« CARNET DE SANTÉ ». Alors que le sida, le paludisme et la tuberculose font toujours des ravages, le continent doit faire face à la montée du diabète et de l’hypertension.
En Afrique, les maladies du XXIe siècle sont déjà là. Ce n’est pas le professeur Lamine Gueye, recteur de l’université Alioune-Diop de Bambey, qui dira le contraire. « Au Sénégal, les maladies cardiovasculaires sont devenues un véritable problème de santé publique, dit-il. Un quart des personnes de plus de 20 ans souffrent d’hypertension, tandis que le paludisme concerne désormais seulement 1 % de la population. L’hypertension est d’autant plus préoccupante qu’elle est méconnue par la population et rarement dépistée. Elle est diagnostiquée trop tard, lorsque des complications comme les attaques cérébrales sont déjà là. »
Le Sénégal ne fait pas figure d’exception sur le continent. En effet, si les principales maladies mortelles demeurent les infections des voies respiratoires (101,8 morts pour 100 000 habitants), le VIH (76,8) et les maladies diarrhéiques (65 morts), elles sont désormais talonnées par les accidents vasculaires cérébraux (44,6) et les maladies cardiovasculaires (44,5). Ces maladies chroniques sont aujourd’hui responsables de plus de morts que le paludisme et la tuberculose, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais surtout, alors que la mortalité liée aux maladies transmissibles a enregistré une baisse significative entre 2000 et 2015 (– 66 % pour le paludisme, – 57 % pour le sida et – 52 % pour les maladies diarrhéiques), celle provoquée par des maladies non transmissibles, liées au mode de vie et à l’environnement, stagnent.
« Double fardeau »
Pour de nombreux observateurs, l’Afrique est en train de faire face à sa transition épidémiologique. C’est effectivement ce que montrent les statistiques. Aujourd’hui, un Africain de 30 à 70 ans a une probabilité de mourir de l’une des principales maladies non transmissibles (affections respiratoires chroniques, maladies cardiovasculaires, cancer et diabète) comparable à la tendance mondiale, soit 19,4 %, rappelle l’OMS. Pour autant, même si leur poids diminue, les maladies infectieuses sont loin d’être éliminées et continuent leurs ravages dans de nombreux pays : 26 millions de personnes vivent avec le VIH et 93 % des décès par paludisme sont enregistrés en Afrique.
« L’Afrique doit faire face à un double fardeau : les maladies infectieuses ne sont pas encore totalement éliminées, tandis que les maladies chroniques représentent un poids de plus en plus important », précise le professeur Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève, qui souligne que cette montée en puissance des maladies chroniques peut aussi être analysée positivement, « car elle est un signe de développement et de vieillissement de la population ».
Comme dans les pays industrialisés, les maladies cardiovasculaires sont au centre de la transition sanitaire en cours depuis les années 1980. Et les données sont plutôt alarmantes. Ainsi, le pourcentage d’adultes hypertendus oscillerait entre 16 et 40 % en Afrique subsaharienne, selon une revue de littérature publiée en mars 2018 dans le Journal de médecine vasculaire. Dans plus de deux tiers des cas, la maladie n’est pas diagnostiquée et lorsqu’elle l’est, les patients ne se traitent pas. Mal prise en charge, l’hypertension fait le lit de l’insuffisance cardiaque, de l’accident vasculaire cérébral ou encore de l’insuffisance rénale.
Même constat avec le diabète. Quasi inexistant dans les années 1980, il concerne aujourd’hui 6 % de la population subsaharienne. Là encore, une grande majorité des personnes atteintes de diabète (69,2 %) ignorent leur état. Or le nombre de diabétiques sur le continent devrait doubler d’ici à 2045, pour atteindre les 41 millions de personnes.
Des aliments trop gras
Les raisons de cette explosion des maladies cardiovasculaires ? L’urbanisation, la sédentarisation, l’alimentation plus riche, l’alcool, le tabagisme, la pollution automobile et industrielle… le tout chez des populations plus vulnérables. « Les personnes qui ont connu des carences alimentaires au cours de leur développement fœtal et de l’enfance ont plus de risques de développer des maladies chroniques comme l’obésité, le diabète et l’hypertension lorsque l’alimentation et le mode de vie deviennent “obésogènes” », explique le professeur Yves-Martin Prével, de l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
Or les pays du Sud entreprennent leur transition nutritionnelle à un rythme bien plus rapide que celui qu’ont suivi les pays industrialisés et dans un monde globalisé qui favorise l’arrivée massive de produits alimentaires transformés, trop gras, trop sucrés ou trop salés. Il y a encore quelques années, le mil, le lait, le maïs ou les haricots étaient la base nutritive de nombreuses populations rurales. Aujourd’hui, elles s’alimentent de plus en plus avec des produits comme le riz, les pâtes, l’huile de palme, les boissons gazeuses et sucrées… « De nombreuses personnes abusent des fameux bouillons cubes, riches en sel et donc favorisant l’hypertension », affirme le professeur Lamine Gueye.
Focalisés pendant des années sur l’urgence sanitaire des maladies infectieuses, les systèmes de santé ne sont pas armés pour faire face à ces nouvelles menaces. « La réponse internationale n’est pas non plus à la hauteur de l’enjeu. Nous devons sortirdes fonds “verticaux” et passer d’une approche par maladie à une approche par système de santé », plaide Stéphane Besançon, directeur de l’ONG Santé Diabète. Pour lui, c’est le seul moyen pour l’Afrique de réussir sa transition sanitaire sans baisser la garde sur les maladies infectieuses. Car comme le rappelle le professeur Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l’Institut Pasteur : « Non seulement elles continuent d’être de grandes tueuses, mais nous devons aussi veiller aux maladies infectieuses émergentes. Une maladie comme Ebola a certes eu un impact limité en termes de morbi-mortalité, mais elle a été très déstabilisante. »
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