26 décembre 1982-26 Décembre 2015. Voila 33 années, une vie d’homme, que le territoire jadis appelé la Casamance, situé entre la Gambie au nord et les deux Guinée au Sud est entré dans un conflit armé avec le gouvernement sénégalais. Si, pour désigner ce conflit, les irrédentistes sudistes parlent de «la résistance pour l’indépendance» à Dakar on parlait de «crise casamançaise». Et depuis cette date, nombreuses ont été les victimes innocentes laissées sur les vertes prairies de la région méridionale.
D’abord, c’est une simple marche -pacifique, il faut le préciser- de protestation, initiée par Mamadou Nkrumah Sané et les sympathisants d’une «Casamance libre» qui sont partis de Mangoukouroto, dans le quartier de Soukoupapaye, qui avait rappelé au gouvernement d’Abdou Diouf que le feu qui couvait, depuis quelques année, dans la région méridionale n’était pas complètement éteint: depuis quelques années déjà, un groupe d’activistes dont Mamadou Nkrumah Sané avait «bombardé» le vieux président, Léopold Sédar Senghor, de missives réclamant la fin de «la fédération du Sénégal» dans laquelle la Casamance se serait engagée avec le Sénégal, depuis l’éclatement de la fédération du Mali qui avait fait du Sénégal et du Mali un seul pays.
Le 19 décembre déjà, à Djabir en périphérie de Ziguinchor, à quelques encablures de l’actuelle Université Assane Seck, s’étaient réunis, toute la journée, de nombreux séparatistes casamançais venus de toute la région méridionale. Au sortir de cette rencontre, de nombreux tracts avaient été collés dans les rues de Ziguinchor appelant à la marche du 26.
Mais, le 20 décembre, profitant de son séjour en Casamance, Mamadou Nkrumah Sané s’était rendu à Bignona pour présider à la pose de la première pierre qui devait servir de clôture à l’hôpital.
Mais, face au refus des gendarmes de les laisser réaliser leur projet, des échauffourées ont éclaté et Mamadou Nkrumah Sané a été arrêté et transféré à Ziguinchor. De la capitale de la région sud, il a été transféré à Dakar et incarcéré à Reubeus où il fera, avec de nombreux camarades, face au tribunal, le 13 décembre 1982.
Contrairement à Léopold Sédar Senghor qui avait ignoré les fameuses lettres, Abdou Diouf n’avait pas adopté cette position de l’évitement. A Robert Sagna qu’il avait envoyé auprès de «ses parents casamançais», il avait transmis le message suivant: «dites aux Casamançais que j’ai l’armée et les forces avec moi. S’ils s’entêtent dans cette voie, nous allons les mater«.
En réalité, Abdou Diouf avait une vielle revanche à prendre sur les Casamançais depuis que son oncle, un lieutenant de Lamine Guèye, venu en meeting en Casamance avait été tué, le 25 janvier 1955, à Kagnobon.
Cette tuerie née de l’animosité entre les militants de Lamine Guèye et ceux de Emile Badiane avait tourné en un terrible bain de sang. A cela s’ajoute le fait que Abdou Diouf, en bon commis de l’Etat, ne se sentait pas redevable aux politiciens, habitués qu’ils sont aux combines.
L’ancien gouverneur de Kaolack, peu enclin à être tendre sur les questions de souveraineté, n’avait pas jugé nécessaire de négocier, très tôt, avec les indépendantistes casamançais. Les considérant comme des bandits de grands chemins -puisque le mot terroriste n’était pas à la mode-, allant jusqu’à appeler cette situation «de simple crise» et son traitement d’»opération de sécurisation» alors qu’il s’agissait purement et simplement de guerre.
Cette réponse arrivée aux oreilles des jusqu’auboutistes casamançais avaient poussé des faucons à convaincre leurs compagnons que «seule une lutte armée libérerait la Casamance«. «C’est pour cela que j’avais quitté la France pour participer à la marche prévue le 26 Décembre à Ziguinchor» se souvient Mamadou Nkrumah Sané.
Venus de la périphérie de Ziguinchor, ces marcheurs arrivés à la gouvernance avaient descendu le drapeau national, mis un drapeau blanc à sa place et exigé du gouverneur d’alors qu’il les rencontre afin de recevoir la énième missive adressée au président du Sénégal; réclamant toujours la fin de «la fédération.»
Après un temps de confusion, les policiers du commissariat de police avaient ouvert le feu sur des marcheurs non armés, tuant des dizaines de personnes. Les rescapés de cette fusillade avaient traversé la ville et s’étaient retrouvés dans le maquis où, sous les ordres de sergent-chef Aliou Badji, démissionnaire de l’armée sénégalaise, ils ont formé la première branche militaire dénommée Atika, le combattant en langue diola.
Bien que déstabilisés par cette tuerie aveugle qui avait révoltée plus d’un Casamançais et convaincus les derniers sympathisants de la nécessité de vendre leurs biens au Sénégal pour rejoindre la Casamance où un nouvel Etat devait voir le jour, les militants s’étaient terrés dans les forets, s’entrainant à la guerre.
C’est le 18 février 1983, soit un an après la marche et après avoir appris la condamnation à 10 ans de prison pour «atteinte à la sureté de l’Etat» des prisonniers transférés à Dakar que la guerre va clairement éclater.
Ce jour là, le capitaine Amadou Tidiane Gadio, -commandant adjoint de la compagnie de gendarmerie de Ziguinchor- et cousin de Cheikh Tidiane Gadio, l’ancien ministre sénégalais des Affaires Etrangères avait été envoyer disperser la cérémonie de prières organisée à Djabir. Pris dans une embuscade, il sera abattu et son groupe de 6 gendarmes -4 morts de sources officielles- décimés. C’est ce jour-là aussi que va tomber le sergent-chef Aliou Badji, premier chef d’Etat major d’Attika dans le centre-ville de Ziguinchor, en face du Monument aux Morts, en face de l’actuel camp des GMI, ex Sonar.
Ces morts ont été les premiers d’une longue liste qui continue, hélas, à se prolonger. Depuis 33 ans, en plus des personnes tuées volontairement, de nombreuses personnes perdent la vie, victimes de mines antipersonnel ou portées disparues pour l’éternité plongeant la région dans un désastre sans nom.
Et l’éternelle pomme de discorde n’ayant rien perdu de son aigreur malgré le temps: la Casamance éternelle terre de refus qui s’était refusée aux colonisateurs Blancs ne comptait pas baisser les bras devant des forces sénégalaises.
Pourtant, rien ne prédisposait ces enfants du Sénégal à s’entretuer de la sorte. Le futur leader irrédentiste, Mamadou Nkrumah Sané, après un passage à Kaolack où il étudiait le Coran avec feu l’imam Assane Cissé, avait fait un passage remarqué au Maroc pour parfaire son érudition islamique. Il avait comme camarades de promotion -même s’ils sont venus après lui- l’imam Iyan Thiam, Doudou Sidibé de Marsassoum et Abdoul Aziz Sy Junior, Mactar Niasse, Bassirou Niasse et Abdoulaye Thiaw Laye…
«Et à la veille du début de ce qui deviendra cette terrible crise, Mamadou Nkrumah Sané était Sénégalais et le revendiquait haut et fort«, nous a confié un connaisseur de l’homme. Poursuivant ses confidences, il a déclaré que «il était le secrétaire général de l’Association des Ressortissant Sénégalais de France et avait, même, fait venir -pour la première fois de sa vie-, Youssou Ndour et son orchestre en France.»
C’était en février 1982. «Youssou Ndour était venu sans instrument, mais grâce au concours d’un Casamançais, c’est les instruments de Samba Nguana -artiste congolais- que j’ai mis à sa disposition«, se souvient un autre Mamadou Sané».
Babacar Touré