Il a voulu affirmer son autorité, il est finalement tombé dans l’autoritarisme. Dès son accession au pouvoir, le président Macky Sall a érigé la répression comme mode de gouvernance. Il s’en est pris tout d’abord à ses ex-camarades libéraux qui contestaient son autorité, malgré son élection éclatante. L’avocat Amadou Lamine Sall, Samuel Sarr, Bara Gaye et d’autres téméraires de la coterie libérale ont appris à leurs dépens que le jeune Macky, naguère simple quartier-maitre du navire libéral, est devenu l’amiral du vaisseau Sénégal. Ils ont été sévèrement châtiés pour leurs propos jugés irrévérencieux à l’endroit du président. En ce début de mandat où le président cherchait à asseoir son autorité, de nombreux Sénégalais avaient approuvé cette fermeté à l’égard de ces trublions. Une grossière erreur.
A cause du silence des citoyens, on assiste à une judiciarisation du débat public préjudiciable à la liberté d’expression. Le dernier oukase du président Macky Sall concerne la radiation de l’inspecteur des Impôts et des Domaines, Ousmane Sonko. A entendre le ministre de la Fonction publique Viviane Laure Elisabeth Bampassy et le Porte-parole du gouvernement, Seydou Guèye, on croirait que M. Sonko est coupable du crime de lèse-majesté. «On ne peut admettre qu’un fonctionnaire s’attaque, de façon très virulente, au chef de l’Etat », se désole Mme Bampassy. Quant à Seydou Guèye il caractérise les positions de Ousmane Sonko de « virulentes, injurieuses et diffamatoires». Aucun des deux n’a apporté les preuves irréfutables de la violation du secret professionnel par l’agent Sonko. Mais, on assiste à une sorte de sacralisation du président Macky Sall afin d’inhiber toute forme de critique à son endroit. La révocation de Sonko et l’incarcération de plusieurs opposants pour leurs opinions constituent de sérieuses atteintes à la liberté d’expression, un droit consacré par la constitution.
Le climat de terreur que le président Sall et ses ouailles veulent imposer aux Sénégalais est lourd de danger. Depuis son accession au pouvoir, la menace et l’intimidation sont des éléments de langage qui reviennent constamment dans les discours du président. Le chef de l’Etat ne souffre pas la contradiction.
Non content d’avoir neutralisé une grande frange des partis politiques, encarté nombre d’intellectuels médiatiques, étouffé la presse (qui ne remue plus le couteau dans la plaie), le président Sall s’évertue à écraser, par l’usage de la loi, tous ceux qui l’empêchent de régner en rond.
La traque des biens mal acquis initiée par l’actuel régime entre dans cette tactique. Cette initiative qui promettait la réédition des comptes était en réalité un instrument de règlement de compte politique. L’asservissement de la justice sous le règne de Macky Sall participe à créer une crise de confiance des citoyens à l’égard de cette institution. Actuellement tout le monde s’accorde à dire que la Cour est utilisée pour liquider les adversaires du président. Or, « il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice » dénonçait à juste titre Montesquieu.
Cette situation est rendue possible par la nature du régime politique sénégalais qui sacre une hyper-présidence. Le chef de l’Etat qui concentre trop de pouvoirs écrase de tout son poids les autres institutions, affaiblissant du coup la vitalité de notre démocratie. Clé de voûte des institutions, le président est l’épicentre du pouvoir. Des pouvoirs sans borne lui permettant de neutraliser toute velléité d’opposition.
Le régime en place est en train de détricoter avec impéritie tout ce que le peuple sénégalais a tissé à grands frais. Face à ces sérieuses menaces de fascisation de notre pays, c’est un devoir pour tout citoyen de résister, car l’essentiel est désormais en jeu. «Il est temps, répétons-le, que ce monstrueux sommeil des consciences finisse. Il ne faut pas qu’après cet effrayant scandale, le triomphe du crime, ce scandale plus effrayant encore soit donné aux hommes : l’indifférence du monde civilisé », disait Victor Hugo dans son livre Napoléon Le petit qui dénonçait le coup d’Etat du 18 Brumaire. Le peuple sénégalais doit s’approprier cet appel à l’indignation collective pour s’opposer aux dérives monarchiques de ce régime. La seule manière d’y faire face, c’est de combattre la vénalité ambiante et d’éviter de succomber à la tentation de la peur afin d’user de la liberté d’expression dans le respect des lois et règlements du pays. C’est seulement de cette façon qu’on parviendra à sensibiliser l’opinion publique des dérives autocratiques d’un régime jacobin et goguenard qui foule aux pieds les principes élémentaires de la démocratie. Si les démocrates de ce pays ne sortent pas de leur torpeur, de leur couardise, de leur égoïsme, le réveil risque d’être douloureux. Il arrivera un moment où il sera trop tard. Pour éviter ces lendemains qui déchantent, nous devons tous préserver la liberté d’expression menacée.
Baye Makébé Sarr journaliste