A 17 ans, Caleb Boly, meilleur bachelier de la région de Ziguinchor, est tout à son rêve de figurer parmi les meilleurs avocats du Barreau sénégalais.
Une prestance de tête d’œuf sur un physique quelconque. Caleb Boly prête décidément à sourire. Non de ces sourires narquois et entendus qu’on jette au crack de service. Mais, de ceux qui trahissent de la surprise et de l’étonnement. Il aura fallu une semaine, une dizaine de coups de fil et parcourir des kilomètres pour enfin mettre un visage sur un nom affiché en tête de liste des bacheliers à l’Inspection d’académie de Ziguinchor. On le pense d’abord diva, puis on rit de l’idée, à la vue de la main efflanquée qui nous fait signe au détour d’un dédale de la rue 47 de la ville de Ziguinchor. Physique gracile d’adolescent coincé dans une tête de presque adulte. L’expression n’est pas très propre, mais elle symbolise bien Caleb Boly. Avec le jeune homme, on est dans l’entre-deux. Côté pile, l’adolescent dans toute sa splendeur. Visage poupon, grosses lèvres boudeurs, corps monté sur échasses et coincé entre un T-shirt bleu, un jean et des baskets. Le tout, agrémenté d’un téléphone portable bien en vue dans sa main gauche. «C’est le cadeau que m’a offert ma mère pour avoir décroché le Bac», dit-il doctement. Il ne plastronne pas. Il pose juste un regard protecteur sur son smartphone emmitouflé dans une grosse housse. Le côté face nous permet de saisir l’essence d’autant d’égards pour un appareil devenu monnaie courante dans la vie des ados. Caleb est un enfant éduqué à l’austérité. Sa posture est maîtrisée, ses gestes sont minimales et son phrasé court. A 17 ans, il vient d’avoir son premier téléphone portable. Ses parents, évangélistes, n’ont jamais voulu qu’il en ait un, avant obtention du Baccalauréat. Le pensionnaire du collège Saint Charles Lwanga a donc décidé de leur en offrir plus, le sésame et le titre du meilleur bachelier de la région, avec une moyenne de 14,77. La prochaine étape, Caleb la rêve déjà en technicolor, un ordinateur neuf et un voyage à l’étranger pour poursuivre ses études.
Foi. A 100 mètres de la route principale de la ville, sur une rue crevassée où stagnent les eaux pluviales, la maison des Boly. Elle se cache dans une impasse et se laisse découvrir aux moyens d’une petite escalade de marches. Dans la cour, une grande bâche bleue est dressée pour éviter les inondations dans cette zone marécageuse. D’un pas mesuré, Caleb entre dans un petit salon rectangulaire où sont disposés fauteuils et chaises à côté de la table à manger. Une croix en bois trône au-dessus d’une bibliothèque remplie, pour la plupart, de livres évangéliques. Au-dessus de la bibliothèque, est accroché un drapeau Sud-africain qui rappelle ses origines lointaines. A côté, il y a un réfrigérateur. En face, une télévision écran plat près d’un ventilateur qui aère le séjour. Sous l’œil vigilant de son oncle pasteur, Edouard Carvalho, qui suit l’entretien sans pour autant y intervenir, Caleb tente de dominer son stress. C’est sa première interview avec des journalistes. Il inspire beaucoup d’air, puis d’un coup, pousse un grand soupir qui écarquille ses yeux innocents. La pression semble retomber. Pour celui qui préfère le Latin à toutes les autres matières, son Français est limpide. Il ne cache pas sa joie, après son triomphe. «Je suis très heureux d’être le meilleur élève de la région au Baccalauréat. Je suis satisfait, après avoir fourni tant d’efforts», confie-t-il, la joie mesurée. Pourtant en classe, le jeune homme n’a jamais été à la hauteur de ses concurrents. Au lycée, il est souvent arrivé troisième. De quoi «surprendre» ses parents avec son rang au Bac. Humblement et sans ambages, il confesse qu’il n’était pas le «meilleur» en classe. La seule fois qu’il a trusté la place de premier avec une moyenne de 16, c’était en classe de 6e. Elève assidu, Caleb a mis toutes les chances de son côté pour décrocher le Bac avec honneur. Il dit : «Le cadre dans lequel m’ont mis mes parents, a été très déterminant dans ma réussite. Ma mère a toujours fait en sorte que je sois assidu à l’école.» Ses parents ont allié rigueur et tolérance pour permettre à Caleb de s’épanouir aussi bien à l’école qu’à la maison. «Je suis rarement sorti la nuit durant l’année scolaire. Je suis très rarement la télé. Mais il y a des moments de pause, de détente, et j’en profite. Je suis plutôt captivé par l’ordinateur ou les jeux vidéo», précise l’aîné d’une fratrie de quatre.
Fils de pasteur de l’église évangélique, Caleb a grandi dans une famille où la foi occupe une place importante. Sur la table à manger, à côté de Caleb, est posé un libre intitulé «Prendre plaisir en Dieu». Mais, la lecture religieuse n’est pas la seule activité à laquelle s’adonne le jeune homme. Il dévore les romans, comme il dévorerait un bon « Kaldou », son plat préféré. Sa maman, présidente des femmes de l’église évangélique du Sénégal, qui veille à lui concocter ses délices, l’encourage constamment à lire les œuvres au programme. Et Caleb ne se fait pas prier. En tant qu’aîné, il sait tenir sur ses épaules la lourde tâche de donner le bon exemple. Le seul combat qu’il avoue perdre d’avance, c’est celui contre sa nervosité. Eduqué avec des principes religieux, le nouvel étudiant abhorre l’hypocrisie. Son oncle décrit un gosse «docile, discipliné, soumis à ses parents et très facile à conduire». Edouard est convaincu que cette attitude a permis à son neveu de réussir. Dans sa nouvelle aventure à l’Université, le pasteur confie son neveu à Dieu. «Je lui conseille simplement de savoir trier ses amis, de garder sa foi en Dieu et d’être persévérant une fois à l’Université», recommande-t-il.
Plaidoirie. Passionné, Caleb l’est. Dès ses débuts au collège, le garçon au nez épaté, est frappé par le talent d’orateur des auteurs grecs et latins, en particulier Cicéron. Le jeune homme à la bouche lippue connaît déjà son point de chute. Comme au Bac, il compte se donner les moyens pour faire partie du corps des avocats. «Je suis passionné par le métier d’avocat. Je suis des documentaires qui parlent de ce corps. Je regarde surtout les vidéos de Marc Bonnant (avocat genevois surnommé le «Mozart du barreau», Ndlr). Il me passionne», confie-t-il. Cette ambition est le seul point d’achoppement qui oppose l’étudiant à ses parents. «Mes parents n’ont jamais été d’accord avec mon ambition de devenir avocat», regrette le juriste en devenir. Ce qui ne devrait pas l’empêcher de persévérer dans la voie qu’il s’est tracée. Au contraire, Caleb compte faire de ce refus sa première plaidoirie. Arguments à l’appui, il plaide pro domo en balayant d’un revers de la main les tentatives de diabolisation du travail des robes noires. «Ce métier n’est pas contraire à la religion. C’est souvent les hommes qui ont tendance à le diaboliser. Le métier d’avocat n’est pas un métier de malhonnête, c’est plutôt un métier honnête et de recherche de la justice.» C’est dit. Le serment est fait de ne défendre que la vérité contre toute pression extérieure ou intérieure. «Je veux que la vérité puisse triompher, parce qu’il y a beaucoup d’injustice dans le monde.» Le défi est grand, mais la terre promise n’est pas loin pour celui dont le cœur est rempli de foi.