Dernier mandat de Macky Sall : un quinquennat inédit de trois ans

Le premier jour de son élection, tout élu pense à sa réélection. Mais le premier jour d’une réélection, il pense à son successeur. 
Monsieur le Président de la République, dans sa majorité, une satisfaisante masse, le peuple sénégalais vous a réélu pour un second et dernier mandat de cinq ans. In concreto, vous effectuerez un quinquennat de… trois ans. Indubitablement, à mi-mandat entre 2022 et 2023, dans votre camp, tout comme dans celui de l’opposition, la lutte pour votre succession sera à la fois débridée, prématurée et vive. Amis, alliés, obligés, affidés et adversaires seront-ils dans le présent que vous vivrez déjà au passé ? Prépareront-ils le futur proche que où vous n’aurez plus d’avenir ? Echafauderont-ils des schémas tels que vous sortirez de leur plan ? En résumé, votre apogée électorale pourra également s’avérer votre déclin politique. Ce sera alors le début de la fin et la fin du début. En vérité, vous aurez l’illusion du pouvoir, la réalité du pouvoir leur reviendra. 
Au demeurant, vous serez le premier chef d’Etat à organiser une présidentielle sans y être candidat, électeur vous ne serez plus éligible. Naguère maître du jeu politique, vous n’en serez plus qu’un arbitre électoral. De la posture enviée d’acteur de premier plan, vous passerez simple spectateur. Premier président dont la fin d’exercice sera officiellement connue de tous, théoriquement le 1er avril 2024, vous serez, en outre, le premier homme politique à quitter le pouvoir sans défaite électorale. Léopold Sédar Senghor a transmis le pouvoir à Abdou Diouf par une fine broderie constitutionnelle. Abdou Diouf et Abdoulaye Wade ont été défaits par la voie des urnes. Enfin, premier à organiser des élections législatives à quelques mois de la fin de votre dernier mandat ; paradoxalement, c’est à ce moment que commencera votre déclin progressif. 

SYNDROME DU CANARD BOITEUX 

Monsieur le Président de la République, le schéma institutionnel et politique qui se présente au lendemain de votre réélection est inédit à tout point de vue. Reconduit pour un second et dernier mandat de cinq ans, vous vivrez immanquablement ce qu’on appelle en droit constitutionnel et en science politique, le « syndrome du canard boiteux ». The lame duck period. Cette expression anglo-saxonne signifie qu’avant le terme définitif de ce dernier mandat, vous serez un président désincarné et affaibli. Par la force des choses démocratiques, vous serez seul en plein marché électoral. Dès poitron-minet, c’est votre coalition qui préfacera votre départ avant l’heure. Les ambitions y seront fortes, tenaces et légitimes. Dans votre camp, il y aura forcément plusieurs camps. L’opposition actera le crépuscule de ce magistère en ne faisant plus de vous son centre d’intérêt. Plutôt que de chercher à vous abattre, elle convoitera votre place. Les parlementaires quitteront la Chambre d’applaudissements pour entrer dans celle des positionnements. Les maires ne vous seront plus affidés, ils iront plutôt s’affilier aux candidats à la présidentielle. Les médias d’ici et d’ailleurs ne s’intéresseront à vous que pour connaître votre choix intime sur les probables présidentiables. 

PROBABLE COHABITATION 

Parce que d’abord, une élection présidentielle se prépare deux ou trois ans à l’avance, les logiques politiques et médiatiques hâteront votre fin de règne. Parce qu’ensuite n’ayant plus d’avenir, vous serez un homme du passé. Parce qu’enfin, l’ouverture de la pré-campagne présidentielle coïncide avec le temps des législatives prévues pour 2022, un choix cornélien se présentera à vous. Sous ce rapport, il y aura deux cas : soit le peuple vous accorde une majorité parlementaire alors que vous êtes presqu’au bout de votre mandat, – une manière de vous rendre hommage – soit il donne sa confiance à l’opposition pour préparer l’avenir et, dans ce cas, nous serons en présence d’une cohabitation politique. L’arrivée d’une nouvelle majorité parlementaire hostile à votre politique entraînera un désaccord inédit au sein de l’Exécutif. Alors que toutes les forces devront se rassembler pour relever les grands défis du Plan Sénégal Emergent 2, elles se défieront et se neutraliseront comme en toute période de cohabitation. Dans ce cas de figure, l’harmonie entre les majorités ne sera plus la norme. Il y aura une crise de légitimité : un conflit entre le législatif et l’exécutif, une coexistence de deux légitimités concurrentes. C’est à ce niveau que s’ouvrira l’outre aux vents : allez donc demander à un Premier ministre issu d’une liste opposée à la politique du Chef de l’Etat de conduire une politique qu’il dénonce ! Résultat : il y aurait un désaccord inédit entre les deux têtes de l’Etat. L’exemple le plus achevé de la dyarchie et de l’anarchie au sommet de l’Etat. Fatalement, ce sera un tremblement de terre institutionnel. Une crise sans précédent au Sénégal ? A Dieu ne plaise ! A moins que vous ne décidiez d’un alignement du temps présidentiel avec celui du législatif en vue d’harmoniser les deux calendriers en optant pour une dissolution de l’Assemblée nationale. Là encore, rien ne garantit une nouvelle majorité parlementaire. 
Monsieur le Président de la République, à mi-mandat, à l’image de Yayi Boni, Elen Johnson Sirleaf, ou encore François Hollande, Georges W. Bush et Barack Obama, vous assisterez à la diminution graduelle de votre influence politique et institutionnelle. Toute l’attention des observateurs et commentateurs de la vie politique sera rivée sur une pré-campagne sans précédent, pleine de rebondissements et de reniements. Vos Premiers ministres, vos ministres à fort potentiel électoral, vos directeurs généraux, vos lieutenants de la coalition présidentielle voudront, à juste raison, s’émanciper. C’est ainsi qu’à mi-mandat, les intentions présidentielles naîtront au grand jour. Les alliances et les mésalliances domineront l’actualité. La plupart des alliés et obligés partiront avant terme. Les petits meurtres entre amis et les grandes trahisons entre copains feront les choux gras de la presse. Votre palais sera déserté. La fin de votre magistère se limitera à une sorte de figuration. 

IMPOSSIBILITE D’UN TROISIEME MANDAT 

Et à ceux qui professent secrètement un troisième mandat, le débat est clos pour trois raisons. Primo sur plan juridique, la question a été réglée par le nouvel article 27 de la Constitution. Il est précisé à l’article 27 que « la durée du mandat du président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Cette disposition est d’une clarté indiscutable. Elle a définitivement « sanctuarisé » le mandat présidentiel. Mieux, l’on peut évoquer « la clause d’éternité », en référence au Droit constitutionnel allemand. Le verrouillage du mandat présidentiel est devenu une « clause d’intangibilité absolue » au Sénégal. Vous savez, il arrive que les motivations d’une loi soient plus importantes que la loi elle-même. Secundo, sur le plan personnel, Macky Sall a déjà délibéré avec sa propre conscience démocratique : il a publiquement affirmé le 31 décembre 2018 qu’il ne briguera pas un troisième mandat. Tercio du point de vue de l’acceptation populaire, allez dire au peuple que le premier mandat n’est pas comptabilisé parce que cette précision a été omise dans les dispositions transitoires ; elles-mêmes supprimées lors du référendum. 
Pour rappel, les années romantiques de la démocratie sans alternance sous Senghor et Diouf, où l’on pouvait rester 20 ans au pouvoir sont à ranger dans le musée des antiquités démocratiques. Wade en a fait les frais. En dépit de la recevabilité de sa candidature par le Conseil constitutionnel, le peuple sénégalais a dit non à un troisième mandat. Par conséquent, cette question n’est plus à l’ordre du jour. 

Ainsi donc, Monsieur le Président, vous fermerez la page la plus héroïque, la plus palpitante et la plus noble de votre vie. Vous confesserez quelques regrets et pleurerez en secret le mépris d’un bilan par endroits élogieux et controversé ailleurs. Le déclin sera pour vous une épreuve de vérité. A votre couchant, vous n’aurez plus grand monde autour de vous. Jeune retraité de la vie politique, à 62 ans, sans avenir, l’histoire retiendra que n’étant pas fait pour des défaites électorales, le temps politique vous a défait. Pour terminer, une petite interrogation : avez-vous déjà commencé à penser, ne serait-ce que subrepticement, à votre successeur ? 

Cheikh Omar Diallo 
Docteur en Science Politique

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