Lénine avait bien raison de dire, en substance, que la politique tient plus de l’algèbre que de l’arithmétique. Très souvent, les coups les plus fignolés et les manœuvres les plus peaufinées produisent les effets politiques ou électoraux les plus contrairement attendus. En criblant Idrissa Seck de coups et de tous les coups – coups directs, coups obliques, coups fourrés et sales coups – les responsables de l’Alliance Pour la République (APR) et certains ministres de la République arbitrent, avant l’heure et en faveur du Président de REWMI, les primaires à l’intérieur de l’opposition bigarrée, bariolée et composite. Un coup de pouce inattendu – toujours les coups – qui arrive du côté le moins attendu. Le tour est ainsi joué et joliment joué. Idrissa Seck, opposant parmi une pléthore d’opposants, s’est installé confortablement dans un durable et exclusif tête-à-tête avec le Président-candidat Macky Sall.
La vocation de la majorité n’est évidemment pas d’offrir une corbeille de cadeaux aux opposants. C’est plutôt Idrissa Seck qui a l’art et l’habileté de déstabiliser psychologiquement Macky Sall et ses lieutenants puis de canaliser sur sa personne, les foudres du Palais et de ses dépendances : gouvernement et APR. En gardant le monopole de l’initiative (attaques soudaines) et en laissant à à ceux d’en face, l’apanage de la riposte (réactions trainantes voire tardives), le candidat Idrissa Seck désarçonne les amis du Président Sall et les pousse à l’erreur et à l’excès. L’erreur qui se paie cher en politique ; et l’excès qui discrédite auprès de l’opinion publique. Bref, l’ancien maire de Thiès tisse stratégiquement sa toile, avec un clin d’œil calculé en direction du PDS dépourvu de candidat d’envergure et via une offensive de charme clairement orientée vers la dissidence socialiste doublement décapitée par la justice (Khalifa Sall emprisonné) et par la trahison de Bamba Fall, le maire de la Médina, devenu un enthousiaste thuriféraire du régime de Macky Sall.
En vérité, les maladresses de la majorité sont les meilleures alliées de l’orateur le plus pugnace (je ne dis pas le fort) sur l’échiquier politique : Idrissa Seck. Par ailleurs, le Président Macky Sall est un géologue. Il n’a pas fait l’Ecole de Guerre, sinon il aurait compris que la défensive tue les armées, tandis que l’offensive les vivifie. Le chef de l’APR, ses cadres et ses porte-paroles sont, en effet, aux prises avec un défi de communication tous azimuts et une épreuve de bataille d’opinion que le candidat Idrissa Seck leur impose suivant une cadence, un agenda et des canevas que lui seul fixe. La contre-stratégie requiert une hardiesse et une finesse qui adaptent et irriguent toutes les initiatives et, surtout, tous les discours vite dégagés des thèmes et termes rabâchés. Par exemple, le grand meeting des HLM, marqué par la présence des ténors de l’APR comme Moustapha Diop, Racine Sy et Mme Ndèye Sally Diop Dieng, a dépassé la contre-offensive habituelle, pour embrayer sur une animation politique visiblement préparatoire à la grande échéance de 2019. Même si Cheikh Tidiane Mbaye a eu du mal à se hisser politiquement à la hauteur de son propre rassemblement, le Patriarche Mansour Mbaye et le percutant Farba Ngom ont spectaculairement frappé les esprits.
Telle est donc la conjoncture qui enfièvre la scène politique, elle-même, enfiévrée par la perspective électorale de 2019. Puisque la fièvre sans arrêt casse le thermomètre, bonjour la nuée de projectiles qui cherchent la tête, le buste et les jambes de l’homme à abattre : le flingueur ou le démolisseur Idrissa Seck ! A cet effet, on ne lésine pas sur les moyens qui sont effectivement à la mesure des emmerdements pré-électoraux que crée Idrissa Seck. La mobilisation est totale dans le camp présidentiel et ses excroissances. Les charges sont de plus en plus vigoureuses voire inouïes. Le papier du journaliste Madiambal Diagne sur le fameux « Protocole de Rebeuss » et le discours de Talla Sylla sur les « Chantiers de Thiès » sont deux coups de cornes dignes de deux buffles en affrontement dans la savane. Si l’actuel maire de Thiès a prononcé un discours fortement mais abstraitement accusateur, le fondateur du journal « Le Quotidien » a mis à la disposition des lecteurs et des magistrats du pays, des éléments constitutifs de chefs d’accusation suffisamment accablants et réellement privatifs de liberté pour Idrissa Seck.
Avec une certitude courageusement portée en bandoulière et par une écriture vive et limpide (purgée de tout conditionnel et de toute hésitation) Madiambal Diagne nous apprend qu’il détient par-devers lui : « toutes les commissions rogatoires des comptes bancaires d’Idrissa Seck et de son épouse ». Le journaliste célèbre et coriace attend uniquement le feu vert du Président de REWMI, pour tout divulguer, c’est-à-dire publier les relevés des comptes bancaires qui regorgent d’argent volé. Première question : pourquoi le ministère public reste amorphe devant le candidat agressif Idrissa Seck qui « a pillé et nargué les contribuables », (je cite un pan de l’article) alors que les preuves signalées par Madiambal Diagne et les présumés aveux radiophoniques sont à portée de main ? Deuxième interrogation : est-ce un chantage au silence immédiat et/ou à la capitulation électorale ? Jamais deux sans trois : n’est-ce pas une aubaine pour neutraliser Idrissa Seck qui, par sa dialectique aiguisée, fermente les frustrations à l’échelle du pays et, surtout, planifie une stratégie qui contraindra Macky Sall à aller au second tour ? Mais peut-on coffrer le receleur ou le sous-voleur Idrissa Seck et laisser à l’air libre, le suprême voleur Abdoulaye Wade qui était le destinataire officiel et légal des fonds politiques votés par l’Assemblée nationale ? Or, emprisonner Abdoulaye Wade (après Khalifa Sall) est la dernière des folies à commettre, à un an de l’élection présidentielle. Telle est la quadrature du cercle qui protège l’emmerdeur Idrissa Seck !
Le futur immédiat édifiera incessamment les observateurs. Pour l’heure, le constat est éloquent et frappant. Après la traque des biens mal acquis qui a expédié Karim Wade aux antipodes (Golfe Arabe ou Persique) puis contraint à la transhumance docile, plusieurs ex-clients de la CREI, la démocratie sénégalaise ressemble de plus en plus au fameux festin de Damoclès : le glaive de la justice plane toujours et s’abat sporadiquement et sélectivement sur les têtes. En fait, l’épée de Damoclès trie les candidatures, afin que le candidat de l’APR et de Benno Bokk Yakaar triomphe en 2019. Ainsi, on inaugure la forme la plus exécrable de la politique. Son degré zéro. Celle où les opposants notoires et les acteurs avides d’autonomie de pensée ou d’action sont coincés entre le glaive de la justice qui déchiquète les droits civiques, le chantage sordide qui brandit les scandales débusqués et les représailles qui paniquent les démocrates les plus motivés.
Certes la politique est impitoyable – avec son lot de machinations – mais la démocratie qui la tempère, exige deux hautes qualités. A la limite, deux grandes vertus qui sont autant de grandes valeurs : la sincérité et, précisément, la grandeur. Grand Seigneur, le Général De Gaulle a rabroué et congédié de son bureau, le ministre de l’Intérieur, Roger Frey, qui a voulu déterrer l’Affaire de l’Observatoire (un faux attentat de 1959) pour coincer François Mitterrand, arrivé au second tour de la présidentielle française de 1965, dans un contexte de ballotage périlleux pour le Président de la république. Quatre ans plus tard, en 1969, le même Charles de Gaulle a refusé de suivre son ministre de la Justice, René Capitant, désireux d’enfoncer Georges Pompidou dans le marécage de l’Affaire Marcovic, du nom d’un garde du corps (d’origine yougoslave de l’acteur Alain Delon) qui a été assassiné, après un diner partagé avec Madame Pompidou et le banquier Rothschild. L’exploitation judiciaire de ce meurtre ténébreux d’un personnage proche de la pègre aurait modifié le destin de Georges Pompidou, dauphin, alors en disgrâce, du chef de l’Etat français. Moralité : un homme politique imbu de démocratie ne précipite jamais ses adversaires dans un fleuve de boue ou dans un cachot. Même si l’opportunité lui est offerte. Toutefois, nul n’est au-dessus de la loi : opposant célèbre comme gouvernant débutant.
(Par Babacar Justin Ndiaye)
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