Parmi tous les gens à plaindre, n’oublions pas le pauvre troupeau lycéen qui va bientôt devoir noircir des copies, parqué dans divers hangars à examens, pour l’épreuve philosophique inaugurale du baccalauréat. L’Education nationale, la Grande Sadique, leur soumettra des sujets comme «Peut-on connaître autrui?», «La science cherche-t-elle la vérité?», «Le bonheur est-il un droit?», ces aspirants bacheliers n’en sauront rien, personne n’en a jamais rien su, mais ils devront bien répondre à ces questions insensées.
Pendant quelques jours, ils enchaîneront les heures de composition, sur des sujets divers qu’ils s’empresseront ensuite d’oublier. Puis ils attendront les résultats, nerveux, exposés à l’inquiétude démente de leurs parents. Pour leur remonter le moral, nous leur proposons les exemples édifiants de grands écrivains, parfois devenus fournisseurs officiels de textes à commenter, qui n’ont pas obtenu leur diplôme et qui s’en sont très bien portés.
Elève Malraux: trop orgueilleux !
On sait qu’André Malraux n’a pas aimé son enfance. Il l’a répété partout. On pourrait dire qu’il aimait ne pas avoir aimé son enfance. Il a grandi dans une épicerie, élevé par sa maman Berthe au milieu des patates et des navets. Il trouvait que cet univers petit-bourgeois manquait de classe. S’il avait eu la chance de le connaître, il aurait sans doute préféré naître riche comme BHL, qui aurait voulu être Malraux, comme quoi rien n’est simple.
Malraux n’est pas un mauvais lycéen. Pas un excellent non plus. Il fréquente un bahut rue de Turbigo. Pour préparer son bac, il tente d’entrer à Condorcet, en 1918. Mais le prestigieux lycée refuse de l’accueillir. On ne sait pas pourquoi. Plutôt que de s’inscrire ailleurs, il se cabre, orgueilleux. La blessure est profonde: il décide d’abandonner ses études. Lui qui revendiquait des ambitions de peintre, il n’en profite même pas pour peindre. Il déniche des livres rares pour le compte de René-Louis Doyon. Trois ans plus tard, il publiera «Lunes en papier», écrira dans la N.R.F., avant de partir en Indochine pour piller des temples khmers, d’en tirer un livre à succès, de faire quelques guerres et de devenir ministre. Et voilà le travail.
Elève Guitry: ingérable, exclusion recommandée
On ne peut pas dire de l’élève Guitry qu’il était mauvais: il n’est jamais resté suffisamment longtemps dans un lycée pour le démontrer. Il aura été renvoyé onze fois au cours de sa scolarité. Il faut avouer qu’il n’a pas eu de chance. Viré d’un collège d’Arcueil, il se retrouve dans un institut dirigé par un Allemand alcoolique qui erre, la nuit, en robe de chambre, dans la cour, en meuglant des insanités germaniques.
Quelques années plus tard, il échoue dans un établissement de Passy tenu par un héritier indolent qui, après avoir dilapidé l’argent de sa lignée, licencie le personnel éducatif qu’il ne peut plus payer, laissant les élèves – dont Guitry qui n’en demandait pas tant – s’autogouverner par la nouba pendant des mois (ils finançaient leur surboum apocalyptique avec les frais de scolarité que leurs parents continuaient à envoyer, sans savoir qu’il n’y avait plus personne pour les récupérer à part leurs garnements).
Dans une autre école, il met le feu. Ailleurs, il ne reste que 48 heures. Le surveillant général d’un ultime établissement convoque son père et lui dit: «J’aimerais renvoyer votre fils, mais je ne peux pas: il ne vient plus.» Ses biographes, lorsqu’ils mentionnent qu’il n’a pas eu son bac, ne précisent même pas s’il l’a passé. Ca n’a pas d’importance. Guitry a haï l’école. Repensant à Janson-de-Sailly, dont il fut l’éphémère pensionnaire, il demanda: «Comment se fait-il que les lycées aient l’air d’être des prisons ? (…) On devrait punir les architectes qui construisent de pareilles horreurs.» Tel autre lycée de Chambéry, il le compara à une «colonie pénitentiaire pour enfants».
Pour les cinquante ans du dramaturge, Janson-de-Sailly organise un banquet. Dans le discours que Guitry prononce, il relève un paradoxe: l’excellent élève, devenu célèbre, a droit aux honneurs d’un seul lycée, tandis que lui, qui a cumulé les exclusions, peut prétendre à une douzaine de pince-fesses.
Elève Cocteau: affreusement dissipé
Le petit Jean Cocteau est un enfant heureux. Il est avide de lecture, il a l’esprit vif. Mais il a neuf ans quand son père se tire une balle dans le crâne. Cocteau, plus tard, émettra l’hypothèse qu’il était secrètement homosexuel. Toujours est-il qu’il se retrouve seul avec une mère de plus en plus poule.
Après une longue période passée à la maison, il reprend le chemin de l’école, à contrecœur. Ses résultats virent au piètre. A Condorcet, il fait la connaissance du néfaste et fascinant Pierre Dargelos, cancre sublime qui l’initie aux plaisirs de la désobéissance et qui deviendra le héros des «Enfants terribles». En 1904, Cocteau est exclu.
Il entre à Fénelon. Son bac approche. Il est toujours aussi nul, ça ne semble pas l’inquiéter. Il préfère passer des nuits enfumées à l’Eldorado où, selon la légende, Mistinguett le dépucèle. Surtout, il rencontre Jeanne Reynette, qui porte des jupes bien courtes et dont les cuisses laiteuses le rendent fou. En mai-juin 1906, il fait beau, ils folâtrent. Cocteau montre peu de goût pour les révisions. Les joies de la chair ne sont pas au programme. Sexe, coefficient zéro. L’épreuve arrive. Il tente bien de limiter les dégâts. Mais les résultats tombent, implacables: mention «lamentable».
Elève Zola: que s’est-il passé?
Zola y tenait, à son bac. Il avait des ambitions de bon élève. En sixième, décidé à devenir homme de lettres, il avait entamé un premier roman sur les Croisades, qu’il avait fait lire à son camarade Cézanne. Mais on connaît l’histoire de son père, l’ingénieur qui a amené l’eau potable à Aix-en-Provence, mort subitement et dépouillé post-mortem par ses créanciers. Zola avait sept ans.
Sa pauvre mère, la sainte Emilie, tombée dans le dénuement le plus complet, compte alors sur son fils. Elle le voit devenir avocat. Zola ne projette pas forcément de la satisfaire sur ce point, mais il est un fils aimant.
Elève au lycée Saint-Louis, il se dirige vers le baccalauréat ès sciences. Les hasards de la misère lui ont fait manquer deux mois de cours en début d’année. L’été venu, il réussit l’écrit. Mais ses épreuves orales sont catastrophiques. On raconte qu’il y confond, sans doute par nervosité, Charlemagne et Saint-Louis. Aurait-il obtenu son diplôme s’il avait été élève au lycée Charlemagne?
L’année suivante, il le repasse. On ose espérer qu’il ne s’est pas trop entraîné pour les épreuves orales: cette fois, il échoue directement à l’écrit. Le jeune homme est effondré. Il a déçu sa mère. Il va devoir dégotter un travail sans aucune qualification. La Douane l’embauche comme employé aux écritures. Ce n’est pas l’écriture dont il rêvait. Il devient ensuite attaché de presse chez Hachette. Puis il devient Zola.
Elève Apollinaire: quel dommage !
Wilhelm Albert Wlodzimierz Apolinary de Kostrowicki, patronyme complexe qu’on simplifie en «Guillaume Apollinaire», est un autre cas d’échec mystérieux au baccalauréat. Tout au plus peut-on remarquer que son enfance et son adolescence ont été mouvementées, sous l’influence de sa mère, la fantasque Angélika, aristocrate déchue, accro aux jeux de hasard, qui va logiquement s’installer à Monaco. La police l’intègre à ses fichiers dans la catégorie des «femmes galantes». Dans les casinos, elle se fait appeler Olga, prénom qui encore aujourd’hui fait rêver les michetons de la Riviera.
Elle ne néglige pas pour autant l’éducation de ses deux garçons, envoyés au lycée Stanislas à Cannes, puis Masséna à Nice. On sait que le jeune «Gugliemo» lit abondamment. L’encyclopédie Larousse nous explique qu’il «fait des études brillantes». Pourtant, en 1897, il échoue au bac. Que s’est-il passé? Impossible de le savoir.
Errant, quittant ses hôtels sans régler la note (sur les conseils de sa mère), il est réduit, après avoir été nègre pour un avocat et tenté de devenir journaliste, à trouver un emploi dans la banque, en attendant de se faire une place dans le milieu littéraire. Aujourd’hui, on trouve un lycée Apollinaire à Nice, dans lequel des gens passent le bac, et l’obtiennent parfois, preuve que les traditions se perdent.
Elève Giono: ne s’est pas présenté à l’examen
Fils d’un cordonnier et d’une repasseuse de linge, Jean Giono effectue sa scolarité au collège de Manosque, un des rares établissements totalement gratuits de France. C’est un élève moyen. Autant dire que son bac, il aurait pu l’avoir. Mais il met fin à ses études un an avant le passer. C’est pour se faire embaucher, à 16 ans, en qualité de commis dans une banque fréquentée par la bourgeoisie provençale: son père vient d’avoir une attaque, la famille n’a plus un rond.
Cela nourrira-t-il sa fierté prolétarienne? Plus tard, marqué à vif par trois années de tranchées et devenu littérateur, Giono se dit «autodidacte», et «fier de l’être». Il est un poète du peuple. Il évoque volontiers sa jeunesse misérable. En 1929, Gide lui rend visite. Il ne voit chez lui aucun de ses livres. Il s’en étonne. L’auteur d’«Un roi sans divertissement» lui répond: «Je suis trop pauvre pour en acheter, ils coûtent cinq francs pièces.» C’est émouvant, mais c’est faux. Giono se présente comme un «petit employé de banque», alors qu’il est devenu une huile au Comptoir d’escompte de Manosque. Il voyage pour ses vacances, ce qui n’est pas à la portée de n’importe qui, il achète énormément de livres, dont une belle édition d’«Ulysse» de Victor Bérard à 150 francs (faites attention: les biographes savent tout), et des volumes onéreux de Walt Whitman.
On a mentionné Gide : exclu de la prestigieuse Ecole Alsacienne après avoir été surpris en train de se masturber, il mène une scolarité intermittente, assurée par des précepteurs aux compétences variables. Il accumule des années de retard, qu’il rattrapera en 18 mois. Il obtient son bac à 20 ans. Parents, ne désespérez jamais.