Il est facilement identifiable grâce à sa cravate nouée comme un nœud papillon. C’est sa création et sa touche personnelle. Djo Balard, roi de la Sape depuis les années 1980 est actuellement à Dakar pour ouvrir une boutique de mode. Ses inconditionnels pourront y trouver ses modèles. Avec EnQuête, il a accepté dans cet entretien de parler de ce qu’il sait le mieux faire la sape sous toutes ces formes.
Que devient Djo Balard ?
Djo Balard reste le même. Il est toujours comme il était. Je suis là. Je suis devenu créateur. Je crée comme Dior, Gucci, et toutes les autres marques du monde. Ma marque s’appelle Djo Balard comme mon nom. Elle se porte classique tel que je suis actuellement habillé (ndlr il est vêtu d’un ensemble costume bleu avec une chemise assortie). J’habille des ministres, des hommes d’affaires. Je fais des tenues classiques, vraiment classiques. Je fais beaucoup de costumes, chemises, cravates, chaussures.
Qu’est-ce qui vous amène à Dakar ?
J’ai été à Dakar pour la première fois en 1988 pour un défilé de mode. J’avais rempli le stade Demba Diop. J’ai fait le défilé de mode seul et j’ai rempli le stade seul. Aujourd’hui, je suis revenu pour ouvrir une boutique à Dakar. J’ai envie de vendre la marque Djo Balard à Dakar. Je veux faire la même chose en Côte d’Ivoire et en Guinée pour laisser des souvenirs dans ces pays où je suis passé et que j’aime bien.
Vous êtes le roi de la sape, dit-on. La Sape pour vous c’est quoi ?
La Sape c’est la société des ambianceurs et des personnes élégantes. La Sape c’est pour les personnes qui s’aiment habiller et qui ne le font pas pour les gens. Quand on s’habille on doit le faire pour soi même et pour faire vivre son corps. Parce que le corps, il faut le mettre en valeur. Si on ne le fait pas ce n’est pas la peine. Et vous mettez votre corps en valeur quand vous vous habillez bien.
Est-ce que bien saper signifie pour vous porter juste des habits qui sont chers ?
Non, cela n’a rien à voir. Il ne suffit pas de porter les grandes marques pour çà. Un bon ‘’sapeur’’ doit connaître les tissus et savoir ce que l’on doit porter. On doit voir quel vêtement nous va bien. C’est tout ce qu’il faut savoir. La sape n’est pas compliquée et ne demande pas qu’on soit riche. C’est avant qu’on portait des marques chères. On ne savait pas comment les choses marchaient. Maintenant, on sait comment faire. Maintenant, je suis fabricant. Je sais combien ça coûte pour fabriquer et combien çà coûte pour vendre.
Etre bien saper signifie-t-il aussi s’habiller à l’européenne ?
Non, la sape est très importante pour une personne. Vous savez qu’on ne vit qu’une fois. Etre bien sapé c’est être propre et cela vous permet d’être bien respecté partout dans le monde. Donc, l’essentiel c’est d’être bien habillé. Ce n’est pas pour se vanter, pour attirer l’attention sur soi ou autre. C’est avant tout pour vous-même.
Votre génération a promu les tenues européennes en lieu et place de celles africaines. Vous avez laissé croire qu’être bien habillé c’est être en costume cravate
Ce n’est pas notre faute à nous. C’était aux créateurs africains de venir nous voir. Comme l’ont fait les autres. Moi, j’ai été sollicité par tous les couturiers du monde. Ce sont eux qui m’ont permis d’être là où je suis. Ils m’ont permis d’être nommé roi de la sape parce que je portais bien leurs habits. Il faut qu’ils viennent nous voir aussi. Je peux bien porter les tenues africaines mais si les couturiers viennent me voir. Quand je voyage que je suis en France par exemple je porte les grands boubous. Il faut que les créateurs viennent me voir quand même. Ce n’est pas ma faute à moi.
Au-delà de la notoriété que vous a apportée votre titre de roi de la sape ?
Il m’a apporté beaucoup de choses sincèrement. Déjà j’ai parcouru plus de 150 pays et dès que je me déplace on me paie. Grâce à ce titre je suis respecté partout dans le monde. J’ai croisé des chefs d’Etats, des ministres, etc. Cela m’a rendu beaucoup riche.
Des années 1980 à nos jours, la mode a beaucoup évolué pensez-vous être toujours le roi incontesté de la sape ?
Vous savez quand on vous nomme roi une fois, vous le restez jusqu’à la mort. On ne peut pas aujourd’hui changer le titre du roi Pelé même si Messi, Et’o et d’autres font des merveilles. Le roi Pelé reste le roi Pelé. On ne peut pas le remplacer. Djo Balard quelque soit le sapeur restera toujours le roi de la sape. Il y a beaucoup de sapeurs qui sont sortis mais je reste le seul et l’unique roi de la sape.
Comment appréciez-vous l’évolution de la mode d’hier à aujourd’hui ?
Moi, je trouve que les jeunes s’habillent bien. Dans les années 1980 on a eu un problème pour que les gens qui s’habillaient en jean s’adaptent à notre style. C’était très difficile parce que les gens portaient beaucoup le jean et les baskets. Il fallait les amener à s’habiller bien comme je suis. Le combat était très difficile. Mais j’ai réussi ma mission. La sape est devenue aujourd’hui le mode d’habillement numéro 1. J’ai mon travail. C’est pour cela d’ailleurs que je resterais à jamais le roi de la sape parce que j’ai crée.
Qu’avez-vous crée exactement parce que les costumes vous les avez trouvé ici quand même ?
J’ai lancé beaucoup de tendances et de modèles. J’ai rendu célèbre le ‘’saharienne’’, le lin, la gabardine. J’ai lancé beaucoup de choses qui ont été largement suivies et qui ont révolutionné le mouvement de la sape. Tout le monde croyait que les Africains ne savaient pas s’habiller. Mais aujourd’hui on s’accorde à dire le contraire. Cela me fait plaisir. Parce que depuis que j’ai crée le mouvement de la Sape les Africains ont abandonné les jeans et les baskets pour les costumes. Ils sont ainsi bien habillés et c’est une fierté de l’Afrique. Les Blancs commencent à avoir peur des Noirs. Ils disent que nous nous habillons bien. Et moi c’est ce que je voulais.
Comment trouvez-vous la manière de s’habiller des Sénégalais ?
Dans les années 1970 et 1980, les meilleurs ‘’sapeurs’’ étaient les Sénégalais, les Maliens et les Guinéens. Cela je le reconnais. A cause de la religion, ils portent maintenant des grands boubous. Mais ils étaient de grands ‘’sapeurs’’. Même en France les grands restaurants étaient tenus par des Sénégalais, des Maliens et des Guinéens. Quand tu vois les Sénégalais s’habiller tu sais que ce sont des ‘’sapeurs’’.
On apprend à être ‘’sapeur’’ ou on naît ‘’sapeur’’ ?
Cela s’apprend. Une femme peut apprendre à son mari comment s’habiller. Pour habiller quelqu’un il faut connaître sa taille pour savoir ce qui lui irait le mieux. Ensuite il faut ‘’marier’’ les couleurs qui vont avec vous et avec votre tenue.
Connaissez-vous le Président Sall ?
Le Président du Sénégal, oui. C’est un ‘’sapeur’’ comme Youssou Ndour qui est un ami. En 1988, Youssou Ndour, Alpha Blondy et moi avions un projet. On voulait ouvrir des boites de nuit et des hôtels au bord de la mer. Vous avez vu que Youssou a construit au bord de la mer tout comme Alpha. Et moi aussi j’avais acheté des terrains au bord de la mer. Mais moi je n’ai pas pu construire parce que j’ai perdu tous mes biens à cause de la guerre (ndlr la guerre au Congo survenue entre 1996 et 1997).
Certains trouvent que els costumes du Président Sall sont trop serrés. Etes vous du même avis et si vous deviez l’habiller quels genres de costumes lui recommanderiez-vous ?
Maintenant, les costumes on les porte sur mesure. C’est ce que je porte là. On ne peut plus porter des costumes larges. Les vêtements se portent sur mesure. Cela signifie qu’il faut que ça vous tienne. Si je voyais celui qui l’habille je pourrais lui faire des remarques. Mais pas ici. Moi, j’habille beaucoup de chefs d’Etats. Et quand ils sortent et qu’ils sont avec d’autres la différence se sent.
Vous habillez quels chefs d’Etat ?
Je préfère ne pas le dire. Mais j’habille beaucoup de personnalités. Donc, je sais ce que je dis et ce que je fais. Je voyage beaucoup uniquement pour ça. Normalement chaque Président et chaque ministre doit avoir un ou plusieurs conseillers vestimentaires. Ils peuvent être de nationalités diverses. Quand on est Président on est suivi par tous. Il faut donc soigner sa mise car les gens peuvent te juger à travers ce que tu portes.
Vous vouliez organiser un concours africain de sapologie, où en êtes vous avec ce projet à ce jour ?
Normalement je devais faire un festival de la sape. Là je suis en train de chercher els sponsors. Si je trouve assez de sponsors à Dakar, je pourrais le faire ici. Je voudrais qu’on sache que la base de la culture africaine c’est la musique et la sape. Lorsqu’il y a une fête tout le monde est propre et content. Quand il y a des gens qui sont sales, ce n’est pas normal. La sape pousse les gens à être propres même s’ils n’ont rien.
Et vos chaussures Capo Bianco, où sont-elles maintenant ?
Je suis la seule personne au monde à avoir déposé une paire de chaussures dans une banque. La paire m’a coûté 10 millions. Et c’était en 1988. J’avais peur de garder la paire de chaussures à la maison. Quand j’ai dit à mon banquier que je voulais garder ma paire de chaussure à la banque il m’a dit ‘’regardes moi ces Noirs là. Comment veux-tu déposer ici une paire de chaussures au moment où les gens déposent des bijoux, de l’or, de l’argent, etc’’. Je lui ai dit que moi ce sont mes chaussures que je voulais y déposer. J’y ai ouvert un coffre. Et cette banque a eu beaucoup de succès. Ils m’ont demandé après ce que je voulais parce qu’ils étaient tellement contents et j’ai demandé un crédit qu’ils m’ont accordé. Ces chaussures m’ont après rapporté beaucoup d’argent parce que les gens venaient de partout pour les voir et ils payaient pour cela. Malheureusement avec la guerre on me les a volées.
Quels sont vos projets au-delà de l’ouverture d’une boutique à Dakar ?
Je prépare un documentaire sur ma vie. Je n’ai pas encore trouvé de réalisateurs pour cela. Il y a beaucoup de gens qui voudraient le faire. Mais je ne suis encore tombé d’accord avec aucun d’entre eux.