Comprendre les APE: Réponse à El Malick Seck (Par Thierno Bocoum)

9540194-15322410Je ne pouvais manquer de répondre à l’interpellation de mon ami El Malick Seck. Et c’est pour moi une bonne manière d’encourager et de faciliter la discussion entre acteurs de camps différents, dans la courtoisie, sur des questions d’intérêt national.

Sa contribution (Comprendre les APE, très simplement) aura le mérite de révéler un minimum d’effort intellectuel dans le camp où il se réclame sur une question d’une importance majeure.

Cependant, je suis au regret de lui dire que je ne suis pas satisfait de sa réponse qui n’est ni complète ni simple à comprendre. Il m’est arrivé, durant ma lecture, de me demander si son but n’était finalement pas de renforcer le camp patriotique du « NON aux APE » puisque, dans son raisonnement les arguments qui font peur ont fini par les emporter sur ceux qui devraient rassurer.

Il l’a relevé lui-même : « Ce qui fait le plus peur, ce sont les différentes études économiques qui montrent que l’Afrique va perdre 1 800 milliards de francs CFA par année en pleine application des APE. Là dessus, les partisans du Non ne sont pas convaincus par les propositions, du reste encore floues, de compensation proposées par l’Union Européenne. ».

Ce seul argument devrait suffire pour dire NON à cette forme d’APE. 
L’Afrique n’est pas un continent nanti du point de vue de ses performances économiques au point de devoir perdre une telle manne financière sans toucher aux fondements de sa stabilité sociale et de son équilibre économique. L’Afrique risque de sombrer et d’emporter avec elle l’espoir de millions de personnes laissées à elles-mêmes sous le poids d’un dictat commercial inadmissible.

Paradoxalement, ce sont des « humanistes » européens qui nous défendent sur cette question avec beaucoup de courage contre les volontés de leurs propres dirigeants. 
En atteste le pertinent rapport du député Jean-Claude Lefort, qui s’interrogeait : « Pouvons-nous vraiment prendre la responsabilité de conduire l’Afrique, qui abritera dans quelques années le plus grand nombre de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour, vers davantage de chaos, sous couvert de respect des règles de l’OMC ? ».

Différentes contributions, notamment celle de Idrissa Seck, ont été très explicites sur les dangers qui nous guettent en signant les APE. Il serait inutile, de ma part, de revenir sur des arguments qu’un mouvement du curseur peut ressortir à tout moment sur l’onglet d’une page internet.

Je voudrais, cependant, évoquer ce que mon ami El Malick Seck présente comme rassurant dans les accords de partenariat économique UE/ACP et qu’il a vaillamment explicité dans sa contribution.

Il déclare dans son texte : « Pour être simple, les produits sénégalais, répondant aux normes du reste allégées, pourront dès la ratification des accords être vendus sur les marchés de Rungis, d’Italie ou d’Espagne, sans payer de droits de douane. Pour être encore plus explicite, la mangue sénégalaise déjà très prisée sur le marché européen va être exportée dans tous les pays de l’Union, à moindre coût, puisque ne payant pas de taxe douanière à l’entrée. En conséquence, elle coûtera moins cher sur le marché occidental, donc sera plus compétitif. Impact au Sénégal : plus de production, plus de revenus pour les acteurs de la filière. ».

Je signale à mon ami El Malick Seck qu’en sa qualité de pays moins avancé (PMA), le Sénégal bénéficie du programme « tout sauf les armes » adopté en 2001 par l’UE. Ce qui signifie que notre pays exporte sur le marché  de l’Union Européenne tous ses produits, hors les armements, sans payer de droits de douane. Il en est ainsi pour 11 autres des 16 États de l’Afrique de l’Ouest. Ce n’est donc pas l’entrée en vigueur des APE qui consacrera pour la première fois cette préférence commerciale. C’est déjà le cas.
Mon cher ami El Malick pourra se rendre compte que de 2001 à nos jours rien de ce qu’il  décrit ne s’est passé. Au Sénégal, les mangues pourrissent en Casamance et les normes européennes ne permettent pas à nos petits producteurs, sans moyens, de pouvoir profiter des énormes opportunités.

Plus loin dans son texte, il annonce que concernant les APE,  » il est prévu dans les textes que les droits de douane peuvent être préservés dans les secteurs agricoles ou industriels où notre région prévoit de développer une capacité de production pour nos marchés intérieurs. Ce qui veut dire que si le Sénégal veut protéger sa filière tomate ou sa production dans le domaine alimentaire, notre pays est libre d’appliquer les droits de douane aux pays européens. ».

Non, cher ami. Si tel était le cas, il ne serait certainement pas utile de signer des accords puisque chaque pays peut décider d’appliquer des droits de douane à sa convenance, selon ses intérêts. Non! Tout dépend des catégories dont le classement est préétabli. 
Ce que l’accord prévoit ce sont des mesures de sauvegarde bilatérales (article 22). Ce sont de simples dérogations d’une durée limitée en cas d’importations de quantités « accrues ». Encore que nous sommes déjà dans une économie extravertie et très loin d’une autosuffisance. La quantité accrue sera, le plus souvent, un avantage de prix pour les consommateurs et non un frein à une industrie inexistante. Cette mesure n’est donc nullement une protection contre l’envahissement du marché africain par les produits européens et notre future dépendance à ces produits.

Ce sont là, les principaux arguments qu’il a développés et qui pouvaient rassurer. Hélas, ce n’est pas le cas. 
Avec ses arguments « rassurants » qui ont fini par faire peur à l’épreuve de l’analyse, ajoutés à tout ce qu’il a évoqué comme problèmes en ce qui concerne les APE, il ne nous reste qu’à espérer que mon cher ami El Malick Seck sera à nos côtés quand n’importe quelle autre occasion de dire NON se présentera.

Je lui conseillerais, par ailleurs, de se méfier de certaines projections de l’Union Européenne. De la pure propagande que malheureusement nos autorités étatiques véhiculent jusqu’au cœur de la république.
J’ai été sidéré et gêné de voir notre propre gouvernement convoquer l’Union Européenne dans un atelier de mise à niveau des députés sur les APE pour qu’elle nous explique ce qui est bon pour nous.

Je reste convaincu que les africains sauront défendre leurs intérêts, en toutes circonstances si nous nous battons tous pour que les sphères de décisions de nos États ne soient plus occupées par des agents commerciaux africains au service de puissances étrangères qui mettent en avant des intérêts personnels au détriment d’intérêts supérieurs de nos nations.

Thierno Bocoum
Député à l’assemblée nationale sénégalaise 

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