Boxe : 30 octobre 1974 à Kinshasa, le jour où Muhammad Ali entra dans la légende

Boxe : 30 octobre 1974 à Kinshasa, le jour où Muhammad Ali entra dans la légende

Ce fut, à n’en pas douter, la rencontre du siècle : il y a quarante ans, le 30 octobre 1974, l’ancien champion du monde des poids lourds, Muhammad Ali, défiait le tenant du titre, George Foreman, à Kinshasa. Un affrontement fabuleux, au coeur de l’Afrique, pour deux incroyables boxeurs. Jamais un combat n’eut une telle dimension politique et symbolique.

L’histoire de ce que l’on surnomma « le combat du siècle » commence un jour de janvier 1973 non pas à Kinshasa, mais à Kingston, en Jamaïque. Ce jour-là, George Foreman, le champion du monde en titre, vient de terrasser Joe Frazier, un adversaire de taille chez les poids lourds. Ce jour de janvier donc, Dick Sadler, le manager et entraîneur de George Foreman, savoure « sa » victoire et lance le premier cette idée – presque une boutade : son poulain affrontera Muhammad Ali, l’ancien maître de la catégorie, si quelqu’un est prêt à mettre au moins 5 millions de dollars sur la table. Sadler l’assure, Foreman ne montera pas sur le ring pour moins, fût-ce pour en découdre avec un ancien double champion du monde. La somme est faramineuse, irréaliste, et pourtant… l’idée fait son chemin.

Mohammed-Aly-et-Diego-Forman
Nous sommes maintenant en janvier 1974. Muhammad Ali a envoyé Joe Frazier au tapis (une belle revanche, puisque Frazier avait été le premier à le battre, en 1971) quand un autre manager, Don King, décide de prendre Dick Sadler au mot. King est un homme excentrique au passé sulfureux. Il veut frapper un grand coup ! Il propose un championnat du monde Ali-Foreman et un cachet de 5 millions de dollars à chacun des boxeurs. La somme met tout le monde d’accord, il ne reste plus qu’à trouver les financements nécessaires. Mais l’exercice est difficile et, contre toute attente, c’est de Muhammad Ali que viendra la solution. En voyage au Moyen-Orient, Ali rencontre, tout à fait par hasard, le président Mobutu Sese Seko.

Pour son pays, Mobutu voit grand. Depuis trois ans déjà, le Congo a laissé la place au Zaïre, les noms et prénoms étrangers ont été interdits, l’économie a été zaïrianisée. Mobutu, arrivé au pouvoir en 1965, est au sommet de sa gloire. Quand il rencontre Muhammad Ali, il lui propose d’abord de venir à Kinshasa pour un combat d’exhibition. Le boxeur lui parle alors du projet de championnat du monde contre Foreman, que Mobutu offre sans hésiter d’accueillir. Il sait qu’il tient là une occasion inespérée de promouvoir sa patrie et de faire oublier la déculottée de l’équipe nationale, humiliée trois mois plus tôt en Allemagne lors de la Coupe du monde de football.

Authenticité

Don King et ses associés, qui partout avaient été éconduits, sont donc contactés par l’entreprise suisse Risnelia, qui a des intérêts au Zaïre. Elle se dit prête à payer ce qu’il faut, voire plus, pour que le duel ait lieu « au pays de l’authenticité ». L’affaire est d’autant plus rapidement conclue que le gouvernement zaïrois a décidé de ne prélever aucune taxe sur les recettes du match. Un des émissaires de Don King arrive à Kinshasa ; les autorités lui remettent 1 million de dollars afin d’assurer les frais de fonctionnement de l’organisation mise en place. Pour le Zaïre, c’est une question de prestige. La machine s’emballe. Les calculettes des promoteurs chauffent et les chiffres sont mirobolants : les organisateurs espèrent entre 35 et 100 millions de dollars de recettes, d’autant que plusieurs pays ont acheté les droits de retransmission.

Le Zaïre est-il capable d’organiser un tel événement ? Mobutu n’en doute pas. Le pays ne compte-t-il pas plusieurs boxeurs qui se sont illustrés sur la scène africaine, comme Tshikuna, Mambenga, Ilunga, Kimpwani ? Kinshasa a aussi un stade, celui du 20-Mai, des moyens techniques (dont des stations terriennes de communication par satellite qui vont permettre la retransmission du combat à l’étranger) et des infrastructures hôtelières suffisantes pour accueillir tous ceux qui choisiront de se rendre à Kinshasa. La date du combat est annoncée. L’affiche officielle annonce : « Super choc et combat du siècle. Championnat du monde des poids lourds. Kinshasa, le 25 septembre 1974 à 3 heures du matin. 15 rounds. George Foreman vs. Muhammad Ali. »

Muhammad Ali, séducteur hors pair, doué pour les déclarations fracassantes, s’attire la sympathie du public.
Fièvre

C’est dans la première quinzaine de septembre 1974 que Muhammad Ali et George Foreman débarquent dans la capitale zaïroise. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre, et la fièvre monte dans la ville : tout le monde veut voir ces deux boxeurs noirs venus des États-Unis pour un combat inédit en terre africaine. Les Kinois sont convaincus d’accueillir des frères qui reviennent au pays natal et commentent abondamment la moindre de leurs apparitions. Beaucoup se rendent au Domaine agropastoral et industriel de la Nsele, à une quarantaine de kilomètres du centre-ville, où les deux boxeurs s’entraînent. En peu de temps, Muhammad Ali, séducteur hors pair, doué pour les déclarations fracassantes, s’attire la sympathie du public. Charismatique, il est dans son élément. Tous ont en mémoire le passé glorieux de celui qui s’appela un jour Cassius Clay, son engagement dans la lutte contre la ségrégation, son refus d’aller se battre au Vietnam. Muhammad Ali fait son jogging dans les faubourgs de Kin, et les badauds crient, hystériques, en lingala : « Ali, boma ye ! », « Ali, tue-le ! »

Foreman a lui aussi des supporters, mais ils sont moins nombreux. Le champion du monde est introverti, distant. Tout droit venu du Texas, il est convaincu que celui qui l’enverra dans les cordes n’est pas encore né. Ali en profite et répète à qui veut l’entendre : « Je danse comme un papillon et je pique comme une abeille. » Peu importe qu’il ait 32 ans alors que son adversaire n’en a que 24.

Ali n’aura peut-être pas dansé comme un papillon, mais il aura piqué comme une abeille.
Au fil des jours, le championnat du monde devient un événement à portée universelle. Beaucoup d’Africains-Américains se sont déplacés pour vivre ces instants exceptionnels, d’autant qu’un festival de musique réunissant de véritables célébrités est organisé en marge du combat : B.B. King, James Brown, Johnny Pacheco, Celia Cruz, Ray Barretto, Mongo Santamaria, Manu Dibango, Miriam Makeba, Tabu Ley, Luambo Makiadi, Carlos Santana, The Spiners… Pendant trois soirs, c’est la fête au stade du 20-Mai.

Pantin désarticulé

Mais à quelques jours du choc tant attendu, George Foreman se blesse à l’entraînement. C’est la panique ! Après quelques hésitations, les organisateurs décident de reporter le combat au 30 octobre. Ce jour-là, dans la chaleur moite de la nuit kinoise, une surprise attend les spectateurs dès l’entame du combat : Ali choisit de se réfugier dans les cordes du ring. Stupéfaction ! Foreman reste égal à lui-même : pendant sept rounds, il cogne dur et se fatigue sans vraiment parvenir à ébranler son adversaire. Au huitième round, Ali lance une rafale de coups, et le champion, tel un pantin désarticulé, s’écroule. C’est le KO.

Ali n’aura peut-être pas dansé comme un papillon, mais il aura piqué comme une abeille. Et c’est à Kinshasa qu’il redevient le roi, sous les yeux éberlués du monde entier. Le combat du siècle ne fut pas retransmis par Télé Zaïre. Mais la nouvelle de la victoire de Muhammad Ali était sur toutes les lèvres. Le Zaïre venait de gagner son pari. Comme il se doit, c’était « une nouvelle victoire du mobutisme ».

Bien plus qu’un combat

Le 30 octobre 1974, Muhammad Ali réalise, en battant George Foreman, un exploit qui dépasse largement le cadre sportif. À Kinshasa, l’ex-champion du monde déchu de son titre et de ses droits civiques en 1967, pour avoir refusé de combattre au Vietnam, entend démontrer la cohérence de sa vie et de sa carrière de boxeur, qui s’articule autour de son combat pour la liberté de la communauté noire américaine, victime d’un système ségrégationniste. Sur le continent, Ali ne cesse de rappeler la raison politique de sa présence. Reçu par Mobutu au palais présidentiel, il déclare : « Monsieur le président, je suis citoyen américain depuis trente-deux ans et je n’ai jamais été invité à la Maison Blanche. Soyez assuré de l’honneur que vous me faites d’être convié à la maison noire. » Et la guerre psychologique qu’il mène à son adversaire par médias interposés reste éminemment politique. Devant la presse, il martèle que, lui, est africain (« Je suis ici chez moi »), contrairement à Foreman qui est « un Belge », rappelant qu’aux JO de 1968, le champion olympique, au lieu de lever le poing en signe de soutien au mouvement des droits civiques, avait brandi un drapeau américain… Après avoir, en secret, travaillé son endurance et sa garde, il encaisse dans les cordes les charges surpuissantes de Foreman, qui va s’épuiser à essayer de l’atomiser. Ali récupère son titre, mais surtout, commente le philosophe français Alexis Philonenko, il est parvenu à « briser ce qu’il pouvait briser dans la citadelle du racisme ». Ali avait prévenu : « Je vais quitter la boxe comme j’y suis entré : avec fracas, en détrônant un monstre invincible ! […] Ce combat […] sera le plus grand des miracles ! »

Jeuneafrique.com

 

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