Célébration de la journée nationale dédiée aux enfants talibés : Le Sénégal face à l’équation de la mendicité

Ce mercredi 20 avril, sera célébrée la journée nationale dédiée aux enfants Talibés. La mendicité et la maltraitance, sans occulter les risques qu’ils encourent, seront encore passés au peigne fin. Pourtant le diagnostic était déjà établi et les pistes de solutions dégagées depuis plusieurs années. Mais l’application pose problème. Parents, maîtres coraniques, organismes des droits de l’homme, Etat, tous, sont au banc des accusés face à la vulnérabilité de cette frange jeune de la population, confronter à des questions de sécurité, voire de survie. Nonobstant la multiplicité des acteurs intervenant dans la lutte contre leur maltraitance, les enfants talibés continuent de «peupler» les artères des villes sénégalaises.

LUTTE CONTRE LA TRAITE DES ENFANTS TALIBES : Le Sénégal n’y arrive pas

L’incendie qui s’était déclaré dans un daara à la Médina, la nuit du dimanche 3 mars 2013, emportant 9 jeunes talibés, avait levé le coin du voile sur les conditions de vie des pensionnaires de certains daaras. Le chef de l’Etat, Macky Sall, s’était alors engagé à mettre fin à la pratique de la mendicité forcée des enfants et aux conditions de vie inhumaines dans certaines écoles coraniques. Se prononçant en effet sur ledit drame, le Président Sall avait annoncé que «des mesures très fortes seront prises pour mettre un terme à l’exploitation des enfants, sous prétexte qu’ils sont des talibés (élèves d’écoles coraniques)». Mieux, le Chef de l’Etat avait estimé que «ce drame va nous obliger à intervenir et à identifier partout où des sites comme celui-ci existent. Qu’ils soient fermés et que les enfants soient récupérés… ». Toutefois, cette forte volonté de prendre des mesures fortes semble prendre un coup de frein, confronté certainement à la difficulté d’interdire la mendicité au Sénégal.

Pourtant, le Sénégal a adopté le 10 mai 2005, la loi 2005-06 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection, comme une volonté politique de lutter contre la traite des personnes. Cette loi prend en charge les aspects relatifs à la traite des personnes et l’exploitation de la mendicité d’autrui. Mieux, cette dernière décennie, les différents régimes ont exprimé leur ferme volonté de mettre fin au phénomène des enfants de la rue, par l’adoption de lois dissuasives. En effet, trois jours après le drame survenu à la Médina, plus précisément le 6 mars 2013, le Premier ministre d’alors, Abdoul Mbaye avait martelé «qu’il y a des décisions qui ont été prises et on va vers l’interdiction totale de la mendicité des enfants dans les rues, car le Coran s’apprend dans un daara et non dans la rue».

Ainsi, en annonçant des mesures drastiques, Abdoul Mbaye avait réédité la chanson entonnée par son prédécesseur, Souleymane Ndéné Ndiaye, sur un phénomène qui survit aux générations d’hommes politiques, dont la détermination à éradiquer ce fléau s’est toujours confrontée à la réalité du terrain. A savoir, la pauvreté grandissante, les inégalités sociales et leur corollaire, les besoins de survie qui envoient la plupart des mendiants dans la rue, sans oublier l’absence de subventions par les pouvoirs publics des établissements privés d’enseignement de l’arabe et du Coran.

Cependant, force est de reconnaitre que quelques initiatives encourageantes de la part du gouvernement ont été constatées ces dernières années, notamment en matière de création d’un cadre juridique visant à réglementer les écoles coraniques.

Même s’il n’est pas parvenu à éradiquer la mendicité en 2015 comme prévu, le gouvernement a mis en place un plan d’action détaillé pour éliminer la mendicité des enfants, depuis février 2013. En décembre de la même année, l’Etat a validé une stratégie nationale de protection des enfants. A ce jour, un projet de loi pour la modernisation des daaras est dans le circuit de l’Assemblée nationale, attendant juste de lever les réticences de certains hommes religieux. Toutefois, dans l’attente de l’application des lois, des dizaines de milliers de garçons à travers le Sénégal continuent d’être soumis à la pratique de la mendicité forcée.

PEDOPHILIE, MALTRAITANCE, MALADIES DE LA PEAU, MEURTRE : Les Talibés, des proies faciles

Pieds nus, T-shirts échancrés, nez bourrés de crottes et visages enflés par le manque de sommeil, il est impossible de les rater, partout au niveau des artères de Dakar. Eux, ce sont les enfants Talibés, âgés le plus souvent entre 2 et 15 ans. Ces enfants, livrés à eux mêmes, sont tout le temps exposés à toutes sortes de risques et de dangers.

En effet, pas plus tard que le mois d’août dernier, un groupe de 5 Talibés, qui dormait à poings fermés dans une chambre de l’école coranique de Sérigne Bassirou Kane, au quartier Keur Saïb, à la sortie de Thiès, a reçu la visite de Moustapha Ngom. Muni d’une machette, le «forcené» a fait un véritable carnage en égorgeant le plus petit d’entre eux, en l’occurrence Pape Ndiaye, ainsi qu’en blessant grièvement 2 autres, Médoune Lo et Djiby Kassé. Au moment des faits, les jeunes Talibés âgés de moins de 8 ans, étaient livrés à eux mêmes, car le maître coranique et les talibés adultes, étaient absents du daara, pour assister aux chants religieux organisés à la mémoire de Chérif Abdourahmane Guèye.

Par ailleurs, et dans la même année 2015, un retraité français, Alain Leclech, domicilié à Grand Mbour, un quartier sis entre Mbour et Saly, a été interpellé par les gendarmes de Saly, pour pédophilie, viols sur mineurs et actes contre natures sur 4 jeunes talibés âgés entre 10 et 14 ans. Pour assouvir ses besoins sexuels, ce pervers de 58 ans proposait des aliments et des pièces de monnaie à ses nombreuses victimes.

Autre fait, et pas des moindres, des actes de maltraitance ont été commis sur des Talibés, par un maitre coranique, à Diourbel (centre du pays). Oumar Sylla, parce que c’est de lui qu’il s’agit, enchaînait ses talibés pour les corriger. Au total, 20 jeunes âgés de 6 à 14 ans, ont subi les tortures dudit enseignant pendant des années. Plus malchanceux, l’un d’eux aurait vécu avec ses chaines depuis 2 ans. Le «tortionnaire» a été interpellé par les hommes du commissaire, Bassirou Sarr du commissariat central de Diourbel, le jeudi 18 février dernier. Les 2 menuisiers métalliques qui ont fabriqué les barres de fer ayant permis de commettre ces sales pratiques, ont tous été aussi arrêtés.

A ces châtiments corporels, et autres abus sexuels dont sont victimes les jeunes Talibés, s’y ajoutent les risques sanitaires auxquels ils sont confrontés. Couchés à même le sol, dans des endroits sans électricité, ni sanitaires et eaux, et le plus souvent entassés dans de petites pièces leur servant de dortoirs, les Talibés souffrent le plus souvent de maladies de la peau, tout comme du paludisme et de la tuberculose. Il ne faut pas non plus occulter les risques d’accident qu’encourent ces jeunes, car passant le plus clair de leur temps dans les rues des villes. Autant d’actes bafouant les droits de ces enfants, qui posent avec acuité la nécessité de trouver au plus vite une solution durable pour les Talibés.

LUTTE CONTRE LA MENDICITE DES ENFANTS : Multiplicité des acteurs, une question qui persiste

Différentes structures s’activent dans la lutte contre la mendicité des enfants. Les structures étatiques, les organisations non gouvernementales et les organisations de défense de droit de l’homme se sont toutes mises dans le combat. Malgré tout, la question persiste. Les enfants mendiants ont fini de faire partir du décor des villes sénégalaises surtout de la capitale. Ils sont visibles à toutes les heures et à tous les endroits. La porosité des frontières aidant, des enfants sont convoyés des autres pays voisins du Sénégal à Dakar.

DEFICIT DANS LA PRISE EN CHARGE INFANTILE AU SENEGAL : Les recommandations de l’Onu au Sénégal

En février dernier, le comité des Nations Unies sur les droits des enfants après avoir étudié la situation dans notre pays avait formulé un certain nombre de recommandations. Pour l’institution onusienne, le Sénégal devra combattre plus efficacement les châtiments corporels, d’interdire toute exploitation des enfants à des fins de mendicité, poursuivre les responsables et intensifier les efforts pour la réintégration des enfants dans la société, d’analyser plus en profondeur les causes de la violence à l’égard des enfants. Pour les Nations unies, le Sénégal devra aussi mettre en place une justice pénale pour les enfants qui soit adaptée, et notamment mettre en place des tribunaux pour enfants dans tout le pays. S’agissant des recommandations, l’Onu appelle notre pays à améliorer la collecte de données sur les enfants avec un outil statistique plus performant, des ressources humaines et techniques adéquates pour permettre une vue d’ensemble de la situation des enfants au Sénégal, quelle que soit leur situation. Entre autres recommandations, les Nations unies appellent le Sénégal à accélérer le processus pour que le projet de Code de l’Enfant soit au plus vite adopté par l’Assemblée nationale.

DIFFICILES CONDITIONS DE VIE DES TALIBE : Les parents, bourreaux de leurs enfants

La responsabilité des parents dans les difficiles conditions de vie des enfants talibé est établie. En effet, ceux qui décident d’une éducation religieuse pour leurs progénitures oublient très souvent l’enfant confié au maitre coranique. Ainsi, la nourriture, la prise en charge et même l’accommodation du jeune élève est du ressort du maitre coranique. Pour faire face aux charges sociales, le marabout envoie l’enfant dans la rue. Autrefois confinés dans les zones rurales, la survie des enfants et du marabout dépendait plus de la récolte. Les produits céréaliers servaient à la nourriture. De nos jours, l’urbanisation galopante a poussé plus d’un à se ruer vers le milieu urbain, les enfants mendiants contraints à l’exil sont aussi venus grossir les rangs dans les villes. Une situation qui a rendu leur vie plus précaire.

SEYDI GASSAMA, DIRECTEUR EXECUTIF AMNESTY INTERNATIONAL : «L’Etat doit faire en sorte que l’école coranique soit outillée»

«Toutes les mesures annoncées doivent être mises en œuvre immédiatement. Les mesures ne datent pas de l’ère Macky Sall, mais des premières années d’Abdoulaye Wade au pouvoir.

Mieux, depuis le temps d’Abdou Diouf on nous parle de la modernisation des daaras. Il est nécessaire que l’Etat trouve les ressources nécessaires pour démarrer le programme de modernisation des daaras qui va sortir les enfants de la rue pour les mettre dans les salles de classe. Ainsi, ils pourront apprendre d’autres disciplines qui leur permettront demain de faire des études supérieures et d’être utiles à la société. La constitution sénégalaise est claire. Il est autorisé aux parents de choisir l’éducation qu’ils veulent donner à leurs enfants. Si un parent souhaite mettre son enfant à l’école coranique ou française, l’Etat du Sénégal a l’obligation de veiller à l’éducation de chaque enfant. L’école coranique est reconnue par l’Etat du Sénégal. Par conséquent, il doit traiter ces deux écoles de la même manière. L’Etat doit faire en sorte que l’école coranique soit outillée. Ainsi, les enfants apprendront le coran et d’autres disciplines qui feront d’eux des citoyens modèles».

ABOUBACRY MBODJ, SECRETAIRE GENERAL DE LA RADDHO : «Pousser l’Etat à accélérer le processus de la modernisation des daaras»

«Au moment de la finalisation du projet de modernisation des daaras, certains maitres coraniques se sont réfractés. Nous avons par la suite organisé une rencontre avec les maitres coraniques réfractaires au projet. Les familles religieuses sont maintenant en phase avec le projet. Les maitres coraniques qui ne sont pas d’accord ne sont qu’une minorité et ils ne détiennent pas le monopole de la vérité. La balle est dans le camp du gouvernement. C’est au niveau du gouvernement que nous sentons des retards qui ne s’expliquent pas. Nous avons approché les maitres coraniques réfractaires du gouvernement. Les réfractaires ont disposé de la copie du projet instaurant les daaras modernes. Le ministère de l’éducation nationale était chargé de prendre en charge toutes les recommandations des contestataires. Cependant, le comité ne se réunie pas. Nous ne sommes pas non plus informés de la réception des recommandations des contestataires. Maintenant, à notre niveau nous travaillons dans une approche globale ou la Raddho, l’Association des juristes sénégalaises (Ajs) et les autres organisations de lutte contre la maltraitance des enfants travaillent pour pousser le gouvernement à accélérer le processus».

Sud Quotidien

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