« Confessions profondes » du juge Demba Kandj

Le journaliste Amadou Diaw a sorti sur la Tfm Justice, confessions profondes. Dans ce film-documentaire, dont Les Échos a publié de larges passages, le juge Demba Kandji,  président de la Cour d’appel de Dakar, parle, sans détour, de l’indépendance de la justice et de sa connexion avec la politique. Extraits.

« Devant un juge, il n’y a pas de politique… »
« La loi s’applique à tous de façon non différenciée. Nous n’avons pas de partie. On ne peut pas se donner la prérogative de pardonner quand la loi ne pardonne pas ou d’aggraver quand la loi n’aggrave pas. Ni partie ni passion, ni aimer ni haïr.

On ne peut pas faire preuve de faiblesse au moment de la sanction. La loi n’a pas de passion et c’est la loi que nous appliquons. Quand c’est le Code pénal, nous utilisons la procédure qui y mène. Ceux qui entrent dans nos prétoires, c’est des justiciables. Dans le prétoire du juge, il n’y a pas de politique, il n’y a pas de faits politiques.

Sinon, on aurait pu avoir un Code pénal politique, sinon on aurait une loi qui ne dirait pas : ‘tout homme, toute personne…’ Pour vous dire que la loi ne connait personne. Elle ne dit pas : ‘toute femme…’, elle ne dit pas ‘tout responsable de parti…’, elle ne dit pas ‘tout citoyen détenteur de tel mandat…’, ce n’est pas le problème du juge. Devant un juge, il n’y a pas de politique. Il y a juste un justiciable.

« Moi, premier président d’une Cour d’appel »
« L’indépendance du juge, ce n’est pas dans le refus, ce n’est pas dans l’apparence du juge, ce n’est pas de marteler les carreaux, ce n’est pas se montrer distant et méchant, non ! L’indépendance se lit dans l’acte juridictionnel. Quand le juge entreprend de délivrer la décision, il ne doit, en cette phase, avoir comme directeur que la loi et sa conscience. Personne, au-delà de ces deux choses-là, ne doit intercéder ou interférer.

Moi, premier président d’une Cour d’appel, j’ai des présidents de chambre qui travaillent en collège, mais je n’ai aucune prise sur ce collège de trois juges quand ils s’enferment pour délibérer. Le garde des Sceaux a raison de dire que c’est pendant la phase juridictionnelle que l’indépendance se révèle comme étant vraiment une force du juge. C’est pendant cette phase, et cette phase seule, que l’indépendance s’avère comme étant une arme du juge au profit du justiciable.

« Une démocratie de donneurs de leçons »
« Nous sommes dans une société, malheureusement, où il y a une ‘démocratie de donneurs de leçons’. Une démocratie de prêcheurs, où on confond la morale, la religion et le droit. On ignore carrément le droit, on se construit sa morale, sa décision et on prétend l’imposer au juge, malheureusement.

Mais, en tout cas, nous le vivons mal, car ce n’est pas parce que nous sommes dans une démocratie que nous devons nous permettre certaines dérives. Quand on doit critiquer l’avis d’un juge, on le fait à partir de ses considérants, de ses attendus, de la manière dont il a construit sa décision.

Très souvent, les gens nous attaquent, mais trois jours après, vous ne les entendez plus dire : il a dit dans tel considérant…

« Pourquoi les longues détentions » 
« La détention dure, parce qu’au-delà du mandat de dépôt et de la privation de liberté qui est temporelle, provisoire, il y a des actes d’investigations que le juge entreprend, par lui-même et par l’entremise d’autres expertises, qui se déroulent en dehors de sa juridiction. Il sollicite, par une commission rogatoire, par une délégation judiciaire, l’accomplissement de tel ou tel autre acte, soit par son collègue d’un autre ressort, soit par un officier de police judiciaire, soit même par un expert.

Tout cela est important, parce que le délai qui s’écoule, il est très préjudiciable à la personne qui est en conflit avec la justice, mais le délai peut permettre d’aboutir à une manifestation sereine de la justice.  Je suis de ceux qui pensent que pour mieux juger, il faut prendre le temps de comprendre, mais il faut juger dans les délais qui sont autant que possible réduites. »

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