Trois vidéos de massacres tournées en République démocratique du Congo ont circulé ces derniers jours sur Internet. France 24 a réussi à authentifier l’une de ces vidéos, dans laquelle on voit une jeune fille sur le sol en train d’agoniser. Cette scène s’est déroulée à Kananga, la capitale de la province du Kasaï-Central, le 27 janvier dernier. Bien que désarmée, la jeune fille venait de se faire tirer dessus par des militaires, qui la soupçonnaient d’appartenir au groupe rebelle Kamuina Nsapu.
Né dans le Kasaï-Central en juillet 2016, ce groupe rebelle porte le nom d’un chef coutumier hostile à l’autorité de l’État. Bien qu’il ait été tué un mois plus tard, son mouvement s’est ensuite développé dans la région. Il compterait de nombreux mineurs parmi ses rangs. Les affrontements réguliers opposant ces rebelles aux forces de l’ordre auraient déjà fait des centaines de morts – dont des civils – depuis l’été dernier.
Dans la vidéo, on entend plusieurs hommes parler en lingala (l’une des principales langues en RDC) et en tshiluba (une langue parlée notamment dans les provinces du Kasaï et du Kasaï-Central). Ils interrogent la jeune fille. Celle-ci leur répond qu’elle vient de Nganza – une commune de Kananga où vivent de nombreux miliciens Kamuina Nsapu. Elle raconte qu’elle a été enrôlée de force dans un groupe et obligée de boire une potion censée la rendre plus forte. Elle indique toutefois qu’elle n’a plus la force de frapper qui que ce soit. Elle demande à être amenée à l’hôpital, mais les hommes lui disent qu’elle va mourir.
Durant cet échange, la jeune fille reçoit un coup de pied au visage à deux reprises. Quelqu’un tient également un smartphone, pour la filmer.
“Les militaires n’ont pas voulu emmener la jeune fille à l’hôpital”
Désiré (pseudonyme) est un habitant de Kananga, qui a assisté à la scène: “Elle s’est déroulée le 27 janvier, juste à côté du gouvernorat. Ce jour-là, le Premier ministre, Samy Badibanga, devait se rendre sur place, mais les miliciens Kamuina Nsapu étaient opposés à sa visite, qui a d’ailleurs finalement été annulée. Ils refusent qu’il vienne tant que l’accord politique du 31 décembre n’est pas appliqué. [Signé par le pouvoir et l’opposition, cet accord prévoit notamment la désignation d’un nouveau Premier ministre issu de l’opposition pour diriger le gouvernement de transition, censé être mis en place avant la tenue d’élections à la fin de l’année, NDLR.]
Des jeunes portant des bandeaux rouges et provenant de Nganza se sont alors dirigés vers la tribune qui avait été dressée pour la venue du Premier ministre. Ils étaient armés de bâtons et de balais, mais je n’ai pas vu d’armes à feu.
Des militaires ont alors commencé à tirer. J’ai vu trois garçons tomber au sol sur la route principale, à côté de l’église néo-apostolique. Ensuite, j’ai vu cette jeune fille – encore vivante – être tirée sur le sol. Visiblement, elle avait également été touchée par des balles. Elle est d’ailleurs morte un peu plus tard, puisque les militaires n’ont pas voulu l’emmener à l’hôpital.
Par ailleurs, j’ai également vu les corps de deux autres garçons, non loin d’elle, ainsi que trois autres cadavres un peu plus loin. ”
Plusieurs photos montrant les corps des trois garçons sur la route principale ont été publiées sur le site Internet 7sur7.cd, le jour-même. Interrogés par France 24, deux autres habitants de Kananga ont confirmé avoir vu ces trois corps, ainsi que celui de la jeune fille. En revanche, ils assurent ne pas avoir vu d’autres cadavres dans la zone.
Selon ces deux habitants, la jeune fille ne portait pas d’arme. L’un d’entre eux a précisé : “Elle s’est avancée vers les militaires, tandis que les autres jeunes restaient derrière. Les militaires lui ont dit de partir, mais elle a refusé de s’exécuter. Du coup, ils ont ouvert le feu.”
Toujours selon ces deux habitants, les membres de la milice Kamuina Nsapu se croient généralement invulnérables grâce à leurs fétiches qui les protégeraient des balles. En outre, ils seraient parfois drogués, afin qu’ils n’aient pas conscience du danger.
Concernant les autres jeunes qui l’accompagnaient, ces deux sources indiquent qu’elles ne les ont pas vus tirer en direction des militaires, bien que l’une d’entre elles assure avoir aperçu des “fusils”. Aucune arme à feu n’est en tout cas visible sur les trois photos postées sur le site Internet 7sur7.cd.
Des armes à feu sont toutefois régulièrement utilisées par les miliciens lors de leurs attaques contre les symboles de l’État – aéroport, commissariats, bâtiments gouvernementaux, etc. – qui ont déjà fait de nombreux morts parmi les militaires et les policiers. Kananga, une ville historiquement rebelle, est d’ailleurs régulièrement le théâtre d’affrontements entre eux .
Contacté par France 24, Lambert Mendé, le porte-parole du gouvernement, n’a pas souhaité s’exprimer sur les événements de Kananga, assurant que toutes les vidéos diffusées récemment étaient des “montages”, des “mises en scène”. De son côté, Alex Kande, le gouverneur du Kasaï-Central, n’a pas non plus répondu à nos sollicitations. Le colonel Célestin Ngeleka, l’un des porte-parole de l’armée congolaise, a simplement indiqué que des “hauts magistrats militaires” étaient arrivés à Kananga mercredi 22 février, afin “d’enquêter sur la situation sécuritaire et humanitaire dans la zone, où des troubles se produisent régulièrement”, sans plus de précisions concernant le 27 janvier.
Deux autres vidéos de massacres
Deux autres vidéos diffusées récemment ont également choqué la communauté internationale.
Dans l’une d’entre elles, on voit des hommes portant des uniformes de l’armée congolaise tirer en direction de civils qui chantent, a priori désarmés. Une quinzaine de victimes sont visibles sur les images, dont certaines portent les bandeaux emblématiques des miliciens. Cette scène se serait déroulée non loin de Muanza-Lomba, une localité située dans la province du Kasaï-Oriental.
La deuxième vidéo montre plusieurs cadavres de jeunes garçons au sol, au milieu de présumés militaires et policiers :
Face à la pression de la communauté internationale, le gouvernement a décidé d’ouvrir une enquête au sujet de la vidéo de 7’17, ainsi qu’un appel à témoins.
Les propos les plus sévères sont venus du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, qui a notamment indiqué : “Il y a plusieurs allégations crédibles de violations massives des droits de l’Homme dans les régions du Kasaï, du Kasaï-Central, du Kasaï oriental et de Lomami, dans le contexte d’une forte détérioration de la situation sécuritaire, y compris des personnes ciblées par des soldats pour leur prétendue affiliation avec une milice locale”. Il a également ajouté que les forces de sécurité ne devraient utiliser leurs armes à feu “qu’en dernier recours” face à une menace imminente pour la vie ou de blessure grave, “conformément à ses obligations internationales en matière de droits de l’Homme”.
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