La «tournée économique» du Président Macky Sall dans des régions bien ciblées, a quelque chose de médiocrement cocasse. En effet, si la Télévision nationale dépoussiérait ses archives, les nostalgiques des années Senghor et Diouf auraient été fort à leur aise. On aurait alors eu l’impression que ce sont exactement les mêmes Présidents, hier socialistes, aujourd’hui libéral, qui répètent les mêmes gestes, débitent le même discours adressé au même électorat. Et non aux laborieuses populations rurales dont les champs, en l’occurrence, n’auront servi que de cadre à cette gigantesque opération de communication abusivement baptisée «tournée économique».
De fait, dès les premières images de notre Télévision nationale, aujourd’hui si libérale, le décor est planté : même mise vestimentaire, mêmes prises de vue sur des champs à perte de vue… C’est au cœur de cet environnement bucolique que Macky Sall, «passionné d’agriculture ?», est filmé tâtant fébrilement épis de mil et graines d’arachide de ses mains délicates de Président : fier, presque plastronnant devant ces semences de «yokute» et les récoltes électorales qu’il en espère. Les images sont idylliques, les intentions propagandistes évidentes jusqu’à la banalité.
Dans cette logique, inaugurant ici une infrastructure, posant là la première pierre d’une autre, les discours du Président lors de cette tournée économique ont pour dénominateur commun, leur tonalité résolument politique et électoraliste, ouvertement polémique. Le tout, selon un plan de communication centré sur la force de séduction plastique des images de télévision. Discours d’autoglorification, mais aussi de formulation de nouvelles promesses, dont l’effet escompté est de susciter chez les populations, la satisfaction de tenir en notre Président un homme qui tient ses promesses, honore ses engagements et respecte sa parole.
Raison suffisante, le cas échéant, pour lui accorder un deuxième mandat, pour de nouvelles retrouvailles de ce genre. A la fin des fins, on a l’impression que c’est la même âme politique qui habite et agite les corps de nos Présidents. Et leur insuffle la même conception du pouvoir, fin et finalité de toutes leurs actions, les mêmes stratégies pour s’y maintenir, la même volonté de «réduire l’opposition à sa plus simple expression». En vérité, le corps social, cadre d’expression de la démocratie, est constamment en proie aux mêmes pathologies que le corps humain.
De ce point de vue, les alternances de 2000 et 2012 sont incontestablement une attestation de vigueur et de vitalité de notre système démocratique. Mais elles n’auront pas été une thérapie suffisamment efficace pour guérir nos gouvernants de la maladie du pouvoir. Si bien que d’une alternance à une autre, nous sommes souvent victimes de ces rechutes dont parle La Rochefoucauld : «Il y a des rechutes dans les maladies de l’âme comme dans celles du corps (social). Ce que nous prenons pour guérison n’est souvent qu’un relâchement ou un changement de mal.»
C’est ainsi que lors de cette «tournée économique», véritable parade politico-médiatique, les représentants locaux de l’Etat ont été littéralement éclipsés par le personnel politique des régions concernées. Et dans cette atmosphère carnavalesque, le Président Sall s’est présenté comme le bâtisseur solitaire et exclusif de notre démocratie, notre Etat de droit : «C’est la première fois que la question de la transparence a atteint son niveau actuel (…). C’est sous mon magistère que le Sénégal a adhéré, pour la première fois, à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie). (…) C’est une grande première.
Il faut s’en féliciter.» Ainsi parle le Président Sall en 2016, à la suite du Président Wade qui en 2012, s’imaginait que de tous les Sénégalais qui l’avaient démocratiquement élu en 2000 et réélu en 2007, seul son fils était digne de lui succéder à la tête de l’Etat. Finalement, les seuls vrais démocrates de notre démocratie sont les citoyens électeurs. D’élection à une autre, ils font leur devoir et gardent espoir. En attendant la prochaine, sans jamais être dupes… Entre devoir et espoir…