Un marchand d’oiseaux, devenu un marchand de rêves. Derrière l’histoire de Diallo Pithie, un homme qui a fait fortune dans la vente des oiseaux en cage dans les rues de Dakar, se cache celle de Amadou Diallo, un opérateur économique hors pair, qui a été le précurseur dans beaucoup de chantiers qui étaient, à l’époque, la chasse gardée des Européens. Grâce aux témoignages de ses enfants, Seneweb retrace la fabuleuse histoire de cet homme, qui a su construire son « senegalese dream » dans le Dakar des années 30. Découverte?!
Vous avez au moins une fois entendu parler de lui. À défaut, peut-être vous êtes passés, se serait-ce qu’une fois, sur la ruelle qui porte son nom : Tally Diallo. Cette route qui quitte Thiaroye et qui mène à Yeumbeul.
Si vous habitez Dakar, vous ne pouvez pas passer à côté de Diallo Pithie. Un jeune venu du Fouta qui a fait fortune dans la vente d’oiseaux. Un commerce lucratif qui lui a permis d’asseoir une renommée internationale. De Dakar à Marseille en passant par New York, Amadou Diallo a fait le tour du monde avec ses oiseaux.
Ses enfants, Alassane (69 ans) et Mamadou, retracent son odyssée. C’est à l’adolescence (16 ans) que « Diallo Pithie » débarque à Dakar. À l’époque, il est accueilli par la famille léboue de Amadou Alassane Ndoye. Il s’essaie à la natation et au cyclisme et travaille parallèlement chez un Français comme travailleur de maison. Il y apprend à parler français et y connut ses premières amours avec les oiseaux.
« En voyant les toubabs s’émerveiller à la vue des oiseaux, cela a créé un déclic chez lui. Et c’est là qu’il s’est demandé pourquoi ne pas essayer de ramener d’autres espèces en dehors de celles qui sont dans la maison », raconte Amadou, un de ses fils.
Sur les quais du vieux port…
Diallo Pithie, sans le savoir, se lançait ainsi sur un chantier qui allait le rendre riche. Il parcourt les régions du Sénégal à la recherche d’espèces rares. De retour à Dakar, il se rendait au marché Kermel pour vendre ses oiseaux aux Européens, qui se les arrachaient. Le commerce commençait petit à petit à porter ses fruits. Et il commençait à asseoir une petite renommée à Dakar. Les rêves plein la tête, l’argent commençant à couler à flots, il décide de conquérir le marché international. Diallo Pithie décide de se rendre en Europe. « C’était dans les années 30, c’est-à-dire entre les deux guerres mondiales. Il s’est confectionné une grande cage. Il y a mis les oiseaux et a embarqué dans la cale du paquebot qui faisait la navette Dakar-Marseille-Dakar, avec de la provision en mil. Arrivé à Marseille, il a sorti sa cage d’oiseaux et s’est installé sur le quai », explique son fils. Les oiseaux se vendent comme du petit pain.
L’Africain qui venait avec les oiseaux
Après cette première expérience, il retourne à Dakar et décide de faire la navette Dakar-Marseille. Sur le vieux port, il se fait connaitre comme « l’Africain qui venait avec les oiseaux ». « Il s’est dit si ça a marché à Marseille, pourquoi ne pas essayer de chercher plus loin. Il a alors décidé d’aller à Paris. Le voyage suivant, il a pris ses oiseaux et y est allé ». Pour faire une économie de temps, il décide de faire le trajet par avion. « Il est alors allé voir, à l’époque, le chef d’agence de la compagnie Air France et lui a manifesté son désir de faire voyager ses oiseaux par avion, raconte son fils Alassane. Le monsieur a bondi de sa chaise et lui a demandé s’il allait bien. Il ne pouvait imaginer des oiseaux dans un avion. Mon papa lui a manifesté sa disponibilité à accompagner les oiseaux dans la soute de l’avion. Son interlocuteur lui a répondu que cela n’était pas possible d’autant plus que dans les soutes, il faisait un froid extrême. Et que la température était insupportable pour les oiseaux. Mais, cela ne l’a pas dissuadé. Il a alors répondu qu’il est prêt à tenter le coup, quel qu’en soit le risque. Pas trop convaincu, Air France l’envoie balader, avant de lui manifester plus tard, son intérêt ».
Birds in the air
« Les oiseaux ont été mis dans une cage. Il s’est payé un billet d’avion et il est parti », relate Alassane. En dépit de quelques mortalités, Diallo Pithie et ses oiseaux arrivent à bon port. « Il s’est dit avec aussi peu de mortalité, mon problème est donc réglé ». Par la suite, il prend contact avec d’autres commerçants et d’autres compagnies aériennes. Après la France, il investit l’Italie. Et de bouche à oreille, les gens ont commencé à parler des oiseaux du Sénégal. Son succès devient réel. Et dépasse outre-Manche. Il traverse l’Europe, les États-Unis, le Japon, etc. Bref, Diallo Pithie fait le tour du monde.
Pour l’aider dans ses comptes, le vieux Amadou, illettré, voyage avec son fils Alassane. « Le vieux passait récupérer son argent à Paris, à Marseille, à Stockholm, en Italie. Moi, j’ai fait le tour du monde avec lui. Même aux usa, j’ai été avec lui pour rencontrer les clients, prendre des contacts, de nouvelles commandes. Ce commerce s’est, par la suite, tellement développé que toutes les compagnies aériennes voulaient collaborer avec lui, sachant que les oiseaux payaient tellement cher. Il était finalement choyé comme un roi de sorte que quand il voyageait, on lui offrait même le billet gratuitement du fait du chiffre d’affaires qu’il réalisait à travers le monde », raconte-t-il un brin nostalgique.
Appelez-le désormais, Capitaine Diallo?!
Ainsi, le vieil Amadou Diallo finit par bâtir un empire grâce au commerce de ses oiseaux. Mais, au détour d’un de ses voyages, le destin le mit sur une autre piste. « Pendant un de nos voyages, je crois qu’on était en Suède, on était rentré tard, il m’a amené au restaurant. Et là, il a commandé du poisson. Quand on a fini de manger, le serveur lui a présenté l’addition. Il a bondi de sa chaise. Il a demandé s’il n’y avait pas d’erreur. Il ne pouvait pas comprendre que le poisson coûte aussi cher en Europe ». À son retour au Sénégal, il décide de se lancer dans le commerce. Et s’engage dans la pêche. « À l’époque, les toubabs avaient le monopole de ce secteur et avaient organisé une mafia pour barrer la route aux Sénégalais », se souvient Mamadou. Celui-ci, de souligner que son père a dû batailler avec les toubabs pour changer la donne.
Mais, le commerce du poisson à l’époque pour un Africain était un véritable parcours du combattant. « Comme pour vendre le stock en Europe, il fallait utiliser les bateaux, les compagnies maritimes à l’image de Delmas et autres l’ont boycotté. Elles s’étaient liguées contre mon père et lui refusaient le transport de son stock de poissons. Il s’est ainsi retrouvé avec le produit sur les bras. À partir de là, il s’est dit qu’il n’arriverait à rien tant que toute la chaine n’était pas en place. La congélation, le transport, les bateaux de pêche, toute cette chaine étaient entre les mains des toubabs », explique le fils.
Ainsi, il se paie un bateau de pêche. Parce que les variétés qui marchaient en Europe telles que les soles. La pêche artisanale ne pouvait pas nous l’offrir. Ce qui l’a poussé à se payer un navire de pêche. Un jour, il a voulu se payer un stock de poissons que des Français venaient de débarquer, mais ces derniers avaient refusé de le lui vendre. Il s’est dit que cela confirme l’appréhension qu’il avait. Et c’est comme ça qu’il a acheté son premier navire de pêche dans un port français ».
Mais, un autre problème se dressait devant lui : où trouver un commandant pour piloter son navire. À cette époque, seuls les commandants français savaient piloter les bateaux de pêche. Il n’y avait encore aucun Sénégalais capable de le faire. Cela ne le freinait pas pour autant. Il disait qu’il était même prêt à casquer le prix fort pour recruter un commandant de navire européen. À l’époque, il était prêt à payer 100 millions à l’Européen qui accepterait de piloter son bateau de pêche. Il se convainc finalement que la solution était de faire naviguer des Sénégalais comme lui. Malheureusement, aucun Sénégalais ne remplissait les conditions requises pour piloter un navire de pêche. Il est alors allé voir le ministre de la Pêche de l’époque, en l’occurrence Mady Cissokho. Il lui a présenté la situation. Mais, le ministre lui a dit que ce n’était pas possible de trouver un commandant sénégalais, car il n’y en avait pas encore.
Il est allé voir le vieux Seydou Nourou Tall qui était son ami et son marabout. Ensemble, ils sont allés voir le président de la République, Léopold Sédar Senghor. Celui-ci leur a octroyé une dérogation. Il a alors pris un marin sénégalais expérimenté et lui a confié le bateau. Quand on lui disait que c’était risqué, il s’en foutait. Il disait que l’appétit venait en mangeant et répondait à qui voulait l’entendre qu’il arriverait à bout, quel qu’en soit le prix. Et cela même si ça devait lui coûtait des bateaux.
Un premier cargo baptisé « Mame Abdou Aziz Sy »
« C’est mon bateau. Tant pis, je cours le risque?! C’est en forgeant qu’on devient forgeron. J’arriverai à avoir ce que je veux », disait-il, à l’époque. Et parallèlement, il a dit au ministre : « Je veux, maintenant, qu’on forme des Sénégalais pour qu’ils puissent avoir leurs diplômes, parce que moi, je ne compte pas m’arrêter en un seul bateau. Je veux, à l’avenir, que tous mes bateaux soient pilotés par des Sénégalais. Je veux que les Sénégalais soient formés. Je suis prêt à mettre les moyens qu’il faut. Mais, il faut des marins sénégalais bien formés et capables de piloter des bateaux de pêche. C’est comme cela qu’il a réussi à avoir un premier Commandant sénégalais aux commandes de son bateau. Avec celui-ci, il a fait de bonnes choses », a indiqué Mamadou, le fils ainé de Diallo Pithie. Ce dernier d’indiquer que son papa « a fini par se payer 12 bateaux, tous pilotés par des Sénégalais ».
Alassane, d’ajouter : « Il a eu ses bateaux, il a construit, entre temps, une usine de congélation au Port de pêche, il a créé aussi un atelier pour l’entretien et la réparation des bateaux, il s’est dit qu’il lui restait d’exporter les produits de la pêche en Europe et ailleurs. Et quand il voulait faire une réservation pour envoyer son stock en France, ses interlocuteurs lui répondaient qu’ils étaient pleins. Tout cela découlait de la solidarité des toubabs qui avaient ourdi un complot, à l’époque, pour ne pas ouvrir une brèche à des Sénégalais. Il y avait une mafia. Il s’est dit, qu’à cela ne tienne?! Je vais acheter un cargo pour faire le transport maritime » ». Il a acheté son premier cargo vers 1975 à 600 millions de nos Francs et l’a appelé « ’Mame Abdou Aziz Sy » ». Ensuite, il s’est payé un deuxième cargo à 800 millions qu’il a baptisé « Malick Sy ». Les cargos faisaient toute la Méditerranée, l’Europe et l’Afrique et couvraient, entre autres, Abidjan, Lomé, Ghana, etc.
À ce propos, faute de Sénégalais capables de piloter, il a engagé, au début, des Européens à qui il a confié ses deux cargos, tout en ayant le même esprit. Il a alors financé des Sénégalais pour qu’ils puissent avoir les diplômes de pilote international. C’est ainsi qu’il a eu le premier sénégalais à avoir piloté un cargo. Il s’agit d’un certain Mbodj. Finalement, les deux cargos étaient pilotés par des « » commandants sénégalais » ». Il venait ainsi de boucler la chaine et d’être indépendant parce qu’il disait ne plus vouloir dépendre de personne. « » Mon propre poisson, je le pêche moi-même, je le congèle moi-même, je le stocke moi-même et c’est moi qui le transporte?! », aimait-il à dire. C’est vous dire qu’à chaque fois qu’il y a un obstacle, il estimait que ce n’est pas insurmontable. D’autant que Dieu lui a donné les moyens de les surmonter ».
« L’argent qu’il tirait de la vente d’oiseaux était très important. Il a investi dans l’achat de maisons, mais qu’il a ensuite fini par abandonner. Au début de ses activités, dans le commerce d’oiseaux, il s’était fait construire des baraques dans l’enceinte de notre maison familiale à Thiaroye. Comme les choses prospéraient, il les a aménagés et a construit de grandes voilières dans le site et y a stocké 100 000 paires d’oiseaux, c’est-à-dire 200 000 oiseaux. Et puis chaque jour, on avait des expéditions sur le Japon, sur l’Europe, etc. Et tous les jours, les avions partaient avec nos oiseaux, dans leurs soutes. Il en avait donc gardé un stock important. Lorsque, vers les années 50, il a construit des bâtiments pour les oiseaux, les gens se moquaient de lui. Certains passants disaient que le vieux était devenu fou, lui qui construisait des bâtiments pour les oiseaux, alors que les plus lucides, eux, le faisaient pour les humains.
Un visiteur nommé Senghor
Par la suite, Amadou Diallo avait acheté, à Thiaroye-Sur-Mer pour les besoins de l’extension de ses activités, des bâtiments pour les perroquets, d’autres pour des pigeons. Et tant d’autres pour les différentes espèces d’oiseaux. “Mon père avait construit des volières bien aménagées, bien aérées, mais aussi avec le confort nécessaire pour les oiseaux. Cela suscitait d’ailleurs la curiosité du président Senghor. Il avait tendance à venir voir les oiseaux, à chaque fois avant d’aller à Popenguine. À la maison, Senghor amenait, chaque semaine, sa famille, mais aussi des invités de temps en temps. Et comme les issues qui menaient vers chez nous, étaient sablonneuses, le président, Senghor y a fait construire une route qui s’arrêtait devant notre demeure. Il venait avec sa famille, voire le vieux, discuter avec lui avant d’aller à Popenguine. Il gérait parallèlement le commerce d’oiseaux qui était son domaine fétiche. Pour lui, il était hors de question, de l’abandonner. Ce sont avec les revenus tirés des oiseaux qu’il finançait la pêche”.
Après le poisson, Amadou Diallo se lance dans la vente de produits horticoles. L’idée lui est venue de la France. C’était en 1974. Un jour, séjournant dans ce pays, il a assisté au débarquement, à l’aéroport, d’une cargaison de haricots. Quand il s’est renseigné, on lui a dit que c’était une denrée très prisée et très chère. Il s’est dit : “» alors, pourquoi ne pas se lancer dans cette filière?? Pourquoi ne pas cultiver le haricot et le vendre à prix d’or. C’est à son retour au Sénégal qu’il a créé, avec un Européen, une société d’exploitation horticole. Il s’est mis ensuite, à faire de la culture maraichère pour l’exportation. C’est comme cela qu’il avait ses trois activités qu’il menait parallèlement », raconte son fils.
Inhumé dans une mosquée dont il a financé la construction ‘Rien qu’au niveau de la pêche, on avait 800 employés qui y travaillaient. Pour les oiseaux, il y avait même plus, parce que dans toutes les régions, il avait créé des voilières. Au moins, il avait 700 oiseliers attitrés qui travaillaient pour lui. Mais, c’est la gestion de sa flotte de bateau qui avait commencé à le ruiner. Mais, cela ne l’a pas obligé à abandonner la pêche. Il pensait que c’était un problème cyclique. Mais, le problème était réel. Le produit s’est raréfié, beaucoup de licences ont été données. Ce n’était donc, plus comme avant. Les bateaux devenaient vieux, l’entretien devenait de plus en plus cher. C’est comme cela qu’on a finalement arrêté la pêche pour continuer avec le commerce des oiseaux et l’horticulture’.
Après une vie bien remplie, des défis relevés, le vieux Diallo Pithie a quitté ce monde, le 5 mai 1998 à Dakar. Il a été inhumé à Thiaroye Gare, plus exactement à Tally Diallo, dans l’enceinte d’une mosquée dont il a lui-même financé la construction. Il avait 80 ans (1918-1998). Sa famille, elle, garde de lui le souvenir d’un homme de défis, humble, simple et modeste.
C’est après sa disparition que la famille et les proches ont vu sa dimension. Quand, il rentrait de ses activités, vers 22 heures et parfois plus, il trouvait beaucoup de personnes qui l’attendaient devant la maison. Les gens comptaient énormément sur lui. ‘Quelle que soit l’heure, on l’attendait. Il réglait des problèmes d’argent, conjugaux et des charges sociales. Pour lui, rendre service était aussi important que son travail. C’était un sacerdoce pour lui. Il avait horreur du ‘’m’as-tu-vu’’. Il disait : ‘’jamais la politique’’. Pour preuve, confie son fils ‘le président Abdou Diouf avait fait appel à lui pour l’élever au grade de l’Ordre national du Lion, mais il a refusé. Il recommandait à son entourage de ne jamais dormir sur ses lauriers. À ses enfants, il disait toujours ‘’naagû baxuul’’’ (il ne faut jamais dormir sur ses lauriers). Aujourd’hui, deux de ses fils pérennisent son héritage. Et font de la vente des oiseaux, leur gagne-pain.
Auteur: Youssoupha MINE – Seneweb.com