Omar Diaby fait partie des recruteurs du djihad international. D’abord à Nice où il a grandi mais aussi sur le Net dont le Franco-sénégalais a fait son terrain de chasse. Des recrues, il en a eues. Et Nadia, appelons la ainsi, en était une. Fascinée par celui qui s’est fait appeler Omar Omsen, la Française ne perd pas de temps pour rejoindre ce dernier en Syrie où il s’est établi à la faveur de la crise qui secoue ce pays du Moyen Orient depuis maintenant 06 ans. Mais son rêve s’est transformé en cauchemar en posant le pied au “Sham” car en lieu et place d’un islam rigoriste auquel elle aspirait, Nadia trouve des “Hippies”. Pis encore, l’émir franco-sénégalais n’hésitait pas à abuser d’elle. D’après sa version, Omar Omsen l’a violée à plusieurs reprises. Et elle n’était pas la seule. Dévastée, elle met en place un solide plan d’évasion qui a réussi. Aujourd’hui, elle vit dans un pays du Maghreb qu’elle tient secret pour dit-elle, des raisons de sécurité. Cependant, l’ancienne recrue d’Omar Diaby ne se décrit pas comme une repentie. C’est dire que ses croyances et convictions religieuses sont restées intactes. Tout ce qu’elle veut, c’est que la face cachée du recruteur franco-sénégalais soit connue de tous.
Comment avez vous fait la connaissance d’Omar Omsen ?
Nadia: J’ai rencontré Omar par le biais d’une sœur. J’étais en contact avec cette sœur sur Facebook. On avait un projet humanitaire en commun (l’export de médicaments, dons…). Elle me disait qu’une personne pouvait m’aider pour faire ma hijra (voyage vers une terre d’Islam). Et c’est à ce moment-là qu’elle m’a dirigée vers un frère qui s’est trouvé être Omar Omsen.
A-t-il parlé de djihad dès votre prise de contact ?
On a commencé par parler du projet humanitaire. Il me disait qu’il trouvait admirable le fait d’œuvrer pour la Oummah de cette façon. Il ne me parlait pas de djihad (guerre sainte) mais plutôt de faire la hijra en terre musulmane, ce que je comptais faire depuis un moment. Mais on ne parlait pas vraiment de djihad. On discutait sur la situation en Syrie, des bombardements, comment le camp vivait les bombardements et s’il étaient
Qu’est-ce qui vous a attiré chez lui ?
C’est une personne qui fascine, Omar est quelqu’un de très charismatique. Dès son premier contact et même par message, il m’a troublé par sa simplicité et sa façon d’aborder les situations, les gens. Il peut faire preuve d’écoute mais que dans un but particulier, le sien. Il a réponse à tout et peut parler pendant des heures d’un sujet qu’il ne connait pas forcément. Il aime beaucoup s’écouter. Il peut également se montrer bienveillant et aimant. J’ai pris conscience par la suite que c’était que pour servir ses propres intérêts. Il supporte mal la critique. Il me demandait de répondre immédiatement à ses demandes sinon ça pouvait le mettre dans de forte colère, comme les enfants. C’est un charmeur, il adore ça. Il aime être flatté mais feint de ne pas l’être. Avec du recul, j’ai l’impression qu’il prend du plaisir à manipuler les personnes, de jouer avec nous. En fait, il nous fait culpabiliser en permanence. Il nous laisse croire qu’on est libre de choisir mais en réalité c’est lui qui tire les ficelles. Je peux dire aujourd’hui que j’étais attiré par lui parce que je l’admirais et que j’étais subjuguée par lui.
Une fois le contact établi avec Omar, comment se passaient vos discussions sur Internet et de quoi parliez-vous ?
On a bien sûr beaucoup parlé de religion au début de nos échanges, du combat juste qu’il menait et de l’importance de la hijra. J’en étais déjà convaincue avant de le rencontrer mais il a fait naître en moi la nécessité de l’effectuer rapidement. Donc il insistait souvent là-dessus. Il se plaçait en position de force, de savant. Il était très fier de ce qu’il faisait sur place et ne manquait pas une occasion de se mettre en avant. Il avait fait l’objet d’un reportage en France et m’a encouragé à le regarder, pour comprendre la vie sur place. Il était très fier de ça. Et puis comme le courant passait bien, on a commencé à flirter par message puis de plus en plus. Jusqu’à ce que j’achète mes billets d’avion en septembre on ne parlait quasiment que de ça, il voulait qu’on se marie. Une fois les billets achetés les choses se sont compliquées. Il n’a plus voulu m’épouser puis m’a mariée à Kamal. Il n’avait plus besoin de se montrer charmeur, le piège était en train de se refermer. Bien sûr, je n’en avais pas du tout conscience à ce moment là.
Avant de le connaitre, vous vous intéresseriez à ce qui se passe en Syrie ?
Oui. C’est d’ailleurs parce que je m’intéressais à ce qui se passait en Syrie que je suis entrée en contact avec lui. Comme je vous l’ai dit, j’avais un projet humanitaire avec des sœurs en France mais aussi en Syrie. On avait réussi à créer une page Facebook, fermée depuis, avec laquelle on récoltait des dons, des fonds qui nous permettaient d’envoyer de l’argent ou des médicaments là-bas.
J’étais également désireuse de partir faire ma hijra pour vivre pleinement ma religion en terre d’Islam et joindre la nécessité de quitter la France à la bonne action d’aider le peuple syrien. C’était un projet que j’avais depuis un moment. Donc oui, je m’y intéressais.
Vous êtes allée en Syrie rejoindre le groupe d’Oumar Omsen. Comment s’est passé le voyage ? Avez rencontré des problèmes sur le chemin ? La traversée entre la Syrie et la Turquie s’est passée comment ?
C’est toujours particulier de quitter les personnes que l’on aime. Je ne sais pas si ma mère et mes frères ont compris ma démarche car ils ne sont pas de vrais musulmans. Je prie Allah chaque jour pour qu’Il les aide à trouver leur foi et la vérité.
Je suis partie le 9 octobre 2016, il y a des dates qu’on oublie pas. J’étais seule avec une petite valise pour éviter l’attente aux guichets d’enregistrement et par facilité. De toute façon je savais que tout me serait fourni sur place et je ne voulais rien garder de ma vie d’avant. J’ai pris l’avion de Paris jusqu’à Francfort puis le lendemain de Francfort jusqu’à Istanbul. La consigne était d’acheter un aller-retour Paris-Francfort et un aller-simple Francfort-Istanbul, en commandant les billets un jour différent. Ensuite j’ai pris un bus de nuit d’Istanbul jusqu’à Reyhanli, ville à la frontière de la Syrie. A l’aéroport j’avais des consignes très strictes, il n’était pas question de rater le bus. Lorsque j’ai pris mon premier avion, j’ai dû jeter mon téléphone portable et le changer pour ne pas être repérée. Je n’avais que le numéro du frère à contacter.
Une fois à Reyhanli, un frère du groupe m’attendait. Il a fouillé mes affaires. J’ai dû changer mes vêtements et on m’a donné des faux papiers pour passer la frontière. Le frère avait des trucs à récupérer dans la ville. On a attendu la nuit pour qu’une camionnette genre pick-up vienne nous chercher. D’autres personnes étaient déjà à l’intérieur. Je ne sais pas qui ils étaient. Je n’ai pas posé de question, de toutes façons je ne parlais pas arabe, je suppose que c’était la procédure habituelle. L’ambiance était lourde et bizarre. J’étais fatiguée de mon voyage et complètement déboussolée, j’avais juste hâte que ça se termine. Malgré mon stress et la fatigue, j’ai pu passer la frontière sans problème particulier.
Une fois en Syrie, comment avez vous été accueillie par Omar Omsen et les siens ?
J’étais heureuse d’avoir rejoint mon mari et d’être enfin arrivé en terre d’Islam. J’étais aussi soulagée que le voyage se soit bien passé. La pression retombait. J’ai été très bien accueillie. J’étais heureuse de rencontrer Kamal qui m’a directement prise dans ses bras. Omar était également présent. La sœur avec qui je discutais m’a aussi bien accueillie.
Avez vous eu le sentiment d’avoir rejoint des “frères et soeurs” qui combattent dans “le chantier d’Allah” ?
J’avais l’impression d’avoir rejoint une famille, avec la même foi, les mêmes valeurs que moi, ce que je n’avais plus en France. Tous ceux que je croisais étaient très enthousiastes, volontaires, une vraie énergie se dégageait de ce petit groupe. Oui, une famille. Juste avant de partir, comme un signe d’Allah, j’avais vu un documentaire sur la vie sur place avec Omar. Tout était beau, ils ne manquaient de rien, la nourriture était la même qu’en France même si une fois sur place c’était compliqué d’avoir tout ce qu’on voulait. Pour moi ça relativisait le saut dans l’inconnu.
Comment était appliquée la charia dans votre campement ? Avez vous assisté à des séances d’application de la charia ?
Plus que des séances « d’application », j’ai assisté à des séances d’enseignement de la charia. Tout était prévu pour les convertis ou non. J’avais déjà quelques connaissance de l’Islam, ce qui n’était pas le cas de toutes les sœurs que je côtoyais durant ces cours. Nous nous entraidions mutuellement, ces moments nous ont également permis de mieux nous connaître. De manière générale, la charia n’était pas appliqué comme je l’aurais imaginé, là-bas c’est un peu les hippies de l’Islam !
Bien que les femmes non mariées ne vivent pas avec les hommes mais plutôt dans une mafada, j’avais une vision carrément plus rigoureuse de la religion qu’eux, ça m’a un peu déstabilisée, moi qui cherchait justement une application stricte… La seule chose qui était vraiment appliquée c’était les prières et le voile intégral pour les femmes.
Omar Omsen est il ce qu’il prétend etre? Est il un connaisseur de l’Islam ?
Il passe pour être un connaisseur aux yeux de personnes qui sont débutantes, très peu instruite. C’est donc très facile pour lui de nous convaincre que ce qu’il dit est la vérité concernant l’Islam. Il y a ensuite une différence entre connaître sa religion et l’appliquer à la lettre. Il ne parle même pas arabe ou très très peu, alors que c’est quand même le minimum pour bien comprendre le Coran et l’appliquer sans interprétations ! Un soir par semaine c’est même lui qui nous faisait les cours de religion ! Et même s’il ne nous donnait pas les cours tout le temps, il ne perdait pas une occasion de nous « enseigner », de partager sa vision de l’Islam et ses connaissances. Forcément avec tout ça, on se dit qu’il connait beaucoup de choses ! Son comportement est pourtant bien éloigné de tout ce qu’il nous enseignait. Ses femmes officielles ne lui suffisent pas, c’est un vrai obsédé. Et avec son emprise il arrive à ses fins malheureusement.
Après il se dit chef de guerre alors qu’il ne combat pas. Des armes il en a pourtant mais je ne l’ai jamais vu avec en train de partir au front ! C’est juste pour l’image, pour inspirer le respect à ses hommes. Sinon à force je pense qu’il aurait du mal à être suivi.
Comment sont traitées les femmes dans son groupe ?
Les filles là bas n’ont pas le droit de combattre, je pense que ce serais dangereux pour lui, avec ce qu’il leur fait subir, de les entraîner à tenir une arme. Alors on s’occupe, on fait la cuisine, les tâches du quotidien, on apprend l’arabe, on contribue aux travaux de l’équipe médiatique.
On se retrouvait aussi pour les prières et les cours. Je sais juste que certaines sœurs mariées et non mariées ont subi de la part d’Omar Omsen la même chose que moi, elles se sont confiées à demi-mot. Mais si elles ont elles aussi été abusées, c’est parce que leurs maris respectifs étaient complices, il n’y a pas d’autre solution. Sous l’emprise d’Omar, aucun n’a empêché les choses de se faire ! Les hommes du groupe c’est des enfants, des gamins ! Eux ils sont là pour faire la guerre, ils imaginent mourir en martyrs et se battre pour une cause noble. Mais en dehors de ça, ils ont tous 12 ans dans leur tête, aucun ne se rend compte de ce que l’on subit vraiment.
Vous accordait il une attention particulière vu qu’il vous a convaincue à rejoindre son groupe ?
Il a convaincu chacune d’entre nous de venir le rejoindre. Pour lui je n’étais donc qu’une femme de plus dans son groupe, pas celle que j’imaginais, sa protégée. Je l’ai compris plus tard. L’attention qu’il m’a par la suite portée n’était rien de plus que celle d’un charognard qui n’attendait que de se retrouver seul avec moi.
Je ne considère pas comme une « attention », un cadeau, le fait qu’il ait abusé de moi, je suis loin de me sentir privilégiée de ce qui m’est arrivé.
Vous vous êtes enfui. Pour quelle raison ?
Seriez-vous resté dans un endroit dans lequel vous étiez en danger, humilié, violé ? Je n’ai obtenu aucun soutien de la part du seul homme qui aurait pu me défendre, je dois ma vie à Allah qui m’a aidé à fuir. Quand j’ai compris que j’étais enceinte, je n’ai pas vu d’autre solution que celle de tout quitter. Là-bas seules les femmes m’ont aidée. Elles subissaient les mêmes pressions quotidiennes mais beaucoup se sentaient trop faibles pour tenter de fuir. La peur passait avant l’espoir de s’en sortir je pense. Je ne sais pas ce qu’elles sont devenues. Je me suis dit que si j’arrivais à quitter la Syrie, je pourrais peut être les en sortir aussi.
Comment avez réussi à tromper la vigilance d’Omar Omsen et celle de ses hommes ?
Tous les hommes étaient sur le terrain, certains travaillaient sur les différents chantiers des futures maisons du groupe, d’autres s’entrainaient. Quand je me retrouvais seule, j’étais sensée rejoindre les autres femmes pour les cours. Ce jour-là je n’y suis jamais arrivée. J’ai couru droit devant moi en direction de la Turquie. J’ai été aidé par une sœur qui m’a permis de m’enfuir. Je ne la citerai pas. De là où nous étions, les jours de beau temps on apercevait la frontière, mon mari m’avait plusieurs fois montré ces collines rocailleuses qui nous séparaient de la Turquie. Sur le moment, avec l’adrénaline je n’ai pas pensé à me cacher plus que ça, je voulais m’éloigner au plus vite tant que tout le monde était occupé. J’ai pu rejoindre un groupe de réfugiés sur la route qui fuyaient eux aussi. Nous avons mis 4 jours à rejoindre à pieds la Turquie.
Croyez vous qu’il est à votre recherche ? Si oui, pourquoi il en aurait après vous ?
Bien sûr qu’il me recherche ! Sa réputation est en jeu, celle de son groupe et donc sa crédibilité auprès de leurs alliés. Son image d’homme pieux est un atout pour recruter toujours plus de combattants et de femmes. Mon mari doit aussi me chercher et doit en avoir après moi. Je ne lui ai plus parlé depuis le jour où je suis partie. Et je ne m’attire pas non plus la sympathie de toutes les personnes qui sont sous son emprise, qu’elles soient au Sham ou ailleurs dans le monde, en relation avec lui sur Internet. Nombreux d’entre eux se feraient un plaisir de dire où je suis rien que pour avoir un peu de valeur aux yeux d’Omar.
Vous n’êtes pas sans savoir qu’Omar est d’origine sénégalaise. Parlait il de son pays d’origine de temps ?
Son pays c’est le Sham. Il n’évoquait jamais la France ou le Sénégal comme étant son (ou ses) pays d’appartenance, pour lui c’était les pays de kuffars (non-croyants) qu’il avait quitté. Quand il parlait des bienfaits du Sham et de la vie en Syrie, il donnait toujours en mauvais exemple ce qu’il était obligé de faire avant en France pour respecter les lois. Jamais je ne l’ai entendu regretter d’avoir quitté ces pays ou en dire du bien d’une quelconque façon. Pour lui en France ou au Sénégal, et partout où sa religion était « brimée », c’était que des contraintes.
Avez vous remarqué la présence d’autres Sénégalais dans son groupe ?
Il y avait d’autres combattants d’origine africaine, oui. C’était les membres de sa famille (ses fils et son cousin). Il y avait des magrébins mais aussi des turques. Mais je ne sais pas précisément de quel pays ils provenait. Tous parlaient français. Peut-être que depuis mon départ d’autres sont arrivés. Ça ne m’étonnerait pas que des Sénégalais en fasse partie, se soient sentis inspirés parce qu’il était aussi sénégalais. Mais il ne jouait pas trop là-dessus.
A votre avis, quelle menace peut il représenter pour aussi bien la France qu’un pays comme le Sénégal où il est passé pour aller en Syrie ?
La menace c’est plutôt pour les filles sur place ! Je ne suis pas contre la hijra et la constitution d’une Oummah unie et solidaire, que les choses soient claires !
Apparement, vos croyances sont restées intactes malgré ce que vous avez subi chez Omar. Vous militez toujours pour un Islam radical ?
Oui bien sûr que mes croyances sont restées intacte! Malgré ce que j’ai subis, j’ai complètement désolidarisé ma religion de cet homme qui l’a utilisée pour m’attirer à lui. Comme il le fait encore avec tant d’autres. L’Islam « radical » comme vous dites n’a rien à voir avec mon viol et m’a même sauvé. C’est ma foi qui me donne courage chaque jour pour surmonter ce qui m’arrive. Par contre je milite pour que ces atrocités n’arrivent pas à d’autres filles qui souhaiterait faire leur hijra.
Vos croyances sont restées intactes. C’est-à-dire que vous êtes prête à adhérer à un groupe, fut il djihadiste, qui prêche l’Islam que vous défendez ?
Je ne suis pas repentie, je ne veux que vivre ma foi dans la tranquillité entourée de gens qui partagent la même vision des choses.
Actuellement, vous vous trouvez dans quel pays ?
Je suis au Maghreb, je ne vous dirais pas où précisément pour des raisons de sécurité.