Malgré les affaires qui s’accumulent, le président américain n’a pas renoncé à ses parties de golf dans sa résidence
Dans le bruit assourdissant des trois hélicoptères, le président des Etats-Unis s’envole vers le ciel de ses vacances. Tels le lever et le coucher de Louis XIV, la cérémonie est publique et la pelouse de la Maison-Blanche fait salle comble. D’un côté, les « gentils », dans le vocabulaire trumpien les « gens bien », sur la loyauté desquels on peut compter. De l’autre, les « méchants », au mieux des suspects, qui cherchent le mal partout… La classe journalistique. Les premiers sont conviés par le président.
Les seconds se sont invités tout seuls, grâce au sésame de leur accréditation. Le président émerge. Applaudissements des uns à Donald Trump, qui sourit. Il ignore les autres, encadrés par le staff de la présidence comme des élèves turbulents par des surveillants. Ils hurlent pour demander à Donald Trump s’il va virer Robert Mueller, le procureur spécial dont l’enquête sur l’affaire russe avance rapidement : un grand jury est en train d’être constitué, ce qui rend la procédure quasi irréversible et des mises en examen possibles. Trump « n’entend pas » la question. Il s’engouffre, cravate au vent, dans « Marine One » qui décolle avec son escorte aéroportée.
Au sol, les musclés du Secret Service ont du mal à tenir debout, à cause des rafales de vent soulevées par les pales du rotor. Qu’ils prennent exemple sur ce président. Il est si robuste face au déchaînement médiatique… « Sortez-moi de ce marécage ! » titre ce jour-là le « New York Post », tabloïd trumpiste mais lucide. Trump est tombé à 33 % d’opinions favorables au niveau national, même si ses partisans se plaisent à faire remarquer qu’il est toujours aussi solide dans ses bastions. Aucun, pourtant, ne pourra nier qu’à la Maison-Blanche l’ambiance a viré au Far West. Traduction : on y tire dans tous les coins.
L’homme qui a mis le feu aux poudres s’appelle Anthony Scaramucci. Trump a fait de lui son directeur de la communication, le 21 juillet dernier. Anthony Scaramucci a un profil comme Trump les aime : direct et mal élevé. Son surnom : « the Mooch », le profiteur. Ce New-Yorkais, ancien de Goldman Sachs, a fait beaucoup d’argent dans la finance. Quatre jours avant l’investiture présidentielle, il a vendu sa société de « hedge funds » SkyBridge Capital, se préparant ainsi pour un poste officiel. Ce que Trump a mis six mois à lui accorder. Une longue hésitation pour un effet immédiat. Résumé en deux dates.
Acte 1, le 21 juillet. Sean Spicer, porte-parole de la Maison-Blanche, un des « anciens » de l’équipe puisqu’il est en poste depuis l’investiture, démissionne. Il refuse de travailler sous les ordres du « Mooch », nommé ce même jour. Ce coup de sang est un événement. Spicer est un obscur hiérarque du Parti républicain qui, jusqu’à l’investiture, était connu des seuls spécialistes. L’émission satirique « Saturday Night Live » a fait de lui une célébrité en le caricaturant dans le rôle du pathétique porte-flingue de son patron. On savait que Trump ne l’avait jamais aimé et le virerait sans doute sous peu. On l’imaginait capable d’avaler toutes les couleuvres. Et on avait tort : Spicer a pris les devants.
Acte 2, le 27 juillet. Comme prévu, Scaramucci tire à vue sur ses nouveaux collègues. Avec la classe et l’élégance qui le caractérisent, il qualifie Reince Priebus, le chef de cabinet, de « putain de parano schizophrène ». Ceci lors d’une conversation avec un journaliste du très sérieux magazine « The New Yorker ». Dans son élan, il se paie aussi Steve Bannon, l’influent conseiller spécial, en termes « tellement vulgaires qu’il est impossible de les répéter ». La pudibonderie des chaînes de télévision rappelle les grandes heures de l’affaire Monica Lewinsky, quand il ne fallait pas prononcer le « mot juste » de peur de choquer les enfants. En France, on peut prendre le risque : « Je ne suis pas comme lui, je ne me suce pas la bite », a lâché notre ami très en verve. Une manière fleurie de dire qu’il ne cherchait pas à capter l’attention des médias. Si c’était le cas, c’est raté. Le problème, c’est que sa fraîcheur de langage a incommodé jusqu’au sein de la famille présidentielle, laquelle en a pourtant entendu d’autres. Bilan, Trump a fait ce qu’il sait le mieux faire : « You’re fired » (« Vous êtes viré »), slogan de son ancienne émission de téléréalité. Scaramucci mais aussi Priebus, qui était de toute façon sur la sellette depuis le rejet par le Sénat de la réforme de santé. Après Michael Flynn (conseiller à la sécurité nationale), James Comey (patron du FBI) et quelques autres, la liste des licenciés ne cesse de s’allonger.
Trump se lasse vite de ses jouets, comme de ses collaborateurs. Il y a deux semaines, il a critiqué publiquement son « attorney general », Jeff Sessions, auquel il reproche de s’être récusé dans l’enquête russe, ce qui empêche le président de suivre le dossier autant qu’il le souhaiterait. Le prochain sur la liste serait Rex Tillerson, le (trop) discret secrétaire d’Etat, qui pourrait être débarqué et remplacé par Nikki Haley, l’ambassadrice à l’Onu. Trump songerait aussi à se débarrasser du général H.R. McMaster, son conseiller national pour la sécurité, qui avait lui-même succédé à Michael Flynn (en poste pendant trois semaines). Le jour de son départ en vacances, le président a fait diffuser un communiqué de presse pour démentir la rumeur…
L’équipe Trump est devenue une vraie passoire, « une maison de fous »…
Quant à Sean Spicer, il pourrait ramasser les bénéfices de son coup de poker. Ce vendredi 4 août, il était sur la pelouse, au milieu de ses enfants blonds, parmi la foule venue applaudir le président. Faut-il y voir un « retour en grâce », comme on disait à la cour du Roi-Soleil ? « Il n’y a pas de chaos à la Maison-Blanche », a encore twitté Trump la semaine dernière, démontrant une fois de plus que les négations sont souvent des mensonges déguisés. Il venait de nommer son nouveau chef de cabinet, un général : John Kelly. Ce gradé quatre-étoiles, ancien marine, vétéran de l’Irak, devra remettre tout son petit monde au pas.
Pour le moment, à peine une brèche est-elle colmatée qu’une autre s’ouvre. Le « Washington Post » est même devenu maître dans l’art de la fuite. La veille de la cérémonie d’envol vers le New Jersey, le quotidien publiait le verbatim des conversations téléphoniques de Trump avec ses homologues étrangers. On a ainsi appris que l’Américain avait demandé au président mexicain d’éviter de dire publiquement que son pays ne paierait pas la construction du mur à la frontière… Il admettait implicitement que sa principale promesse de campagne ne tenait pas la route. On a aussi obtenu la confirmation de ce qui était jusque-là une rumeur : Trump a raccroché au nez du Premier ministre australien, qui le titillait à propos d’un accord passé sur l’accueil de migrants. Le problème, avec l’équipe Trump, c’est qu’elle est devenue une vraie passoire. « Une maison de fous », commente Alan Simpson, 85 ans, vénérable sénateur d’une circonscription du Wyoming qui a voté pour Trump à 70 %. Seulement voilà : Donald Trump, qui n’a pas été élu pour être un président comme les autres, arrive à tirer profit de son rejet par les élites et les spécialistes.
Il adore être celui qu’on déteste. Il adore aussi ne pas être celui qu’on attend. Et les visiteurs qui se présentent en pensant rencontrer le « bouffon en chef », comme le qualifient élégamment ses détracteurs, ont parfois la surprise de ne pas assister au spectacle annoncé. C’était le cas le 24 avril dernier quand, deux heures durant, le président américain a reçu à déjeuner les quinze membres du Conseil de sécurité de l’Onu. Une organisation qu’il ne porte pas dans son cœur. « Mon message central était que nous attendions des Etats-Unis un engagement résolu dans les affaires du monde, à commencer par la Syrie, la lutte contre le terrorisme et le changement climatique », nous confie François Delattre, l’ambassadeur français, qui avait été placé à côté de Monsieur Gendre, Jared Kushner. Trump écoutait. Il prenait même des notes… Puis il a sidéré les convives en critiquant quinze minutes durant le coût exorbitant de la construction du siège des Nations unies… en 1952 ! Un sujet qu’il maîtrise de toute son expertise d’ancien promoteur immobilier…
Même le choix de son lieu de vacances est déroutant. Quand la Floride, la Maison-Blanche d’hiver, devient un four, Donald Trump migre vers le New Jersey. Les snobs de Manhattan passent l’été dans les Hamptons, comme les Clinton, ou à Martha’s Vineyard, comme les Obama. Pour eux, le New Jersey est l’Etat plouc par excellence, celui où Tony Soprano, le bien-aimé héros de la série télé, surveillait le pH de sa piscine…
Dans son « club-house » viennent se restaurer les heureux membres inscrits, moyennant un droit d’entrée de 350 000 dollars
Qu’est-ce que ça peut faire à Donald Trump ? Certes, seuls 42 % des habitants de l’Etat ont voté pour lui… Mais dans sa réserve de riches, à Bedminster, il a tout ce qu’il lui faut pour être heureux. Pas seulement un golf. Son voisin est Steve Forbes, le richissime patron du magazine qui doit sa célébrité au classement annuel des milliardaires du monde. Là-bas, ils ne craignent rien, pas même les chapardeurs : juste derrière la propriété du président, se trouvait au lendemain de son arrivée un tracteur sur lequel étaient posés des bouquets de fleurs : « Merci de laisser 6 dollars pour un bouquet, 10 dollars pour deux. » Les fermes sont opulentes, le gazon idéalement tondu, les agriculteurs méfiants.
Trump n’en a cure. Bedminster est son havre de paix. Comme à Mar-a-Lago, il a transformé la maison principale – une ancienne ferme – en « club-house » où viennent se restaurer les heureux membres inscrits, moyennant un droit d’entrée de 350 000 dollars. Des dépendances, à côté de la piscine, il a fait sa résidence personnelle. Dès le premier jour de ses vacances ont fleuri sur Instagram des photos le montrant club en main et casquette rouge vissée sur le crâne. « C’est son endroit préféré, il a même songé à y faire construire son tombeau », nous confie Robert Holtaway, l’ancien maire. « La ferme polluait beaucoup, mais son terrain de golf est écolo. Il achète local », se souvient-il. Son successeur, Steven Parker, renchérit : « Les voisins n’ont aucun problème avec Donald Trump. Il ouvre régulièrement sa propriété. » Le président des Etats-Unis va retrouver son paradis. Cette enclave où, pendant dix-sept jours, il dépose enfin les armes.