« Moins, il y aura de peur, mieux cela vaudra. La peur fait de nous des lâches. La peur nous avilit ». Philip Roth, Némésis*
Il fut un temps où l’industrie de l’éloge fonctionnait à plein régime pour Béthio Thioune. On ne pouvait citer son nom sans écrire au préalable « Cheikh » voire « Serigne ». Signe du respect quasi religieux qu’on lui vouait. À lire les articles de l’époque, on croyait même avoir affaire à un Pacha moderne, successeur des antiques Balthazar et Sardanapale, qui ont tant excité l’imaginaire des orientalistes. Tout le Sénégal, politiques artistes, sportifs, faisaient la courbette à l’ex-énarque.
Auréolé de cette gloire, le sieur Béthio fut gagné par cette maladie à laquelle les personnages « puissants » succombent fatalement : l’hubris, la démesure comme disaient les Grecs anciens. Il se vit investi dune mission divine revisitant même certains articles de la Loi religieuse. Il fut aussi un maître dans le speed-dating mariant à tout-va des pauvres êtres décidément en quête de repère.
Il promit même de faire réélire un président par la magie de ses 5 millions d’inconditionnels, comprenez ses talibés. Surtout, il émerveillait son monde avec de gigantesques ripailles, qui laissaient déjà entrevoir la nature excentrique de l’homme. Mais voilà dans le Sénégal de l’époque, toutes ces pantalonnades étaient bien vues.
Ou du tout du moins tolérées, les rares voix réfractaires se contentant de maugréer bien au chaud dans leurs salons. Attitude du reste bien sénégalaise. La couardise, vous l’aurez deviné, était le principal moteur de ce silence. Il ne fallait surtout pas s’en prendre à Sa Majesté Béthio sous peine de recevoir une volée de coups de gourdin. Demandez au pauvre Pape Cheikh Fall, correspondant de la Rfm, qui fut victime des séides du Cheikh…
Mais voilà la gloire, méritée ou usurpée, a une fin. Depuis que son nom est rattaché à une sordide histoire de meurtre, Béthio de lycanthrope est devenu un acarus que l’on piétine à sa guise. Il ne se passe plus un jour sans que l’on ne tourne en ridicule ses divagations. Comme si l’opinion publique découvrait subitement la réalité du personnage : un individu excentrique directement sorti d’une mauvaise parodie des mille et une nuits, diront les plus audacieux.
Récemment encore, une photo d’une de ces cheikhettes-dame au demeurant fort charmante- formulant une prière à un thiantacoune était violemment brocardée sur les réseaux sociaux. Diable que se passe-t-il ? Y aurait-il une pénurie de gourdins dans notre bon vieux Sénégal ? Où serait-ce que les talibés du Cheikh eux-mêmes sont las de leur gourou ?
Ce phénomène de décillement quasi général est l’une des choses les plus fascinantes qu’il ait été donné d’observer aux Sénégalais. Mais doit-on s’en réjouir ou au contraire avoir honte d’avoir su conférer une telle aura à un personnage aussi controversé ? Jusqu’où ira ce processus de démythification ? Béthio se rebiffera-t-il ?
Pour avoir ces réponses, allez voir la Sybille Selbé : elle vous contera mieux que quiconque, la fin des aventures du Cheikh.