Tiens, tiens ! Le Président Macky Sall décide de siffler la fin de la recréation au sein de son parti. C’est du moins ce que rapporte le quotidien « L’Observateur » dans son édition du 13 avril dernier, citant une source proche du cabinet présidentiel.
Même si le journal ne mentionne pas les circonstances dans lesquelles il l’a fait savoir, on imagine la scène avec cette image désormais habituelle d’un Macky Sall passablement énervé comme à chaque fois qu’il pique une colère.
On suppose, comme à son habitude, que c’est d’un ton ferme, la mine grave, l’allure martiale et le visage fermé qu’il a dit toute son exaspération de voir l’Apr se transformer en panier à crabes. Voilà pour la forme.
Quant au fond, son propos est sans équivoque. Il a fait clairement comprendre à ses ouailles, rapporte le journal, qu’il en a assez de leurs « tiraillements aux allures de scènes de ménage ». De même qu’il fustige l’attitude de ceux d’entre eux qui « s’expriment publiquement sur des sujets dont ils ne maîtrisent pas les tenants ». Faisant ainsi allusion aux propos désobligeants, voire dégradants, à l’endroit de transfuges d’autres partis qu’il a lui-même invités à rejoindre les rangs de l’Apr.
Toutefois, il attend aussi de ces transhumants qu’ils arrêtent de regarder avec dédain les apéristes de la première heure. Estimant qu’ils n’ont d’autre interlocuteur que lui-même et « qu’aucune autre autorité ou entité du parti ne les intéresse ».
En somme, le grand bazar au sein de l’Apr donne des urticaires à son Président. Et pour que nul n’en ignore, il l’a fait savoir à haute et intelligible voix. Non sans exiger en le martelant que « ça cesse d’une manière ou d’une autre ».
Hélas, cet appel qu’il a déjà lancé en d’autres termes et dans d’autres circonstances, risque de résonner encore dans le vide.
Bien sûr qu’il a raison de penser qu’il n’y a rien de plus urgent à l’Apr que de mettre un terme à ses querelles intestines. Seulement voilà : «quand on pense que quelque chose est urgent, disait Talleyrand, c’est qu’il est déjà trop tard ». Et il en est surtout de l’Apr où le laisser-faire-laisser-parler n’a que trop duré pour qu’un simple rappel à l’ordre suffise à faire rentrer tout le monde dans les rangs.
C’est à croire que la division est même dans les gênes de l’Apr, faute de structuration. Comment peut-on espérer discipliner les troupes apéristes sans que l’on sache vraiment qui est qui et qui fait quoi ? Comment peut-on interdire les sorties publiques quand les responsables ont le sentiment qu’ils ne peuvent exister qu’en se faisant entendre ? Et, surtout, quand ils sont convaincus que c’est à l’ampleur et à la virulence de leur discours que se mesure leur engagement aux côtés du Président ?
En effet, l’Apr a ceci de particulier que seuls les responsables qui se distinguent par les sorties publiques, surtout quand elles sont particulièrement musclées vis-à-vis de l’opposition, sont aux premières loges. Et les cas d’Abdou Mbow, Mame Mbaye Niang, Moustapha Diakhaté et autres Thérèse Faye Diouf sont des exemples assez patents pour en témoigner.
Il en est de même pour Moustapha Cissé Lô. Tout récidiviste de la gaffe qu’il est, il a tout de même connu une ascension fulgurante jusqu’à trôner aujourd’hui à la tête du Parlement de la CEDEAO sûrement avec la bénédiction du Président Macky Sall. Et qu’importe si le bouillant Cissé Lô a subi un cinglant revers électoral aux locales de juin 2014, tout comme au Référendum du 20 mars dernier. Son discours incendiaire compense largement ces contreperformances au plan politique.
C’est la preuve qu’à l’Apr, ceux qui montent en grade sont ceux-là qui se font les plus audibles. Et qu’il suffit parfois de se montrer à la fois volubile et véhément pour gagner la confiance du Président, entrer dans ses bonnes grâces et avoir droit aux honneurs.
C’est d’ailleurs ce qu’ont compris ceux qui avaient la malchance de tomber en disgrâce. Et qui, une fois de retour en première ligne, émettent sur le même registre que ceux qui ne ratent aucune occasion pour se faire entendre et qui sont en conséquence récompensés. Mimi Touré et Thierno Alassane Sall ne se montrent-ils pas beaucoup plus bavards qu’ils ne l’étaient avant leur traversée du désert ? N’ont-ils pas musclé volontairement leur discours pour donner des gages de leur engagement sans faille aux côtés du Président ?
En tout cas, ainsi va l’Apr : il faut être fort en gueule pour être fort dans le parti. Aussi, Macky Sall aura-t-il toutes les difficultés pour convaincre les responsables de son parti à ne pas s’exprimer à tout-va alors qu’il y a manifestement une prime à la parlotte. C’est la première équation qu’il devra résoudre pour espérer discipliner son parti.
La deuxième équation a trait aux transhumants. Comment pourraient-ils ne pas faire l’objet d’ostracisme en arrivant en masse dans un parti qui n’est pas structuré et où, naturellement, toutes les places restent ouvertes ? Comment éviter, devant autant de convoitises, que les militants de la première heure et les nouveaux arrivants ne se regardent en chiens de faïence ?
En tout cas, il sera bien difficile à l’Apr d’échapper au choc des ambitions pour peu qu’on se remémore les écrits de Jean François Brayard dans son ouvrage « L’Etat en Afrique, la politique du ventre », publié en 2006. Caricaturant l’Etat en Afrique et le parti qui l’incarne,
il les avait assimilés au « lieu du repas » avec toutes les convoitises qu’il y a autour. L’Apr, naturellement, n’échappe à la règle. Surtout qu’en ne structurant son parti avant de l’ouvrir à la vague de transhumants, Macky Sall a créé les conditions propices aux tiraillements internes. Pourvu simplement que ces transfuges ne se sentent à l’étroit et fassent le mouvement inverse. Car un parti politique, c’est comme une conduite d’eau : quand il y a trop de pression, on a tendance à aller voir ailleurs. Et c’est visiblement ce que craint le Président en invitant inlassablement ses vieux compagnons à accueillir à bras ouverts les transhumants.
Momar DIONGUE dakarmatin.com