Depuis une semaine, la communauté scientifique et les médias s’étripent sur son machin, la chloroquine et ne parlent que de lui : Didier Raoult, le mal aimé des blouses blanches. Comment peut-il dire que le virus qui hante les plus éminents professeurs émérites des laboratoires pharmaceutiques les plus avancés dans le monde entier, fait des milliers de victimes, relève d’un traitement aussi banal que la chloroquine, un remède de grand-mère, une molécule présente depuis 50 ans dans les boîtes à pharmacie des ménages les plus pauvres du monde ? Il s’en est fallu de peu pour que ses collègues médecins, si jaloux de leurs protocoles scientifiques, mettent sa tête à prix. L’homme à la tignasse jaunie et à la barbe hirsute ne fait rien pour changer cette image d’homme des cavernes arrivé à la médecine comme un intrus. Alors, la médiasphère s’est emballée et les plus éminents se sont succédé au volant pour conduire -n’est-ce pas le sort de tous les génies- cet entêté à l’asile. Au point qu’en début de semaine, des citoyens apeurés se sont mis à lui promettre de le laisser finir comme des centaines de leurs proches, dans un cercueil plombé qui ne laissera filtrer aucun air de ce mégalomane prétentieux.
Didier Raoult ne fait pas grand-chose pour se défendre. Ses collaborateurs si : ils assurent que la chloroquine a ses effets bénéfiques, que la charge virale de leurs patients, comme dans le cas du sida, baisse de manière drastique, laissant entrevoir des espoirs de guérison… et ne comprennent pas le lynchage dont leur maître est victime, pour avoir préconisé un médicament toujours prescrit aux français quand ils se rendent en Afrique.
Mais c’est trop tard. Didier est un paria, la sentence est tombée. De toutes les façons, Marseille est trop loin du Paris bienpensant, pour espérer un jugement plus clément. Et s’ils le voulaient, l’Organisation mondiale de la Santé, référence mondiale en la matière, a déjà livré son verdit : la chloroquine est une substance assez dangereuse aux effets secondaires nombreux et à l’efficacité non encore prouvée dans le combat contre le coronavirus. Qui, mieux que l’OMS, peut rabattre le caquet à ce colosse prétentieux ?
Hélas, son parcours non plus, ne milite pas en faveur de Raoult l’incompris : il est venu à la médecine après un baccalauréat littéraire. Une autre raison de douter de la « légitimité » de l’homme en blouse que l’on compare volontiers au chanteur Renaud pour mieux le narguer ? Pendant que la France doute, tergiverse, c’est dans son pays natal, le Sénégal, que Didier Raoult va trouver un secours inattendu. Un autre de ses confrères, le professeur Seydi, lui apporte son soutien et assume traiter ses patients avec un mix à base de chloroquine. Car c’est dans ce petit pays africain, autre tare congénitale qui lui colle à la peau, que Didieu Raoult est né, il y a 68 ans. C’est aussi dans ce pays qu’il a fait ses plus belles rencontres scientifiques, qu’il s’est intéressé à l’infectiologie, le virus qui l’habite et ne le quitte pas. Ses amis, pour le peu qui ose se montrer, rappellent qu’il est attaché au pays de sa naissance où il se rend chaque année pour se ressourcer. Dans le traitement des maladies tropicales, le Sénégal fait office de leader mondial. Des marocains, tunisiens et même des français et des américains viennent apprendre à son école de médecine. L’institut Pasteur, du nom du français qui a découvert la pénicilline, est à la pointe du combat contre les virus les plus dangereux dans le monde, comme Ebola. Peut-être une des raisons pour lesquelles le Sénégal, troisième pays le plus frappé en Afrique par le Coronavirus (il a dépassé les 100 cas dépistés), compte encore zéro mort.
C’est aussi à Dakar qu’un éminent officier de l’armée, le colonel Mboup, a isolé pour la première fois le VIH 2. Dans ce pays d’Afrique de l’ouest, la nivaquine, autre dérivé de la molécule, s’administre sans prescription. Les jeunes africains ont même grandi en se voyant administrer cette petite pilule blanche amère comme un préventif contre le paludisme. Comme pour venir à son secours, l’Algérie a aussi déclaré avoir recommandé l’usage de la chloroquine de manière encadrée. Tout cela ne permet pas à Raoult l’africain d’espérer un début de réhabilitation. Mais à Marseille, face aux nombreux décès enregistrés, les populations prennent d’assaut son institut, faisant fi des mises en garde.Pourquoi ne pas essayer ce qui semble marcher, quand la seule alternative est la mort certaine ?
Dans une bonne partie de la classe politique française, Didier Raoult commence à trouver du soutien. Pourquoi prendre le risque d’attendre, et de compter les morts ? Pourquoi espérer un vaccin hypothétique à l’automne prochain, quand quelque chose marche au printemps ?
Les laboratoires se sont engagé dans une recherche effrénée d’un vaccin à coups de milliards de dollars et ne voudraient pas être pris de court, mais les va-et-vient des corbillards deviennent insupportables, l’opinion s’impatiente. Au jour où la France compte un nouveau chiffre record en nombre de morts, le ministre français de la Santé, Olivier Veran autorise l’utilisation « encadrée » de la Chloroquine.
Didier Raoult n’en espérait pas plus, pour célébrer une première victoire. Dans son Institut, le professeur rafistole sa blouse blanche, lui qui a été couvert de boue. Si le traitement qu’il a préconisé avec entêtement se révèle salvateur, le monde l’adulera et, de manière certaine, le Nobel lui reviendra. Quelqu’un s’élèvera alors pour dire : que de vies nous eûmes épargnées, si nous avions écouté cet homme que nous prenions pour un fou. Pour le milliard de pauvres africains, ce Messi vieilli vaut plusieurs ballons d’or. Il est leur espoir. L’espoir qu’ils pourront sauver leurs vies sans beaucoup de frais.