Le procès des auteurs présumés de l’enlèvement de quatre expatriés, en avril 2011, débute ce mardi 31 janvier. Les militaires impliqués devront s’expliquer sur cette affaire jamais élucidée.
C’est l’un des épisodes macabres de la bataille d’Abidjan. Le 4 avril 2011, Stéphane Frantz di Rippel, directeur de l’hôtel Novotel, Yves Lambelin, patron du groupe ivoirien Sifca, et de deux de ses collaborateurs, Chelliah Pandian et Raoul Adeossi, étaient enlevés par douze hommes en tenue militaire, armés de fusils d’assaut et de kalachnikovs, pour ne plus jamais réapparaître. Plus de cinq ans après, le procès de leurs assassins présumés s’ouvre mardi 31 janvier devant la cour d’assises d’Abidjan. Il durera deux semaines.
Dix personnes prendront place sur le banc des accusés pour répondre de différents chefs d’accusation : « arrestation illégale, séquestration avec violences, assassinat et complicité d’assassinat, disparition de cadavres ». Le commandement de l’ancienne garde républicaine – l’ex-général Bruno Dogbo Blé, les colonels Jean Aby et Léopold Mody Ohoukou –, ainsi que le commissaire de police Osée Loguey sont notamment mis en cause.
« Nous attendons plusieurs choses de ce procès. D’abord savoir qui a décidé quoi, et au plus au niveau. Ensuite, il faut, pour la famille, que les conditions dans lesquelles les victimes ont vécu les derniers moments de leur vie et que l’endroit où leurs corps ont été abandonnés soient révélés », explique Me Pierre-Olivier Sur, avocat du groupe AccorHotels.
L’instruction fut longue et laborieuse mais a permis de reconstituer en partie le déroulement des faits. Selon des témoins cités dans l’acte d’accusation, que Jeune Afrique a pu consulter, c’est à midi que les commandos « Sierra 9 et November One » reçoivent l’ordre « d’effectuer une perquisition à l’hôtel Novotel où il avait été signalé la présence de snipers et d’espions ». Les hommes armés pénètrent dans l’établissement, fouillent chaque étage et repartent avec quatre personnes.
Immédiatement conduits au palais présidentiel
Immédiatement après leur enlèvement, les otages sont conduits au palais présidentiel, qui grouille alors de miliciens et de Jeune Patriotes, pour être interrogés. L’un d’eux est alors déjà « mal en point ».
Ils sont ensuite emmenés derrière le bureau de transmissions, où ils sont dévêtus et roués de coups. Leurs cris résonnent dans l’enceinte du palais quand au même moment, les MI-24 de l’ONUCI commencent à bombarder les lieux. Les otages sont ensuite étendus sur une pelouse. Selon les témoignages, le commissaire de police Osée Loguey achève Yves Lambelin d’une balle de kalachnikov.
Les dépouilles seront ensuite passées par-dessus la clôture du palais, entassées dans un « véhicule de type Canter et transportées à l’infirmerie de la 1ère compagnie ». Un témoin raconte ensuite que les corps ont finalement été emportés à bord d’un 4×4 de couleur sombre vers un lieu inconnu. Ont-ils été jetés dans la lagune Ébrié ? Ce qu’il restait du corps d’Yves Lambelin y ayant été repêché, c’est la piste privilégiée par les enquêteurs.
Dogbo Blé, donneur d’ordre ?
Dogbo Blé a reconnu avoir donné l’instruction de faire disparaître les corps du palais présidentiel, mais dément avoir ordonné l’assaut sur le Novotel et l’assassinat des otages. Pendant la reconstitution organisée en septembre 2014 au palais présidentiel, il a assuré que les otages « avaient été tués par éléments incontrôlés furieux dont il ignore l’identité ». Or plusieurs militaires ont affirmé lors des interrogatoires avoir exécuté ses ordres. Des écoutes téléphoniques ont également révélées que ce dernier a bien demandé à ses hommes de « récupérer un colis » au Novotel. Un enquêteur ayant travaillé sur l’affaire et souhaitant garder l’anonymat confirme cette thèse : « Dogbo Blé a réalisé que les otages étaient devenus une gêne. Il a paniqué et a demandé à ses hommes de “les traiter”. Il a même fait le geste. »
Dans une tribune publiée en juin 2011, plusieurs journalistes français présents au Novotel au moment du rapt demandaient : « Que cherchait le commando de tueurs ce 4 avril en début d’après-midi ? Des « Blancs », des journalistes ? Une monnaie d’échange ? Les victimes expiatoires d’un régime agonisant ? » Pour notre enquêteur, « le mystère reste entier ».