Le leader de Boko Haram, Abubakar Shekau, a annoncé avoir tué l’un de ses membres éminents, accusé de comploter contre lui, dans un climat de divisions et de luttes fratricides au sein du groupe jihadiste nigérian.
Dans l’enregistrement sonore d’une réunion organisée par Shekau et ses commandants, obtenu par l’AFP, le chef du groupe annonce avoir « tué Tasiu » -également connu sous le nom d’Abu Zinnira-. Ce commandant apparait comme l’un des porte-parole dans plusieurs vidéos du groupe, notamment celle qui avait revendiqué l’enlèvement des lycéennes de Chibok en 2014.
« Écoutez-moi: j’ai tué Tasiu. Écoutez-moi bien », répète Shekau dans cet enregistrement, destiné aux membres du mouvement jihadiste.
La réunion, qui s’est déroulée le 18 décembre dernier, visait à « faire taire les rumeurs autour de la mort de Tasiu », selon les déclarations de Shekau, à la tête du groupe islamiste depuis 2009, après la mort de son fondateur Mohamed Yusuf.
Yan St-Pierre, consultant en contre-terrorisme pour MOSECON (Modern Security Consulting Group), appuie ces déclarations, affirmant qu’il y avait « de nombreuses spéculations internes quant à son sort ». « Des membres du groupe s’inquiétaient de sa disparition depuis pas mal de temps. »
« Le but de Shekau est d’envoyer un message clair au plus grand nombre de ses combattants », poursuit l’expert des mouvements jihadistes, et de les informer de cette « purge » contre quiconque pourrait défier son pouvoir.
Dans ce dernier enregistrement audio, Shekau accuse Abu Zinnira d’avoir tenté de le renverser avec un autre commandant, Baba Ammar. Ils les accusent également d’avoir mené des combats sans son consentement et d’avoir fait courir le bruit qu’il était devenu incapable de mener l’insurrection.
« Dites-moi quelle est la punition pour ceux qui complotent contre leur chef? », interroge Shekau pendant cette réunion. « De par notre code d’allégeance, nous n’hésiterons pas à sanctionner tout élément qui commet ce crime ».
« Des avocats envoyés par le diable sont au travail, et essaient d’instiller le doute dans les esprits de nos combattants, car ils réalisent maintenant que nous sommes sur le point de gagner notre jihad », poursuit Shekau, cependant en position de faiblesse, contre les forces de sécurité nigérianes et contre son propre clan.
Paranoïa
Abubakar Shekau est le visage le plus célèbre de cette insurrection qui a fait au moins 20.000 morts et 2,6 millions de déplacés. Il apparaît dans plusieurs vidéos pour revendiquer des attaques, apparaissant souvent délirant.
Mais en août dernier, l’organisation de l’Etat Islamique, à laquelle Boko Haram a prêté allégeance en 2015, a désigné un autre « wali » (chef) en la personne d’Abou Mosab Al Barnaoui – fils du fondateur Mohamed Yusuf – pour diriger l’Etat Islamique d’Afrique de l’Ouest ».
Al Barnaoui et son bras droit Mamman Nur reprochaient déjà à l’époque à Shekau ses « tendances dictatoriales » et l’accusaient d’avoir assassiné des commandants dans des accès de paranoïa.
Abu Zinnira, qui apparaissait sur des vidéos toujours en tenue de camouflage militaire, turban sur la tête et le visage caché, était considéré comme un des porte-parole de Boko Haram, « une figure assez connue », selon M. St-Pierre, « qui parvenait à faire consensus dans plusieurs cercles du groupe ».
« Ces révélations ne font que confirmer les rapports qui circulent depuis plusieurs mois au sujet des disputes particulièrement intenses entre Shekau et ses commandants sur les questions de stratégie, de tactique et de logistique », analyse Nnamdi Obasi, pour International Crisis Group.
« Eliminer des adversaires, qu’ils soient réels ou fantasmés, peut toutefois avoir un effet double », explique à l’AFP le chercheur, basé à Abuja. « Cela peut consolider le pouvoir de Shekau, qui se retrouverait entouré d’un noyau dur et fidèle, ou créer davantage de divisons et donc affaiblir cette faction du groupe. »
Dès à présent, bien que le groupe jihadiste nigérian revendique très peu de ses attaques, la différence entre les deux factions est de plus en plus remarquable.
L’armée nigériane a affirmé en décembre avoir « nettoyé la forêt de Sambisa », bastion de la faction Shekau, dont les combattants se sont retranchés plus au nord, vers Marte.
Et la faction d’Al Barnaoui, active sur les contours du lac Tchad et à la frontière avec le Niger mène des attaques régulières contre les forces de sécurité.
Ainsi, vendredi, 7 soldats nigérians ont été tués par ce groupe au cours d’une attaque d’un poste militaire dans le nord-est du pays.