Le port du burkini est au centre de polémiques ces derniers jours. D’où vient-il ? Qui le porte ? Est-il légal de le prohiber ? « L’Obs » fait le point.
Le tribunal administratif de Nice a rejeté ce samedi 13 août la demande de suspension, en référé-liberté, de l’arrêté municipal pris le 28 juillet par la mairie de Cannes pour interdire la baignade en burkini sur ses plages. Des particuliers (trois femmes) et une association anti-islamophobie, le CCIF, qui s’étaient émues de l’arrêté municipal, se voient ainsi déboutées par la justice, à l’orée d’une bataille juridique qui s’annonce rude.
Le CCIF a en effet d’ores et déjà fait part de son intention de faire appel de cette ordonnance devant le Conseil d’Etat. « L’Obs » fait le point sur la polémique.
Que voulait le maire de Cannes ?
Le maire Les Républicains de Cannes, David Lisnard, a voulu interdire le port du bikini sur les plages de sa commune, par un arrêté municipal publié le 28 juillet.
« Une tenue de plage manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse, alors que la France et les lieux de culte religieux sont actuellement la cible d’attaques terroristes, est de nature à créer des risques de troubles à l’ordre public (attroupements, échauffourées, etc.) qu’il est nécessaire de prévenir », indiquait le texte pour justifier cette interdiction.
Le maire de Cannes David Lisnard. (Valérie Hache / AFP)
Il a aussi mis en avant des raisons de sécurité : le maillot ne doit pas « compliquer les opérations de sauvetage en cas de noyade ».
Il s’agissait donc de proscrire la baignade jusqu’au 31 août, date de la fin de l’arrêté, pour « toute personne n’ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité ». L’infraction à cette règle était punie d’une amende de 38 euros.
Lionnel Luca, le député-maire LR de Villeneuve-Loubet, également dans les Alpes-Maritimes, a imité le maire de Cannes et a pris lui aussi un arrêté , en date du 5 août. Cet arrêté indique que « l’accès à la baignade est interdit, du 1er juillet au 31 août, à toute personne ne disposant pas d’une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et du principe de laïcité, et respectant les règles d’hygiène et de sécurité adaptées au domaine public maritime ».
« On m’a signalé sur l’une de nos plages un couple dont l’épouse se baignait habillée, explique Lionnel Luca, et j’ai considéré que cela n’avait pas lieu d’être pour des raisons d’hygiène et que cela était malvenu compte tenu du contexte général. »
Quelle est l’origine du burkini ?
Ce vêtement de bain islamique est né en… Australie. C’est une styliste d’origine libanaise, Aheda Zanetti, qui a inventé ce maillot composé de deux pièces, un haut et un bas, qui couvrent intégralement le corps et la chevelure, ne laissant apparaître que les mains, les pieds et le visage. Il est composé de la même matière qu’un maillot classique.
La styliste Aheda Zanetti, à gauche, avec le mannequin Mecca Laalaa. (ANOEK DE GROOT / AFP)
Le mot « burkini », ou « burquini », est composé de « burqa » et « bikini », deux vêtements inégalement couvrants.
Qui le porte ?
Difficile de quantifier le nombre de femmes qui le revêtent pour se baigner. Les piscines en interdisent l’usage pour des raisons d’hygiène, comme elles interdisent le short pour les hommes.
A Aurillac, en juin, une femme a déposé plainte car on lui avait interdit le port du burkini dans les bassins du centre aquatique, comme le rapportait » La montagne ».
A-t-on le droit de l’interdire à la plage ?
La loi du 11 octobre 2010 interdit de porter un voile dissimulant le visage dans l’espace public. Le burkini n’est donc pas concerné.
L’arrêté de Cannes est « illégal, discriminatoire et anticonstitutionnel », a déclaré l’avocat du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), Sefen Guez Guez, qui avait saisi la justice en référé-liberté afin de le contester.
« La loi aujourd’hui en France ne permet pas d’interdire l’accès à des plages en raison du signe de ports religieux. Il y a seulement la loi de 2004 qui concerne les élèves de l’enseignement public », a-t-il expliqué.
L’arrêté est aussi « anticonstitutionnel » car « la Constitution garantit le libre exercice des cultes », pense-t-il.
La ligue des droits de l’homme locale (LDF) a également dit qu’elle demanderait la suspension de cet arrêté devant le tribunal administratif et qu’elle porterait plainte contre le maire.
« On n’interdit pas le voile, ni la kippa, ni les croix, j’interdis simplement un uniforme qui est le symbole de l’extrémisme islamiste. Il faut arrêter de vouloir caricaturer cet arrêté. Nous vivons dans un espace public commun, il y a des règles à respecter », a commenté le maire dans « Nice matin ».
Que dit la justice ?
Or le tribunal administratif de Nice, saisie cette semaine, a rejeté ce samedi par ordonnance la demande de suspension soumise par le CCIF. La juridiction motive sa décision à la fois sur la forme et le fond :
- Le juge des référés, M. Le maître, écarte le caractère d’urgence car « les requérants ont saisi le juge des référés le 12 août pour contester l’arrêté du maire de Cannes du 28 juillet dont il n’est pas contesté qu’il est depuis lors affiché sur les panneaux municipaux prévus à cet effet ainsi que sur les plages. » L’ordonnance note également que « sont respectées les dispositions de l’article 1er de la Constitution aux termes desquelles ‘la France est une République laïque’, qui interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ». Le juge indique également que « dans le contexte d’état d’urgence et des récents attentats islamistes survenus notamment à Nice il y a un mois […] le port d’une tenue vestimentaire distinctive, autre que celle d’une tenue habituelle de bain, peut en effet être interprétée comme n’étant pas, dans ce contexte, qu’un simple signe de religiosité ».