Bocar Samba Dièye accuse Abdoul Mbaye de l’avoir conduit à l’abattoir et la Cbao d’avoir aiguisé un couteau pour abréger sa vie d’importateur de céréales. Il s’en explique dans une lettre ouverte adressée aux pouvoirs publics.
Le réputé importateur de riz Bocar Samba Dièye ne rit plus. Il livre l’un des plus grands combats de sa vie. Peut-être, LE combat de sa vie. Son adversaire : la Cbao, la filiale du groupe bancaire marocain Attijariwafa Bank. L’enjeu : ses bien immobiliers, sa réputation et des décennies de dur labeur. Le commerçant-importateur affirme que la banque, prétextant « une dette non due » de 7 milliards 166 millions 240 mille 423 francs CFA, a mis la main sur ses biens immobiliers d’un montant de 11 milliards de francs CFA. Lesquels, dénonce-t-il, ont été vendus à la barre des criées du tribunal de Grande instance Hors classe de Dakar. « Je continue à me battre avec mes avocats et avec l’aide de Dieu pour les recouvrer (ses biens)- ou, en tout cas, faire condamner la banque », a-t-il fait savoir dans une lettre ouverte adressée aux autorités sénégalaises et publiée ce mardi dans Le Témoin.
Bocar Samba Dièye demande « à défaut d’un parti-pris (du) gouvernement en (s)a faveur, à tout le moins une neutralité de sa part dans le sens où il ne soutiendrait pas les Marocains contre l’homme d’affaires sénégalais ». SeneWeb a contacté la Cbao et tenté de joindre Abdoul Mbaye. Au niveau de la banque, la responsable de la communication institutionnelle, Lazraq Sofia, a déclaré : « La Cbao n’a pas encore prévu de communication sur ce sujet. Si on décide de communiquer, nous vous contacterons. » Nous n’avons pas pu joindre l’ancien Premier ministre, mais le directeur exécutif de son parti, l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (Act), Xavier Diatta. Ce dernier a promis d’« en parler à Abdoul Mbaye » et de nous « recontacter ». Nous attendons.
« M. Abdoul Mbaye m’a abusé »
L’affaire serait la conséquence d’un vieux contentieux avec les responsables de la Cbao. Lequel ne serait pas survenu si l’importateur de riz n’avait pas écouté le premier chef de gouvernement de Macky Sall. « Si j’en suis arrivé à cette situation très difficile, c’est surtout parce que M. Abdoul Mbaye m’a abusé, accuse-t-il dans sa lettre.
C’est en tout cas lui qui m’a mis dans ce pétrin. » Il rembobine : « Avant le rachat de la défunte Banque sénégalo-tunisienne (Bst) par notre compatriote Alioune Sow de la Compagnie sahélienne d’entreprises (Cse), M. Abdoul Mbaye était retourné à la Bceao après avoir été limogé de la direction de la Cbao (Compagnie bancaire de l’Afrique de l’Ouest). Un beau jour, il m’a demandé de passer le voir à son bureau de la Bceao. » Le commerçant fait le déplacement. Et selon sa version, Abdoul Mbaye lui fait savoir « qu’un riche Mauritanien voulait ouvrir une banque au Sénégal » et lui demande s’il était partant pour intégrer le capital. Bocar Samba Dièye dit son intérêt, l’ancien banquier lui explique qu’il faut faire une étude de faisabilité qui nécessite la somme de dix millions de francs CFA. « Séance tenante, assure le commerçant, je lui ai fait un chèque de du montant demandé. Quelques temps après, il m’a appelé pour me dire que l’étude est terminée. Il me l’a remise et je suis allé la montrer à Mamoudou Touré (ancien ministre des Finances et du Fmi, Ndlr). Après l’avoir lue, il m’a dit qu’il y avait des correctifs à y apporter. Il a indiqué à Abdoul Mbaye ce qu’il fallait faire et le nécessaire a été fait. Pendant qu’on s’affairait à la création de cette banque, j’ai appris qu’Alioune Sow avait racheté la Bst et qu’il avait nommé Abdoul Mbaye directeur général. »
Des actions à la Bst très cher payées
Les données changent. L’ancien Premier ministre abandonne le projet de création d’une nouvelle banque et propose à Bocar Samba Dièye, selon ce dernier, à entrer dans le capital de la banque que vient de racheter Aliou Sow. Le commerçant, d’après toujours son récit, réclame 25% du capital « en mettant un chèque d’un montant correspondant sur la table », on lui propose plutôt 3000 actions. Marché conclu. « La banque a démarré ses activités. Elle faisait des bénéfices et versait des dividendes qui étaient convertis en actions, se souvient Bocar Samba Dièye. Entretemps, on m’a vendu 3000 autres actions. Au bout du compte, je me suis retrouvé avec 13 049 actions. »Par la suite, patatras ! La Bst est vendue au groupe marocain Attijari. « Une Assemblée générale devait être tenue pour formaliser la vente, confie l’importateur de riz. À 24 heures de la tenue de la réunion, je n’avais pas encore reçu de convocation. J’ai écrit une lettre de protestation que j’ai déposée à la banque avec copie à Mamadou Touré, qui était le président du Conseil d’administration de la Bst. On m’a alors convoqué à la Cbao pour le lendemain. Au cours de l’AG, j’ai interpelé le Pca marocain pour savoir les raisons pour lesquelles je n’avais pas été convoqué. Il m’a demandé de venir le voir le lendemain.
Lorsque je suis arrivé, j’ai réitéré au Pca marocain les propos que j’avais tenus la veille, à l’Ag. Cela s’est passé dans le bureau de Raghni (ancien directeur général de la Cbao Attijari, Ndlr). » Bocar Samba Dièye considère que c’est ce jour là qu’il s’est mis à dos les responsables d’Attijari. Il dit : « Les Marocains étaient très fâchés et à partir de ce jour, Raghni m’a mis dans son collimateur. »
Les 17 650 tonnes de riz de la discorde
Après avoir remboursé une dette de 4 milliards 802 millions 562 mille 293 francs CFA (« on m’a remis une mainlevée sur les garanties immobilières que j’avais données »), le commerçant constate que la Cbao a débité « irrégulièrement » de son compte la somme de 5 milliards 650 millions de francs CFA. « La Cbao Attijariwafa Bank prétendant avoir payé pour moi une cargaison de 17 650 tonnes de riz débarquée au Port de Dakar. Or, cette opération entrait dans le cadre normal de mes relations d’affaires avec la société suisse Ascot Commodities. » Bocar Samba Dièye affirme qu’il avait « d’autant moins de raisons de solliciter la banque marocaine pour payer cette cargaison que, cette même année 2008 où a éclaté cette affaire, (il avait) fait venir 14 bateaux de céréales pour une valeur de 52 milliards de francs et (il avait) tout payé ». « Je conteste avec la dernière énergie avoir signé une quelconque traite au profit de cette banque et dont elle s’est prévalue pour débiter mon compte du montant indiqué ci-dessus, portant l’encours de mon débit à plus de sept milliards de francs, éructe le commerçant dans sa lettre.
Par le biais de mes avocats, j’ai beau réclamer l’original de la traite que j’aurais signée au profit de la banque, cette pièce ne m’a jamais été communiquée. De guère lasse, j’ai saisi les tribunaux pour obte nir la désignation d’un expert ayant mission de faire le point sur mes relations d’affaires avec la Cbao groupe Attijariwafa Bank. » « Je demande une confrontation avec les responsables de la Cbao » L’expertise fut ordonnée, « malgré l’opposition » de la banque, par le tribunal de Grande instance Hors classe de Dakar. Le cabinet MGN Maguèye Niang est désigné. « Après trois mois de travaux, écrit l’importateur de riz, l’expert a conclu que mon solde débiteur devait être arrêté provisoirement au montant de 1 518 538 217 (un milliard cinq cent dix-huit cinq cent trente-huit deux cent dix-sept) de francs.
Alors que la banque marocaine me réclamait la somme de 7 166 240 423 francs ! » La Cbao a fait appel de la décision du tribunal ordonnant l’expertise, mais elle a été déboutée selon le commerçant. Qui jure détenir les preuves de ses déclarations. Il lance un défi : « Je demande qu’on me confronte avec les responsables de la Cbao Attijariwafa Bank sous l’arbitrage d’un spécialiste des affaires bancaires pour pouvoir exposer tout ce que je viens de développer. » « Au crépuscule de (sa) vie », Bocar Samba Dièye, 83 ans, aurait pu prétendre à une retraite plus paisible et plus gaie.