L’implantation récente de la première base militaire chinoise semble avoir changé la donne diplomatique à Djibouti. L’occasion pour le pays de sortir d’un partenariat trop exclusif pour chercher à tisser de nouveaux liens, notamment avec l’Inde ou avec la France.
La République de Djibouti a créé l’événement en 2017. D’abord en fêtant dignement les 40 ans de son existence, le 27 juin. Puis en assistant, le 1er août, à l’inauguration officielle de la première base militaire chinoise à l’étranger. Construite sur la baie de Doraleh, juste derrière l’immense port multifonction lui aussi dévoilé au printemps, elle abrite un contingent de 400 hommes chargés de protéger les intérêts et les ressortissants de l’empire du Milieu dans la région.
Et d’affirmer, au passage, la volonté chinoise de tenir toute sa place sur la scène internationale. Annoncée de longue date comme étant la première perle du collier que Pékin veut confectionner le long de l’océan Indien pour protéger l’une de ses nouvelles routes de la soie, la construction de cette caserne n’avait suscité jusqu’alors que peu de réactions internationales, en dehors de quelques grincements de dents chez les alliés américains et surtout japonais, également présents militairement à Djibouti.
Il semble que l’installation physique de l’Armée populaire le long de la mer Rouge ait quelque peu crispé les chancelleries, dans une ville portuaire qui prend des allures du Casablanca de la Seconde Guerre mondiale. « Il faut gérer le poulailler », résume un consul étranger. Et c’est ce que les autorités djiboutiennes apprennent à faire, avec un corps diplomatique toujours plus étoffé où chaque silence, chaque absence laisse dorénavant libre cours à toutes les interprétations, au gré des grilles de lecture de chacun.
Un terrain de guerre d’influence
Comme cela a été le cas lors de la réception officielle du président indien, Ram Nath Kovind, le 4 octobre, devant l’ensemble des représentations diplomatiques implantées à Djibouti, mais en l’absence – très remarquée et commentée en coulisses – de l’ambassadeur chinois. « Pékin a voulu signifier son agacement devant la volonté djiboutienne de développer un partenariat économique avec l’autre géant asiatique », veut croire le chargé d’affaires d’une ambassade occidentale, pendant qu’un de ses collègues, en poste dans un autre consulat, y voit carrément une illustration de « l’arrogance des Chinois depuis qu’ils disposent de cette base ».
L’arrivée prochaine du nouvel ambassadeur américain, l’expérimenté Larry André, attendu en janvier, pour occuper un poste vacant depuis bientôt un an, va donc intervenir dans un contexte diplomatique marqué, selon certains, « par la prudence, voire la méfiance » entre certaines chancelleries. Comme si, après avoir été l’un des théâtres d’opérations les plus chauds de la guerre froide, la Corne de l’Afrique et Djibouti allaient se retrouver à nouveau au cœur des luttes d’influence menées sur le terrain par les plus grandes puissances de la planète.
Si la nouvelle donne, consécutive à la présence militaire chinoise, semble avoir troublé certaines relations de bon voisinage entre les diplomates en poste à Djibouti, elle pourrait également avoir brouillé les liens privilégiés tissés depuis 2012 entre le pays hôte et la Chine. « La lune de miel semble terminée », assure un diplomate, qui voit, dans les efforts actuels du gouvernement djiboutien à tisser des liens avec les Indiens ou à renouer de bonnes relations avec les Français ou les Émiratis, le désir de sortir d’un partenariat un peu trop exclusif avec les Chinois.
Dette
Officiellement, les rapports entre les deux pays restent des plus cordiaux et semblent toujours aussi constructifs, alors que de nouveaux projets d’infrastructures sont annoncés à travers le pays. Officieusement, l’arrivée à échéance des premiers remboursements de la colossale dette publique détenue par la Chine – plus de 60 % du PIB actuellement – commencerait à inquiéter les autorités djiboutiennes, selon de nombreux observateurs.
L’urgence aujourd’hui pour Djibouti est de voir fonctionner les différentes infrastructures récemment réalisées
C’est la raison pour laquelle, toujours selon ces derniers, le Parlement djiboutien a adopté une loi très controversée, fin octobre, autorisant le gouvernement à renégocier unilatéralement les contrats publics. Les responsables djiboutiens expliquent qu’elle a été passée pour garantir les intérêts du pays, en matière de contenu local, notamment dans l’emploi. Mais beaucoup estiment qu’elle doit surtout permettre aux autorités locales de rediscuter des taux d’intérêt, quasi usuriers, imposés par Pékin pour la réalisation de certains équipements. Là encore, la rumeur va bon train. Seule certitude, comme l’aurait annoncé dernièrement en petit comité Zhang Guoqing, l’ambassadeur de Chine dans le pays, « Djibouti payera ». « Ce n’est pas la première fois que Pékin est confronté à une telle situation en Afrique. Mais c’est une première pour Djibouti », rappelle un membre du corps diplomatique.
Vu la hauteur des investissements en jeu – 14 milliards de dollars – et l’interdépendance des relations entre la Chine d’un côté, Djibouti et l’Éthiopie de l’autre, les gouvernements ont tout intérêt à trouver un compromis satisfaisant pour tout le monde. L’urgence, aujourd’hui, pour Djibouti est de voir fonctionner les différentes infrastructures récemment réalisées, pour qu’elles commencent à produire les dividendes tant attendus par son économie. Les ports ont démarré leurs services, et le voyage de travail dans le train qui relie Addis-Abeba à Djibouti, qui a réuni des ministres djiboutiens et éthiopiens à la fin d’octobre, est de bon augure pour une ouverture prochaine de la ligne.
La petite république peut s’appuyer sur des fondamentaux économiques suffisamment solides – 6 % de croissance par an en moyenne – et sur une meilleure perception des milieux d’affaires – 17 places gagnées dans le dernier classement « Doing Business », publié le 31 octobre par la Banque mondiale. Il ne faudrait pas qu’un endettement trop important vienne mettre en péril l’édifice patiemment construit tout au long de ces quarante dernières années.
JeuneAfrique