Je ne me pardonnerai jamais d’avoir raté la cérémonie de la présentation du livre d’Oumar Demba Ba où je voulais prendre la parole. Je la prends donc par écrit.
J’ai lu ce livre avec délectation, un vif intérêt et une grande surprise. La surprise vient de son auteur qui est un diplomate de carrière supposé écrire dans une langue souvent insipide, parfois convenue. Politiquement correcte.
Or la premier éblouissement de ce livre c’est sa langue. Une langue magnifique. Superbe. Sans fioritures, néanmoins. On éprouve une sorte de transport et de joie – au sens où Barthes définit le plaisir de lire – en le dégustant. Un livre qui se lit d’une seule traite.
Oumar Demba Ba montre dans ce livre flamboyant toute la richesse d’un chanteur, poète et philosophe avec qui j’ai eu le plaisir de cheminer depuis 1966 en classe de 6ème au lycée Charles De Gaulle. Il s’agit de Baaba Maal, probablement le chanteur le plus fécond de sa génération. Chanteur à textes, Baaba Maal a toujours dans ses chants, un message à transmettre, à la manière d’un Brel plus engagé dans les contradictions de son époque.
L’auteur montre qui si Baaba Maal est ce qu’il est – un chanteur universellement reconnu par son génie – c’est d’abord parce qu’il est profondément enraciné dans sa culture, dans son terroir : le Fouta Tooro. En effet, le chanteur synthétise et vulgarise toute la culture poular, dans ses différents aspects en lui donnant son souffle et l’amplitude de sa voix inimitable.
Le grand mérite de Oumar Demba Ba c’est de montrer l’irréductible présence de cette culture dans les chansons de Baaba Maal ; non pas une présence statique, parasitaire ou répétitive mais dynamique et repensée dans une vision rationalisée, remise en perspective par le projet global de Baaba Maal qui est de montrer les valeurs morales et éthiques qui charrient cette culture, qui repensées à l’aulne de nos réalités actuelles, est d’une brulante nécessité.
Baaba Maal est un homme-arbre (dont Césaire aimait bien le symbolisme) : les racines plongent dans son terroir, le tronc s’ouvre à son pays et les feuillent soufflent aux 4 vents et butinent le monde. Comme quoi on ne peut atteindre l’universel qu’en partant du particulier.
L’auteur – qui fait preuve d’une culture vaste et remarquable – dit de Baaba Maal « trempée dans une culture poular, enrichie d’autres influences sénégalaises, africaines et du monde l’œuvre de Baaba Maal reste fortement empreinte du double sceau de la tradition et de la modernité (…) artiste, compositeur, interprète, intellectuel et universaliste engagé, mettant en symbiose des thèmes variés, dont la richesse, la subtilité et la profondeur restent, dans une large mesure, un champ encore inexploré des professionnels de l’art. »
Tout est dit. Même si je soupçonne l’auteur d’être comme moi : d’avoir une lègére préférence pour les chansons traditionnelles du musicien, comme l’immortel Baayo. Si Baaba Maal est un génie de la chanson, de la musique, c’est qu’il a compris très tôt qu’on ne peut s’ouvrir qu’en restant soi, dans l’estime de soi. Cette estime de soi dans l’ouverture commande le mouvement d’ensemble de sa production musicale.
Ecoutons ce qu’en dit le préfacier – un sérère affranchi par mes soins et ceux d’Oumar Demba – Felwine Sarr : « Toujours en abyme, une réflexion sur l’éducation, l’émigration, l’engagement, le rôle de l’identité culturelle dans la prise en charge des défis contemporains des peuples d’Afrique, le respect et l’estime de soi, la valeur de la culture, le rôle des arts comme ressources et force motrice , l’importance du patrimoine culturel, de sa préservation, mais aussi de sa fécondation. »
Baaba Maal, une voix dans le clair-obscur, qui interpelle les lumières à venir. Voici déjà que l’aube point.
J’ai aimé ce livre d’Oumar Demba Ba si riche en enneigements qui nous dit qu’avec nos traditions orales, notre musique, il y a la quelque chose à exploiter, à fouiller, à creuser. En 1979, en pionner, j’ai consacré mon mémoire de maîtrise de philosophie à Ndiaga Mbaye, grand penseur et philosophe devant l’éternité, intitulé « Ndiaga Mbaye : signe et repère d’une culture ». Depuis, il y a une floraison d’essais et de livres sur nos auteurs dont celui d’Oumar Demba Ba fait partie incontestablement des meilleurs.
Professeur Hamidou Dia, écrivain, poète et philosophe.