Début mai, un éditeur de manuels scolaires chinois (Presse de l’Éducation Populaire) était soupçonné sur un blog d’« idolâtrer » la culture occidentale. Depuis, des millions d’exemplaires des manuels scolaires ont été retirés sur ordre des autorités du pays. « Qui est qualifié pour juger la connaissance ? », demandait il y a quelque temps un ancien employé de la maison, Wen Lisan, coupable d’avoir rédigé certains articles incriminés. À cette question, le gouvernement chinois pense pouvoir apporter sa réponse.
En Chine, les autorités ont une définition bien particulière de la pensée réactionnaire. L’ancien employé de la maison Presse de l’Éducation Populaire — dont on sait désormais qu’il s’appelle Wen Lisan — s’est fait connaître pour ses positions antigouvernementales. D’où l’accusation de véhiculer une idéologie réactionnaire dans les manuels scolaires dans lesquels il apportait sa contribution. Les autorités ont ainsi exigé le retrait de millions de manuels d’écoles primaires et collèges qui pourraient contenir de tels passages.
Chasse aux coupables
Dans une notification du 23 juin transmise par le Groupe Médias et Publications de Zhongnan, on peut lire : « Selon les exigences du ministère de l’Education[…], la liste des noms des rédacteurs dans une partie du matériel éducatif doit subir d’importantes révisions. » Avant de nommer le responsable : « Le nom de Wen Lisan sera supprimé de la liste des rédacteurs. » Qualifié d’« élément anti-Parti, anti-Chine et radicalement pro-occidental » ayant « posté de nombreux éléments réactionnaires », le rédacteur est placé sur liste rouge puisque la notification aurait été envoyée à Xinhua (grande chaîne de librairies de la région de Hunan) et postée sur les réseaux sociaux.
La station de radio RFI Chinese rapporte que le ministère de l’Éducation aurait par la suite engagé une « inspection approfondie et minutieuse » de l’ensemble des manuels scolaires et des publications sur l’éducation. L’enquête devait fournir des résultats le 14 juillet. Jusqu’à cette date, aucun manuel n’a été distribué ou imprimé.
Depuis, le ministère a donc signifié qu’à l’automne, les manuels chinois de la série « Ywen » ne seront plus autorisés à la circulation et les exemplaires en stock seront détruits. Cette décision a un coût : des millions de yuans (l’équivalent de dizaines de millions d’euros), estiment des sources internes de l’industrie de l’édition chinoise.
Accusés d’idolâtrer la culture occidentale
L’attention s’est particulièrement portée sur les écrits de Wen Lisan. Des défenseurs du Parti ont trouvé un éloge de Yang jiang, la traductrice, auteure et dramaturge Chinoise, témoin de la Révolution culturelle, décédée ce 25 mai 2016. Il s’était alors laissé aller à une critique du Parti Communsite Chinois, qu’il désignait sous le nom de « bandits communistes ». Mal lui en a pris. Selon la station de radio RFI Chinese, il se serait alors définitivement attiré les foudres des loyalistes du Parti. Les médias communistes chinois se sont alors empressés de le traiter de « pro-USA », « pro-Japon » et « anti-Chine ». Wu Bin, un néo-maoïste très actif dans les réseaux sociaux, l’accuse de « ridiculiser l’image des dirigeants et des héros révolutionnaires ».
Wen Lisan avait partagé son opinion sur des sujets tels que le massacre des étudiants pro-démocratie le 4 juin 1989. Il écrivait : « L’ancien régime pourrait bien être l’Enfer sur Terre [référence aux Nationalistes qui gouvernaient le pays avant que le Parti Communiste chinois ne s’empare du pouvoir dans la guerre civile de 1949, NdR]. Mais qui aurait pu prédire que le nouveau régime saurait être pire que l’Enfer ? » Postées sur le réseau Sina Weibo, toutes les réflexions politiques de ce type ont été réutilisées par les défenseurs du gouvernement chinois.
« Ils donnent l’ordre de détruire des centaines de millions de manuels à cause de remarques faites par leur ancien employé. Au cours de ces nombreuses années vécues sous l’idéologie chinoise, je ne pense pas avoir vu quelque chose de plus risible », se désole Yedu, un écrivain basé à Guangzhou.
Le débat avait été lancé par un article posté le 20 avril sur un site chinois. Dans l’article, un internaute dénonçait les réadacteurs et la maison d’édition dans laquelle travaille Wen Lisan. Les manuels scolaires que la maison publie véhiculaient, selon lui, un culte des cultures etrangeres et une pensee antipatriotique.
Les manuels édités par la maison contenaient une leçon sur l’amitié avec des personnages aux noms russes, une histoire sur l’honnêteté avec des personnages japonais, deux références à Leonard de Vinci puis Lénine, mais aussi, dernier outrage, l’histoire d’un Chinois paresseux et égoïste. L’éditeur s’était défendu en rappelant que « choisir des textes avec des éléments étrangers tend à ouvrir aux élèves de nouveaux horizons, à cultiver leur esprit scientifique ». Profondément réactionnaire.