Menacée par le projet de la centrale à charbon de Sendou, la cimenterie de la SOCOCIM qui utilise la houille dans sa production et l’érosion côtière, Bargny est une ville qui risque d’être rayée de la carte nationale. Ibrahima Diagne, fer de lance de l’association Takam Jerry appuyée par Lumière Synergie pour le développement (LSD) dans la lutte pour la sauvegarde environnementale de la ville, lance un cri d’alerte et interpelle l’Etat du Sénégal pour qu’il délocalise le projet de cette énergie qui constitue un danger pour la société.
La vie des habitants de la commune de Bargny est en danger. Coincée entre les poussières de la cimenterie de la Sococim, ainsi que la menace du projet de la centrale à charbon de Sendou et l’érosion côtière récemment exacerbée par l’effet des changements climatiques, Bargny est une ville presque agonisante qui est même menacée de disparition. Pour lui éviter le sort d’une mort indifférente, Ibrahima Diagne, fer de lance de l’association Takam Jerry, porte le combat avec des arguments environnementaux à l’appui. Il est appuyé dans ce plaidoyer par l’organisation non gouvernementale Lumière Synergie pour le développement (LSD).
«La commune de Bargny est géographiquement mal positionnée au Sénégal car limitée à l’est par un établissement classé de catégorie 1 à l’instar de la SOCOCIM industries, au nord par des carrières et au sud par l’océan atlantique qui avance. Malgré tout cela, tout le monde a constaté que le Sénégal est déterminé à y bâtir une centrale énergétique à consommation de houille», a signalé Ibrahima Diagne qui s’exprimait ainsi lors d’une rencontre initiée avec l’ong Fahamu, en collaboration avec LSD et OSIWA. «Compte tenu de ce que les habitants ont vécu comme pollution à cause de la proximité avec la SOCOCIM depuis 1945 avec une production de plus de 400 000 tonnes de houille annuellement, cette centrale est conçue comme une menace de mort. C’est notre santé publique qui sera anéantie. Par conséquent, nous demandons la délocalisation de cette centrale», a laissé entendre Ibrahima Diagne. Pour tout ceci, il est bien évident que le projet de construction par la Banque africaine de développement (BAD) de la centrale à charbon de Sendou viole le code de l’environnement et menace la vie des populations. Pour preuve, Ibrahima Diagne a révélé que les conclusions d’une étude ont classé Bargny parmi les villes les plus vulnérables au monde.
La SOCOCIM se lave et dégage en touche
La réaction de la SOCOCIM qui est citée dans cette affaire ne s’est pas fait attendre. Moctar Diaw, Directeur de l’Environnement à ladite usine fait le point de la situation. «Sur cette question, il faut savoir que l’utilisation de la houille date de 2000. Elle a été autorisée à la suite d’une étude d’impact environnemental où les populations étaient représentées. Il y avait une audience publique pour expliquer comment on allait opérer et quelles sont les dispositions qui avaient été prises avant d’avoir l’autorisation du ministère de l’environnement», nous a-t-il signalé.
Selon lui, la SOCOCIM a surtout tenu à construire un bassin de rétention pour éviter que les résidus de houille ruissellent avec les eaux de pluie durant l’hivernage. «En termes de stockage et de limitation des fuites possibles, par exemple quand il pleut sur la houille, il y a de l’eau qui peut ruisseler vers la mer. On a fait un bassin de rétention qui accueille l’eau ruisselante. Ce bassin est régulièrement curé», poursuit-il avant de révéler que tout cela fait l’objet d’un plan de gestion environnemental qui est suivi chaque année par le ministère de l’environnement qui fait des visites inopinées à l’usine pour s’assurer que toutes les mesures de sécurité sont respectées. L’entreprise organise aussi souvent des réunions de CLIE (Comité local d’information environnementale) avec les collectivités, qui sont des occasions pour passer en revue tous les problèmes liés à l’environnement.
Plus de 1000 familles dépossédées
Ce projet n’a pas que des conséquences environnementales. Il a aussi fait des dégâts sociaux. Des familles dont les concessions sont emportées par les vagues et bénéficiaires de délibérations pour leur relocation se sont vues dessaisir de leur bien. Une mère de famille, dans une vidéo institutionnelle que nous avons visionnée, interroge les autorités sur le sort réservé aux délibérations qui leur avaient donné la propriété de 1500 parcelles loties sur le site de Minam où est érigé la centrale financée à hauteur de plus de 196 millions d’euros (soit 128,5 milliards FCFA) par les banques multilatérales de développement comme la Banque africaine de développement (BAD, 37%) et la Banque mondiale (BM), mais aussi la BOAD (25%), la FMO (23%) et la CBAO (15%). «Nous voulons qu’on nous dise ce qui se passe», dit-elle face au silence des autorités.
Selon les investigations menées et les témoignages recueillis sur place, il y a plus de 1000 femmes qui ont perdu leur emploi à cause du projet de la centrale qui a empiété sur leur site de transformation de poissons. En effet, «les sécheuses de poissons qui exportaient leurs produits vers le Burkina Faso faisaient annuellement un chiffre d’affaires d’environ 2 milliards FCFA», nous apprend Aly Sagne, président de LSD. Erigé sur un site de 29 ha, le projet de la centrale à charbon de Sendou a été approuvé par l’Etat du Sénégal depuis le 25 novembre 2010. Sous ce rapport, le porte-étendard du combat pour la sauvegarde de Bargny décrie «la délinquance» de l’Etat du Sénégal.
La «délinquance» de l’Etat du Sénégal
En effet, l’Etat du Sénégal est considéré comme «un grand délinquant» dans cette affaire pour avoir signé des conventions internationales, pris des engagements au niveau des Nations Unies pour le respect des objectifs de développement durable (ODD) et les fouler au pied par la suite. «Le 25 septembre 2015, un nouvel ensemble d’objectifs mondiaux pour éradiquer la pauvreté, protéger la planète et garantir la prospérité pour tous, a été adopté dans le cadre d’un nouveau programme de développement durable. Chaque objectif a des cibles à atteindre d’ici les 15 prochaines années», nous apprennent les Nations unies. Au moment où le monde entier abandonne les énergies fossiles, le Sénégal s’engage à construire la centrale à charbon de Sendou dont l’impact environnemental est incommensurable. Non seulement la pollution de l’air peut avoir des méfaits sur la santé, mais les rejets d’eaux chaudes, des polluants dangereux détruisent l’écosystème marin et la biodiversité. Ce qui a forcément des impacts négatifs sur la pêche artisanale. Il y a aussi que les émissions de gaz à effet de serre contribuent pour beaucoup aux changements climatiques en occasionnant le réchauffement de la planète, mais aussi l’érosion côtière. Pour tout ceci, Ibrahima Diagne estime que si un Etat n’est pas dans la légalité, il s’inscrit dans la délinquance.
Le projet de la JAFZA risque de percer l’abcès
Par ailleurs, le projet de construction de la Zone économique spéciale (ZES) prévu par le gouvernement du Sénégal, en partenariat avec le Jebel Ali Free Zone Authority (Jafza) de Dubaï, dans le périmètre compris entre Diamniadio et Bargny vient rajouter à la menace de disparition qui pèse sur la ville de Bargny où est prévu un port sur une superficie de 1250 hectares. En effet, cette zone Economique Spéciale dont l’investissement est tablé à 800 millions de dollars, soit 400 milliards FCFA, devra comprendre une zone industrielle et une zone franche commerciale avec d’importantes infrastructures dont un port moderne minéralier à Bargny. Le projet bénéficie déjà d’une réserve foncière de plus de 10 000 hectares. Le glas a dès lors sonné pour la ville de Bargny qui n’a cessé depuis un certain temps de recevoir les coups de boutoir des vagues.
Sud Quotidien