Depuis au moins une dizaine d’années, les prisons sénégalaises se dégradent. La plupart des prisons datent de l’ère coloniale, l’Etat s’étant contenté, depuis 56 ans d’aménager des locaux pour tenir lieu de prisons. Ces locaux sont souvent inadaptés pour l’accueil et le séjour des détenus dans des conditions qui garantissent leur santé et leur dignité humaine.
Aux mauvaises conditions d’accueil et de séjour se sont ajoutées les longues détentions provisoires qui sont la conséquence directe de l’engorgement des cabinets d’instruction et des tribunaux du à une politique pénale très répressive et au déficit de magistrats et d’autres personnels judiciaires.
Les mauvaises conditions de détention, et surtout les longues détentions provisoires qui constituent une violation flagrante des droits des détenus, ont constitué le détonateur de manifestations (grèves de la faim, mutinerie, etc.,) qui ont rythmé la vie dans les prisons sénégalaises au cours des dix dernières années entrainant des pertes en vues humaines et de nombreux blessés. La mutinerie de la prison de Rebeuss du mardi 20 septembre 2016, qui s’est soldée par la mort d’un détenu, Ibrahima Mbow et 41 blessés parmi les détenus et le personnel pénitentiaire constitue l’un des derniers mais aussi le plus grave des mouvements de détenus de ces dernières années.
Face à la situation préoccupante des prisons sénégalaises, nous, organisations de la société civile sénégalaise signataires de la présente déclaration, appelons l’Etat du Sénégal :
– A prendre des mesures immédiates pour mettre fin aux longues détentions provisoires en organisant au moins une session des chambres criminelles par mois, à Dakar et dans les régions.
– A accélérer le processus de réforme du code pénal et du code de procédure pénale en cours dans le sens du renforcement des droits humains des détenus, notamment en transformant les chambres criminelles en chambres criminelles permanentes et en limitant à 2 ans maximum la détention provisoire en matière criminelle.
– A rechercher activement les financements nécessaires à la construction d’une prison de 1500 places à Sébikhotane, ainsi qu’à la construction de nouvelles prisons conformes aux normes et standards internationaux dans toutes les capitales régionales et départementales du pays.
– A doter toutes les prisons de véhicules pour le transfert des détenus dans des conditions qui respectent leur dignité humaine.
– A aménager des toilettes dans les cellules des prisons où elles n’existent pas comme la prison de Vélingara, dans la région de Kolda.
– A porter de 1000 F CFA à 2000 F CFA l’allocation journalière destinée à chaque détenu dans le budget de l’Etat de l’année 2017.
– A recruter des magistrats afin de doubler les cabinets d’instruction, à Dakar notamment, et augmenter le nombre de magistrats du parquet.
– A procéder à un recrutement massif de personnels pénitentiaires et à leur faire bénéficier d’indemnités de sujétions en rapport avec l’exercice de leurs fonctions.
– A prendre le décret instituant et organisant la Commission d’indemnisation des détenus lorsqu’ils bénéficient d’un non-lieu, d’une relaxe ou d’un acquittement.
– Le travail et la formation professionnelle en prison étant des droits, et une garantie de réinsertion sociale réussie du détenu, nous appelons le gouvernement en rapport avec le secteur privé à créer les conditions pour le travail et la formation professionnelle des détenus.
– Appelons l’Etat à engager avec toutes les parties prenantes : magistrats, avocats, société civile, chefs religieux et coutumiers un débat inclusif sur la politique pénale et l’adoption de peines alternatives à l’emprisonnement.
– Appelons enfin l’Etat à ouvrir une enquête impartiale pour faire la lumière sur la mutinerie de Rebeuss du 20 septembre 2016, et notamment sur les circonstances de l’usage des armes à feu ayant entrainé la mort de Ibrahima Mbow et de nombreux blessés et de traduire en justice les coupables éventuels.
A la population sénégalaise, y compris les chefs religieux et coutumiers,
– Nous rappelons le devoir de solidarité envers les détenus ; la prison n’a pas pour vocation de punir le détenu, mais de l’aider à s’amender et à réintégrer la société.
A la communauté internationale, aux donateurs bilatéraux et multilatéraux de l’Etat du Sénégal notamment,
– Nous encourageons à inscrire le respect des droits humains des détenus dans l’agenda de leur dialogue avec l’Etat du Sénégal et à l’inscrire comme priorité de leur coopération financière.