A l’instar de beaucoup de pays africains, notamment ceux de la sous-région ouest africaine, le Sénégal n’échappe pas à la polémique sur les chiffres du chômage. Difficile parfois d’y voir clair, en dépit des multiples publications officielles.
En octobre 2015, dans un entretien avec la chaîne française Itélé, le président Macky Sall donnait une réponse dubitative sur la question. Le taux de chômage au Sénégal se situerait entre «16, 18 et 20% maximum» rétorquait-il à la journaliste d’Itélé.
En plus de son imprécision, le chef de l’Etat sénégalais fournissait ici une fourchette très éloignée du taux publié à l’époque par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) de cette époque.
En effet, les résultats du recensement général de la population, publiés en 2013 par l’ANSD indiquait un taux de chômage national de 25,6%.
En novembre 2015, la même ANSD, dans une nouvelle publication dénommée «Enquête nationale sur l’emploi au Sénégal» donne un nouveau taux de 15,7%.
La dernière publication de cette enquête censée être «trimestrielle à terme», publiée le 10 mars 2017, revient avec un taux de 13,4%.
Toutefois, les taux issus de l’enquête nationale sur l’emploi n’emportent pas l’adhésion des observateurs dont la plupart continue de prendre pour référence celui issu du recensement général de la population.
Le taux de chômage est élevé chez les jeunes sénégalais réunis ici en 2012 lors d’un meeting politique. Photo AFP.
Le taux de chômage est élevé chez les jeunes sénégalais réunis ici en 2012 lors d’un meeting politique. Photo AFP.
Les explications de l’ANSD
«Le taux issu du recensement général de la population est à titre déclaratif. Il était greffé au rapport à l’usage des chercheurs et des utilisateurs en général», a déclaré à Africa Check, Meïssa Ndour, statisticien à l’ANSD.
Selon M. Ndour, le taux de référence reste celui fourni à l’issue de l’enquête nationale de l’emploi qui détermine le taux de chômage du moment et se base sur les critères du Bureau international de travail (BIT).
Comment calcule-t-on le taux de chômage ?
Joint par Africa Check, Honoré Toro Djerma, spécialiste en statistiques du travail au BIT, précise que «le taux de chômage dans un pays est le nombre total de chômeurs rapporté à la main d’œuvre ou population active». Ce qui, selon lui, donne la méthode suivante : personnes au chômage/main-d’œuvre x 100.
L’expert du BIT en poste à Dakar souligne que «le Sénégal, à l’instar des autres pays, applique les normes internationales concernant les statistiques du travail. Il applique donc cette méthode de calcul du taux du chômage».
«Mais compte tenu de la particularité du marché du travail dans les pays africains dont le Sénégal, un deuxième taux de chômage est calculé en prenant en compte, comme chômeurs, les demandeurs d’emploi découragés, qui comprennent toutes les personnes qui n’ont pas effectué de ‘recherche d’emploi’ pour des raisons liées au marché du travail», a-t-il précisé.
Qui est chômeur en fait ?
A l’image des Sud-africains, les jeunes sénégalais aussi sont durement frappés par le chômage. Photo AFP.
A l’image des Sud-africains, les jeunes sénégalais aussi sont durement frappés par le chômage. Photo AFP
Selon les explications de M. Djerma, «on entend par personnes au chômage toutes les personnes en âge de travailler qui ne sont pas en emploi, ont effectué des activités de recherche d’emploi durant une période récente spécifiée, et sont actuellement disponibles pour l’emploi si la possibilité d’occuper un poste de travail existait».
La situation de «pas en emploi» est évaluée par rapport à la courte période de référence pour la mesure de l’emploi (généralement les 7 derniers jours).
Quand à la notion de «recherche d’emploi», qui peut être à temps partiel, informel, temporaire, saisonnier ou occasionnel, elle fait référence à toute démarche effectuée durant une période récente spécifiée comprenant les quatre semaines précédentes ou le mois précédent, visant à trouver un poste de travail ou de créer une entreprise ou une exploitation agricole.
Qu’en pensent les spécialistes ?
Joint par Africa Check, Ndongo Samba Sylla, économiste à la fondation Rosa Luxembourg, à Dakar, a confié qu’au vu de la multitude de chiffres, il y a une «imprécision de la mesure statistique».
«Mon avis est que le taux de chômage des jeunes urbains diplômés (diplôme secondaire jusqu’au master), s’il est mesuré pour tenir en compte des emplois auxquels ils aspirent ou qu’ils ont vocation à occuper, serait au moins de l’ordre de 50%», a-t-il dit.
Pour sa part, Ismaël Sangharé, enseignant-chercheur à la Faculté des sciences économiques et de gestion (FASEG) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, souligne l’existence d’un «manque de coordination» qui explique l’énonciation de chiffres différents entre l’Etat et sa structure habilitée à produire des statistiques.