet qui influence les jeunes. Les téléfilms que nous regardons pervertissent les gens. Et moi, je suis d’avis que si les Cca n’étaient pas là pour corriger, sensibiliser et aider les jeunes, ce serait la catastrophe. Il faut reconnaitre que les jeunes ont, de plus en plus, une sexualité précoce. C’est des problèmes. Et nous sommes là pour corriger ces problèmes. On est là pour éviter que les jeunes ne prennent les Vih ou les autres Ist. Parce que moi, je préfère un jeune qui décide d’avoir une sexualité active et qui utilise le préservatif qu’un autre qui a une activité sexuelle non protégée. Si on me demande de choisir entre ces deux-là, je porterai mon choix sur le premier. Les parents ne peuvent pas être tout le temps derrière les jeunes. Nous autres, personnels des Cca et autres services, nous ne pouvons pas être tous le temps derrière ces jeunes pour les empêcher d’avoir des relations sexuelles. Par contre, on peut leur conseiller de s’abstenir jusqu’au mariage. Ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas s’abstenir, nous leur donnerons l’information, la bonne information», dit-elle.

«Si les centre conseil ado n’étaient pas là, ce serait la catastrophe»

M. Cissokho, son collègue, d’ajouter qu’il est arrivé, à plusieurs reprises, que des parents avertis, imprégnés des réalités des Cca se réjouissent de leurs activités. “Certains viennent même avec leurs enfants», dit-il, avant que la coordonnatrice lui coupe la parole : «Oui, il y a même des parents qui viennent avec leurs enfants pour nous inviter à discuter avec ces derniers. Ceux là nous demandent de parler à leurs filles parce qu’ayant constaté tel ou tel autre comportement. C’est dire alors que les responsabilités sont partagées. Les parents ont un rôle clé à jouer pour l’éducation des enfants. Moi je dis que l’éducation doit être globale. L’Etat a un rôle et c’est pourquoi, il a mis en place des écoles, des institutions de formation ainsi de suite. Donc c’est complémentaire, autant les parents ont un rôle à jouer, autant l’Etat à son rôle à jouer. Mais dans notre contexte, la sexualité est taboue. Les gens ne parlent pas à leurs enfants, mais on essaye de faire ce qu’on peut et de sensibiliser au mieux les parents. On va continuer à faire notre travail. Parce que tant qu’il y aura des adolescents, nous aurons notre place dans la société. C’est pourquoi nous avons un manuel appelé “passeport pour une vie adulte responsable» qui traite de toutes les questions relatives à la santé de la reproduction», indique la dame.
En tout cas, tabou ou pas, qu’on le dise au pas, les jeunes ont une sexualité précoce au Sénégal. Et les parents feraient mieux de savoir que les choses ont évolué et essayer de se rajuster en conséquence.

Auteur: Youssoupha Mine – Seneweb.com

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